Passer de son vivant le cap vers l’autre rive

Joyce Mansour

Jacques De Decker est celui qui, en Belgique et à notre époque, s’est aventuré le plus loin dans le voyage entre les âmes des ancêtres et celles des vivants. Il connaît le passage et le retour. Lire la suite


Sous le dôme babylonien du Palais de Justice de Bruxelles, tous les hommes de loi sont en branle contre Gilgamesh. Le scribe de celui-ci n’aurait–il pas discrédité l’image posthume du patron de l’Académie ? Car le héros de la première épopée de l’humanité souhaitait que revînt à JDD le premier exemplaire d’un scandaleux Axiome de la SphèreLire la suite


Mehr Licht ! Mehr Licht !

derniers mots de Goethe sur son lit de mort.

 

J’assistais, pour la première fois depuis cinq millénaires, à la rupture de la tête et du corps d’une civilisation née sur les rives de mon fleuve natal. Rien ne me distinguait plus de mon ambassadeur, dont l’enfance au Congo ressentit la démence d’une organisation coloniale promue par droit biblique au statut d’élection divine, l’univers pour Terre promise, où les Nègres sont une race damnée depuis l’ancêtre Cham. Alors que le feu de l’esprit parlerait par la bouche du prophète Lumumba. La portée symbolique de son assassinat signifie rien moins qu’une première affirmation du There Is No Alternative qui marquera le dernier demi-siècle… Lire la suite


Rares sont les femmes ayant l’honneur de funérailles nationales. Conçoit-on des tragédies mettant en scène le deuil pour une femme ? Imagine-t-on un chœur de pleureurs ? Les sanglots d’Électre pour son père, d’Antigone pour son frère, d’Andromaque pour son époux, d’Hécube pour son fils pourraient-ils être ceux du père, du frère, de l’époux, du fils pour leurs fille, sœur, épouse, mère ?…

C’est pourtant par milliards que les humains des deux sexes ont pleuré la disparition d’une sœur tenant de la fillette et de la grand-mère, de la sorcière et de la fée contre laquelle avait été lancé un appel au meurtre pour trois impardonnables mots par elle prononcés :

How dare you ?… Lire la suite


Est-il encore un axe reliant ciel et terre ?

L’aube d’un jour d’automne de l’an 5778 après la création du monde, les sphères célestes illuminèrent la montagne où s’échoua l’Arche de Noé. Nul œil mortel ne fut témoin de l’inscription dont flambèrent ces lettres au sommet du mont Ararat, sinon le regard mélancolique d’une mule sans doute rescapée du déluge : Lire la suite


Je suis venu, calme orphelin,

Riche de mes seuls yeux tranquilles,

Vers les hommes des grandes villes.

Ils ne m’ont pas trouvé malin.

Verlaine

Le premier poème rencontré sur mon chemin, vers les dix ans, je ne savais ni que c’était, ni ce qu’était – un poème. Retiens la nuit, craché par les haut-parleurs des auto-scooters sur la place communale de Jette, faisait rayonner des paroles sublimes dans l’obscure grisaille. J’ignorais qu’elles résonneraient un jour avec le plus génial de tous les titres de romans : Voyage au bout de la nuit… Le voyage au bout de l’ennui que serait la décennie des années 60 me ferait dix ans plus tard chanter par cœur La Mémoire et la Mer de Léo Ferré, pour en appeler à une aube entrevue dans ce crépuscule infini qui depuis lors n’en finirait pas d’opacifier les horizons… Lire la suite


Quel est celui qu’on prend pour moi ?

Aragon

 

Marx fut le totem et le tabou du XXe siècle. Supposons que, pour lui rendre hommage, en son honneur s’ouvre un coin d’espace public. J’entends s’égrener d’ici le chapelet de clichés : l’inventeur du Goulag a dominé le ciel des idées jusqu’au salutaire décret de sa mort, mais le cadavre se rebiffe et bouge encore… Lire la suite


Si un anneau était attaché au ciel et un autre à la terre, j’en saisirais un de la main droite, un de la main gauche, et je relierais la terre au ciel.

Sviatogor (héros de légende épique russe)

De quelle histoire est-on le personnage à peine consentant ? Qui en conçoit la trame et en écrit le scénario ? Qui décide les dialogues, plus ou moins conflictuels ou consensuels ? Qui régit la dramaturgie ? Qui invente la mise en scène ? Quels comédiens jouent quels rôles, sous quels oripeaux ? Qui modifie les décors et les éclairages ? Pour quel public, dans quelles intentions ?… J’ai traversé le salon pour me diriger vers la baie vitrée donnant sur un jardin gardé par des hommes à oreillettes en tenues de combat. Juste avant de l’ouvrir, afin de respirer l’air frais, ma poitrine s’est libérée d’une interrogation : quel intérêt les Russes auraient-ils à saloper leur image internationale, après avoir déployé tant d’efforts pour faire briller chez eux la vitrine d’une compétition mondiale de football ?… Lire la suite


En guise de prélude à notre prochaine ode contre un anthropocide,

Les accords d’un vieil oud sur une longueur d’onde bien peu de propagande,

Puisés au fond de l’oued qui arrose Bagdad berceau des Abassides,

Adressent à votre bled secoué d’algarades allant jusqu’à l’immonde,

Hélas où tout se scinde en querelles morbides et funestes apartheids,

Ce chant bizarroïde lancé par un aède à sa Shéhérazade.

Qui où quand suis-je ? Capturé par la police des Affaires humanitaires et de l’Immigration, mon seul refuge est un asile intérieur en suspens hors l’espace et le temps. Je ne veux d’autre sépulture, pour ma geste ancestrale, que la langue des origines. Lire la suite


L’Atlas vient de faire signe aux cerveaux amnésiques d’Acéphalopolis, en exhumant de son djebel Irhoud le crâne du plus vieil homo sapiens (300 000 ans). Pendant que les vivants se résignent à l’amnesthésie programmée, notre ancêtre parle : il exige d’être baptisé Amen (eau en langue amazigh).

Depuis cette lointaine source, à travers de multiples méandres, Amen est mémoire d’une histoire ouvrant, par-delà tous les horizons, sur un océanique destin commun…

« Make our planet great again ». Qui mieux qu’Atlas pouvait-il ressentir le poids sur ses épaules d’une aussi grave sentence ? Décochée par Baby Mac en réponse à Killer Donald, elle fut saluée comme la preuve d’une force de frappe jupitérienne. La tour Panoptic célébrait un nouveau leader de l’Olympe, jugé le plus apte à servir les intérêts de Kapitotal. Dans cette compétition mondiale entre deux champions ayant conquis le titre suprême, sur chaque rive de l’Atlantique, par de peu communes constructions de situations, la victoire symbolique devait aller au plus situationnisteLire la suite