En mars 1848, Karl Marx fut convoqué au commissariat de police le plus proche de la rue d’Orléans à Ixelles (aujourd’hui rue Jean d’Ardenne) où il habitait. Le brave fonctionnaire de commissaire qui le reçut ne le fit guère poireauter plus de temps qu’il n’était nécessaire pour bien montrer qu’il était le maître, après Dieu et le Roi, dans ce lieu.

Le commissaire vint lui-même à la rencontre de Marx, assis calmement dans la salle d’attente, sur laquelle veillait une lithographie représentant le roi Léopold, premier du nom dans son petit royaume.

— Entrez, Monsieur Marx. Sprechen Sie Französich? Lire la suite


Je me fais appeler Jimmy Holyday. Je ressemble fort physiquement au chanteur presque homonyme, que j’ai tué dans la nuit du 5 au 6 décembre, celle où, dans le pays d’origine de son père, la Belgique, Saint-Nicolas descend par la cheminée pour déposer dans les maisons des jouets pour les enfants sages. Je l’ai tué parce qu’il me portait ombrage. Nous sommes nés le même jour en 1943, pendant la deuxième guerre mondiale. Son père était une espèce de saltimbanque nommé Léon. Je crois que ce prénom a inspiré une chanson d’Annie Cordy, une autre Belge. Mon père à moi était aussi belge et s’appelait Gaëtan-Honoré. Il était d’une famille aisée et militait dans les milices rexistes de Degrelle. Il a failli aller se battre sur le front de l’Est, mais je venais de naître, et il a préféré rester auprès de ma mère plutôt que défendre l’Europe contre les hordes asiates du bolchevisme. À la libération, il n’a guère été inquiété. Il avait commencé assez tôt à alimenter les caisses de la Résistance (royaliste) pour que ses péchés de jeunesse soient pardonnés et vite oubliés. Il a fait une belle carrière dans la magistrature finissant en qualité de conseiller à la Cour de Cassation. Ma mère, prénommée Lutgarde, était membre de la bourgeoisie francophone de Flandre. Comme femme de magistrat, elle ne travaillait pas, du moins pas pour un salaire. Elle s’occupait de choses et d’autres de la culture et présidait l’association des amis de l’opéra. Elle est morte en 1991, d’un malicieux cancer, réconfortée, comme on dit, par les sacrements de l’Église. Elle a suivi mon père de huit ans. Lui, devenu grand officier de l’ordre de Léopold, a été retrouvé dans une chambre d’hôtel victime d’un AVC. La dame avait eu le temps de se tailler en catimini. Pour éviter le scandale, l’entourage du défunt a prétendu qu’il était mort en état d’épectase. Personne ne fut dupe ; mais on fit semblant de croire à cette fable théologique. Lire la suite


(Rappelons-nous que le Président Macron fut élu au printemps 2017 par quelque 30 % des électeurs français. La presse et les médias audiovisuels célébrèrent de manière dithyrambique cette victoire d’un homme tout neuf, on oublia le passage en qualité de ministre de François Hollande –, de trente-neuf ans seulement – un gamin, en quelque sorte, porteur de l’innocence de la gaminerie – bardé de diplômes qui font de vous des gendres idéaux, dans ce cas-ci orné du prestige d’avoir fait ses armes chez Rothschild – flanqué d’une femme, Brigitte, de vingt-quatre ans son aînée, ce qui fit pas mal jaser dans les chaumières, les HLM et les hôtels de maître, en dépit du fait d’être, comme on ne devrait pas dire, « bien conservée pour son âge ». On glosera avec empathie sur sa décision de n’être « ni de droite ni de gauche », et on s’émerveille de ses déterminations à refonder le et la politique sur des bases morales, avec l’aide des quelque trois cents et des députés envoyés par le parti tout neuf qu’il dirigeait, intitulé La République en marche – avant évidemment. Le système électoral français lui fut à cet égard d’un grand secours, comme il l’avait été à d’autres postulants à la « magistrature suprême », comme on dit à d’autres époques.)

Nous le surprenons dans le Salon doré, où Brigitte a fait porter un énorme bouquet d’amaryllis roses. Il vient de convoquer son premier ministre, Edouard Philippe, qui entre sur la pointe des pieds, pour ne pas perturber les réflexions de celui qui s’est lui-même baptisé Jupiter. Au bout d’un certain temps, le Président s’aperçoit de la présence de son collaborateur. Lire la suite


La colère m’exaspère et va me rendre fou chante Larivaudière dans La fille de Madame Angot. Je n’en suis pas à la folie, mais ma colère ne faiblit pas, car les raisons de la recharger ne manquent guère. Elle se recharge au jour le jour, comme une rhinite ou un eczéma. Les objets qui la provoquent sont multiples et font de moi – au grand désagrément souvent de mes proches – un colérique autrement dit un indigné permanent. J’ai le choix, il s’agira ou bien de l’impossibilité de faire rencontrer morale et politique, comme le démontrent certains dérapages récents ; ou bien de constater l’arrogance des riches toujours plus riches face aux pauvres toujours plus pauvres ; ou bien de m’étonner que d’éminents penseurs (par exemple, Jacques Rogge) continuent à se lamenter au sujet des dérives du sport, comme si celles-ci n’étaient pas inscrites dans la réalité même du sport (de « haut niveau », et encore). Lire la suite


Les armées allemandes envahirent le royaume de Belgique, dont la neutralité était garantie par les grandes puissances de l’époque, le 4 août 1914, par la frontière de l’Est, un patelin appelé Gemmenich. Lequel fait maintenant partie de la commune de Plombières, dans le Nord de la Province de Liège, à quelques kilomètres de la frontière avec les Pays-Bas. Le premier soldat belge que les envahisseurs tuèrent sur leur chemin était un cavalier appelé Fonck, qui a donné son nom à une caserne située à Liège, en bordure du quartier d’Outre-Meuse.

