Décidément, le climat ne changerait jamais. La gare dégorgeait ses navetteurs. Crachés à flots réguliers, ils ondulaient dans un même mouvement énervé, précipité, cadencé. Leurs pieds martelaient le sol selon un rythme bien précis, d’armée en fuite. Une armée qui se lançait tête baissée, dos courbé, sous une pluie drue et persistante qui devait rappeler à Ricardo, plus que n’importe quel signe extérieur, qu’il était un étranger.

Intégré mais d’ailleurs.

Malgré son tempérament de conquérant. Lire la suite


Tout le monde a une âme, les jeunes comme les vieux. Je suis jeune, et j’aime les couleurs. Comme celles d’Ensor, je peux exploser. Mais, comme le peintre, je cache une larme.

Dans mes rêves, elle devient rivière, sillonne mon morcellement, relie les parts. Elle prend sa source dans les forêts, rejoint la mer, puis s’envole, survole ma division, ma maladie, ce désarroi qu’ils tentent de soigner sans bien le comprendre. Dépassés, sont-ils. Leur vacillement ajoute au mien.

Je leur dis : Trouvez mon âme, et vous serez guéris. Perplexes, ils se regardent.

Pour patienter, je chante : Lire la suite


Dans ce monde perdu, dans cette Flandre inouÏe qui n’avait peur que du feu et de la langue française, la journée commençait dès l’aube par les jérémiades de mon père. Il avait ruminé toute la nuit un affreux sentiment d’échec. Il ouvrait d’un coup de pied la porte de ma chambre. Il avait eu le temps de se mettre en colère. Il criait: Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter une vie pareille ? Lire la suite


Par les temps bouleversés que nous vivons, où la folie des hommes semble faire fi de toute prudence et nous conduit d’un jour à l’autre au bord du pire, il pourrait paraître inconvenant de se pencher sur le sort d’un petit pays prospère, situé au cœur de l’ensemble multinational le plus riche du monde. Pourquoi faire cas de querelles qui, en regard de ce qui se passe à deux heures de vol de Bruxelles, paraissent dérisoires ? Certes, nous sommes, au moment où nous mettons sous presse, à la veille d’une consultation importante, puisqu’en Belgique, le vote européen coïncide avec des scrutins à l’échelle du pays et de ses composantes. Le fait que ces élections soient les dernières du siècle ne suffit cependant pas à les rendre exceptionnelles. Et, face à la guerre qui broie des vies par centaines de milliers, on objectera qu’il y a là, de notre part, un singulier égocentrisme, cette indifférence des nantis que ne préoccupe que la pérennité de leur confort et de leur tranquillité. Lire la suite


Un soir, alors que je rentrais à la maison, mon fils se pré­cipita vers moi, en me demandant si j’avais vu la photo de l’autre côté de la rue. Il était si excité que je pris le temps de déposer ma serviette, d’enlever ma veste et de dénouer ma cra­vate. Quand il préparait une farce, selon un rituel immuable, le jeu consistait à accomplir les gestes routiniers pour lui donner l’impression. d’être tombé dans le panneau. Mais cette fois, Stan ne me laissa aucun répit. « Tu viens ? Tu viens ?  » Il me tira par le bras jusqu’à ce que je le suive à la fenêtre et, là, me désigna du doigt l’affichette collée sur la vitre des voisins, juste en face de nous. Elle représentait la tête d’un homme au regard désabusé qui s’efforçait de sourire à l’objectif mais, en vain. « Maman dit que c’est Johan De Brol  » me précisa mon fils, visiblement déçu de mon absence de réaction. « Alors, qu’est-ce qu’on fait, hein ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

Manifestement, il était prêt à tout. A chercher un kalachnikov et à transformer notre rue paisible en allée des sni­pers. Son doigt fixé au bout d’un bras tendu qui ne tremblait pas me mit mal à l’aise. Lire la suite



Stop ou encore, ça dépend du désir. Le désir de Belgique existe-t-il ? Est-il aujourd’hui plus mort que vif ou bien s’est-il seulement absenté du désastre le temps de se chercher des racines dans le fond du cœur des Belges, le temps de trouver les mots pour se déclarer ?

Répondre à cette question, c’est d’abord dater et localiser ma réponse dans l’espace et le temps de ma propre histoire. Autrement dit dans l’espace et le temps de l’écriture. Avant l’autobiographie, je n’a pas lieu d’exister par soi ni pour soi, je n’a pas d’histoire, je subit l’histoire de la domination masculine, sans même en être consciente. No woman’s land. Lire la suite


Usually when one thinks of translation, one imagines it as the transfer of a piece of text from one language to another.

But I feel that this is far too simple. I would instead choose to describe it as a transfer between two linguistic media.

Douglas R. Hofstadter, Le Ton beau de Marot, In Praise of the Music of Language

Pourquoi doit-on revenir dans son pays d’origine après tant d’années ? On dit que les criminels tôt ou tard retournent sur le lieu de leur méfait. On dit que les individus sont instinctivement poussés vers leurs roots*. On dit tant de choses ! On dit surtout beaucoup de choses pour remplir les milliers de magazines qui doivent paraître quotidiennement. Pour occuper les temps d’antenne de centaines de chaînes de télévision. Et tout cela se vend comme la conscience de l’humanité. What a load of crap. Lire la suite


Dans un premier temps, la proposition avait été ressentie comme une plaisanterie, certes peu aimable voire de mauvais aloi, mais peu susceptible aussi de mettre les rieurs de son côté. À vrai dire, comme sur un autre théâtre d’opérations en Europe, mais celui-là incomparablement plus meurtrier, personne n’aurait raisonnablement songé qu’on puisse recourir à cette méthode d’un autre âge et tout bonnement l’appliquer séance tenante. Mais, dans ce pays où le ridicule ne réclamait plus depuis longtemps les gages que ses talents de tueur auraient dû normalement lui valoir, la proposition, forgée à la six-quatre-deux et jetée à la va-vite dans le débat public pour jauger les intentions des partenaires et des adversaires, prit soudain une importance excessive et se trouva traduire fidèlement le suprême degré de la surenchère en cours. Presque tous les partis politiques des deux principales Communautés, tout à la recherche d’un « front » où ils pourraient s’aligner en rangs serrés, firent leur cette « petite idée » qui allait s’avérer si néfaste et porteuse de tant de déchirements. Leur acharnement à s’y arc-bouter fut, on s’en souviendra, sans faille. Mais, en retour, il en produisit une autre qui, elle, fut décisive. Lire la suite


OUI. Ja. Encore. Nog. Toujours. Altijd. Belgique. België. Oui j’aime la Belgique, avec ses francophones, ses Flamands, ses germanophones et aussi ses Maghrébins, ses Turcs, ses Slaves, ses Congolais et les tutti quanti de tous les pays qui s’y retrouvent, avec ou sans papiers. J’aime l’accent des autres langues ou dialectes qui enrichissent et égayent notre petit pays. J’ai leur musique dans l’oreille et souvent je bruxellise où je djaze le wallon de Lîdje ou ik probeer vlaams te spreken… J’aime aussi (ook) la lumière de Bruges et des Polders, les dunes et les vagues de la mer du Nord, Gand (Gent), son waterzooi, natuurlijk son Agneau mystique et le mystère de cette ville qui ne se livre pas au touriste d’un jour. Lire la suite