Premier janvier deux mille deux, zéro heure zéro zéro. Le train traverse à toute vitesse les campagnes tendues de vert, des campagnes où ont été gommées les frontières, des campagnes où seuls les sillons signent l’essence des cultures ici et là nées de la sueur des derniers semeurs. Le train, qu’on n’appelle déjà plus train mais tégévé, tout change même les mots, glisse dans l’espace de l’Euroland. Encore un mot nouveau qui a engendré son frère jumeau, l’Eurolande, revendiqué par quelques nostalgiques fidèles aux restes d’une langue désuète, truffée de particularismes et de subtilités, mais bientôt oubliée. Pour ne pas dire morte. Le professeur Santerre réfléchit à la mort, la sienne et celle de toutes ces choses qui ont accompagné sa vie, mais s’empresse de balayer ces nuages sombres. Les idées noires sont interdites en cette nouvelle république transfrontalière et un homme trop longtemps songeur a vite fait d’être repéré par les brigades spéciales toutes de bleu vêtues. Lire la suite



1.

Un billet tout neuf et craquant, fixé au mur par quatre punaises dorées, et sur lequel je peux lire: 500 EURO.

2.

L’Eurasienne qui voulait payer sa carte de bus avec un chèque et que le chauffeur s’était mis à engueuler, avec des allegros, des vibratos, des reprises dans sa voix – comme la musique du moteur. J’ai fait signe que je payais la place. Huit francs, une somme ridicule. Mais c’est agréable de jouer les anges gardiens. Lire la suite



Un franc est un franc, une lire est une lire, un florin est un florin, une pesète est une pesète, disait l’adage. Cette tautologie chargeait les désignations des monnaies de bien davantage que de leur signification financière. Autour de ces mots fétiches, que de désirs, de regrets, de fantasmes ont couru et courront encore ! Imagine-t-on que, demain, dans la littérature, on entreprenne de partiquer toutes les conversions ? Et pourra-t-on s’attendre à ce que les écrivains, du jour au lendemain, se mettent à compter en devises nouvelles ? Combien valent, en euros, les sacs et les briques de la conversation courante ? Ils datent d’avant le nouveau franc, c’est tout dire sur la résistance du langage quotidien, et de sa créativité cependant notoire, aux mesures monétaristes… Lire la suite


Les applaudissements ne s’étaient pas encore tus que je descendis l’escalier menant au deuxième balcon. Un juin de garrigue y transformait les dames du vestiaire en figurantes sans emploi. Leur regard privé d’objet m’apprit que j’étais devenu invisible. Tout à coup des loges se libérèrent, et je sus qu’en bas je n’éviterais pas la foule. Ce que j’appréhendais ? Qu’on me saisisse le bras, fasse retentir mon nom sous les caissons dorés et les cartouches historiés de bacchantes. Or, le récital s’étant terminé tôt, il me serait encore loisible de gagner le coude du fleuve en aval. J’y ferais, parmi les grues qu’on destine à la casse et sous les marquises de verre fêlé des anciens comptoirs Urbach, le point d’une journée réclamant une mise au net. Trop de détails irremplaçables, de perceptions abruptes, de foucades trahissant l’inconnu qu’on abrite en soi – sans omettre l’amie perdue et retrouvée, dont la réapparition, cet après-midi, devait être revécue au ralenti – risquaient sinon de s’émousser. En revanche, si mon essai de clarification, encouragé par l’isolement de ces vestiges portuaires, s’avérait satisfaisant, la journée écoulée pourrait revêtir l’ampleur d’une saison, d’un texte aux épisodes maîtrisés. À condition toutefois que l’à-quoi-bon, le « démon de mon cœur », n’entamât point mon intention comme il en avait l’habitude. Quoi qu’il en soit, il me faudrait patienter au moins un an, ou plus, pour que m’échoie une manne aussi substantielle, les autres journées succombant toutes à l’uniformité pour sortir d’une identique matrice. Lire la suite



À Maïa, la grand-mère chère et disparue, qui habite désormais les mots du souvenir en cette nouvelle incarnation qui la fait lare, bienveillante et secourable, déambulant avec la même grâce au milieu des nuées légères et des saintes figures, Bathilde pense comme en rêve. Lire la suite


Contes

Souvent j’ai dit, viens près de moi, mon amour. Nous n’avions Jamais fait de grandes promesses, car nous savions combien il est difficile

De tenir ces promesses. Nous n’avons rien promis, mais nous Nous raconterons tous nos contes et nous écouterons les contes de l’autre.

Il est difficile de commencer. Et les contes se limitent aux Enfants, parents, bien-aimés, quelques amis. Te souviens-tu ? Je Lire la suite


Alejandro ouvrit la portière de l’automobile et s’installa derrière le volant. Il soupira et se pencha sur le siège voisin pour déverrouiller la portière de droite. Tout en débloquant le bouton de sécurité avec les doigts, il aperçut, à travers la vitre, la blouse fripée, enfilée en vitesse et glissée n’importe comment dans la jupe.

Elle ouvrit et s’assit à côté de lui. Lire la suite