À Strivay, hameau de la commune de Plainevaux, à quelque vingt-cinq kilomètres de Liège, on a dressé une stèle en l’honneur du premier officier belge tué le 5 août 1914. Il s’agit du baron Merten de Herne, qui commandait ce jour-là un escadron du deuxième régiment des lanciers. Strivay, qui se trouve pas loin du lieudit Hoûte si ploût (« Écoute s’il pleut »), fait actuellement partie de l’hinterland cossu de la ville de Liège, lieu de résidence pour professions libérales et dirigeants d’entreprises. On suppose que l’endroit était déjà huppé au début du xxe siècle, quand y habitait la famille du baron Merten de Herne. Les lanciers belges, on s’en souviendra, se couvrirent de gloire quelques jours après la mort du baron, le 12 août, quand deux mille d’entre eux, assistés de quatre cents carabiniers cyclistes, mirent en déroute une troupe allemande trois fois supérieure en nombre, composée de uhlans. Ce fut sans doute la dernière bataille rangée de cavaliers en Europe. Le lieutenant général De Witte, qui commandait les troupes belges, fut plus tard fait baron De Witte de Haelen, du nom de la commune près de laquelle eut lieu la bataille, devenue Halen, sortie 25 sur l’autoroute A2, pas loin de la ville de Diest. Lire la suite


A.M. gewidmet

Un matin, à son lever, il découvrit que son champ de radis était vide. Tous ses radis avaient disparu, son terrain était complètement dénudé et ressemblait à un immense terre-plein chauve, dépourvu du moindre moignon de végétation. Il n’en crut pas ses yeux mais, après les avoir frottés et refrottés à plusieurs reprises, il dut se rendre à l’évidence : il n’avait plus un radis.

La panique s’empara de lui. Il était radivore exclusif, et l’idée d’être privé de sa nourriture de prédilection lui faisait horreur. Déjà il avait dû supprimer, il y a quelque temps, le beurre qui accompagnait d’habitude son aliment préféré, toutes les vaches dans son entourage ayant été massacrées, au nom du principe de précaution, à cause de la menace de l’ESB. Quant à importer le beurre de contrées lointaines, cela aurait coûté trop cher en radis. Lire la suite


En 1949, j’avais près de neuf ans alors, mes parents et mes frères habitions une assez vaste maison sise à Wavre, au chemin des Flamands, devenu, allez savoir pourquoi, chaussée des Gaulois, une voie au revêtement encore fort rudimentaire. Cette année-là, qui vit la victoire de Fausto Coppi, le Tour de France traversa la petite ville du Brabant wallon, où il remonta la chaussée de Bruxelles. J’allai le voir passer à hauteur du passage à niveau sur la ligne Louvain-Charleroi (elle passait à l’arrière de notre jardin, et je ne me lassais jamais du spectacle des trains, en ces temps de locomotion à vapeur). Dans la caravane se trouvait une fourgonnette surmontée de haut-parleurs diffusant une chanson de Line Renaud fort à la mode cet été-là : Ma cabane au Canada. L’on disait dans le public que la chanteuse était présente dans le véhicule. Je ne l’ai pas vue mais j’ai cru la rumeur, toutefois pas jusqu’au point d’imaginer qu’elle remettait elle-même la chanson, en continu, tout au long du parcours de l’étape. Lire la suite


Une voix de la régie :

— Le Journal présenté par Personne Nimportequi.

— Bonjour. Voici les principaux titres : un chien mordu à Morlanwelz, une sortie de route à Wilsele, une heureuse nouvelle à la Cour du Liechtenstein, une rentrée réussie pour Michel Sardou, une escapade en amoureux pour Nicolas Sarkozy, un nouveau record du 60 m en salle pour une athlète jamaïcaine. Voyons tout ceci en détail. Lire la suite


La salle du tribunal était remplie de curieux. Une lumière pas très propre descendait de la verrière qui la surplombait, qu’en effet on n’avait plus lavée depuis qu’on l’avait posée, il y avait déjà belle lurette.

Moïse, le plus âgé des juges, cria d’une voix de stentor :

— Qu’on fasse entrer Europe ! Lire la suite


Il se trouva un jour être devenu le dernier écrivain à ne pas rédiger ses textes sur ordinateur. Ce n’est pas qu’il méprisait la technique (on disait autour de lui « technologie », ce qui était fautif, mais il s’y était fait, comme au reste) moderne, mais de voir courir la plume de son stylographe sur les pages de son cahier à spirale latérale le remplissait d’une joie que le tapotage du clavier d’un PC n’était pas capable de lui apporter. Il avait assisté à des essais, dans l’intention d’aligner ses mœurs scripturaires sur celles de ses collègues, mais les textes que la chose produisait lui paraissaient maladroits et inélégants. De la plume avant toute chose, se répétait-il chaque fois qu’il se décidait à écrire. Ses lecteurs ne s’en plaignaient apparemment pas, car ses livres se vendaient plutôt bien, et la critique lui était généralement favorable. L’un des ténors dans cette honorable activité l’avait bien un peu brocardé sur son obstination à écrire au stylographe. « Ne vous sentez-vous pas un peu ringard ? », lui avait-il demandé. Il en avait convenu, un peu, peut-être beaucoup, mais sans en éprouver la moindre des culpabilités. Lire la suite