Le phonographe et le cinématographe ont davantage bouleversé la culture de ce siècle qui s’éclipse que « Le sacre du printemps » de Stravinsky et l' »Ulysse » de Joyce. Quoi qu’on en pense, et quoi que les doctes exégètes de la modernité puissent professer. les nouveaux médias se sont faits les porteurs de messages nouveaux et, surtout, ont modifié du tout au tout leur mode de diffusion. La démocratisation de ces nouvelles techniques a, de plus, progressé à un point tel que des jeunes gene d’aujourd’hui, coiffés de leur walkman, écoutent leur musique de prédilection dans de meilleures conditions qu’un petit marquis convié à un concert de Lully à la cour de Louis XIV. Au surplus, ces privilégiés versaillais se comptaient sur les doigts de la main, alors que les utilisateurs de ces baladeurs sont innombrables…

Même chose pour le théâtre : on a calculé très tôt – au temps où les chaînes de télévision aimaient encore en programmer – qu’une seule diffusion d’une pièce de Molière lui assurait plus de public que l’ensemble des représentations théâtrales auxquelles elle avait eu droit jusque-là. Que dire, alors, des fictions que le tube cathodique débite sans désemparer ? Maigret n’était pas le plus confidentiel des personnages, mais il n’est devenu réellement omniprésent qu’à partir du moment où Gabin, Richard, Cremer et quelques autres lui ont prêté leurs traits devant les caméras… Lire la suite


Ellington…

 

Fruitées et rondes, des notes lumineuses dégringolaient en grappes, puis, fleuries, s’envolaient.

Elles composaient l’indicatif d’une émission radiophonique quotidienne dont j’ai oublié l’heure. Peut-être était-ce midi qui les égrenait ? Lire la suite


Je sentais que l’entrevue serait cruciale. Une intuition. C’est-à-dire un savoir subitement ramassé, issu d’une constellation de signes épars et convergeant en cet instant précis au faîte de ma conscience. Je savais qu’il réussirait à extirper de moi ce que j’y tenais enkysté. Que tout à l’heure sans doute, la boule rebelle, enfin, éclaterait. Comme une gourme qui soudain crève pour laisser déferler sur la peau le flot des bestioles couvées à l’insu de leur hôte …  Histoire d’araignée, horrible mais véridique, que m’avait contée une amie à son retour d’Afrique. Lire la suite


Il n’y avait pourtant pas l’ombre d’une crainte à éprouver, car la trajectoire d’un boulet ne doit pas être prise pour l’objet lui-même.

Camille Flammarion, février 1905

 

All the way down, down, down, amice, all the way down, fürchte dich nicht, sempre dritto ! Et la main dans la main. Voici comment nous parlions. Chaque exclamation dans la langue qui la rendait le mieux. Le mieux. Telle était notre opinion. Cette nuit-là dans la ville nous étions du même avis et bien résolus. Les choses étaient claires et nettement découpées ; tout à l’heure des tempêtes d’hiver avaient chassé la poussière et la brume. Mais nous n’avions rien senti, nous restions bien à l’aise dans le train pour Bruxelles. Guarda fuori, des villages et des bois entiers qui fuient devant notre destination. Ay mi corazón ! Fatum fatalitasque, on aurait peut-être mieux fait de rester à Paris. Puis soudain tout s’assombrit et nous ne voyions plus que nous-mêmes dans ces grandes vitres noires. Lire la suite


J’ai toujours cru qu’un jour une histoire viendrait bouleverser ma vie comme par surprise. J’ai toujours marché dans des villes étrangères, en visite chez des inconnus, cherchant à atteindre quelque chose dont j’ignorais la nature. Cela n’avait rien à voir avec une recherche, c’était simplement un mouvement, une errance sans fin. Villes et rencontres n’étaient que prétexte. Il n’y avait rien à trouver, je ne savais même pas quel cap je voulais passer. Quand je m’éloignais de Berlin, j’avais l’étrange impression de ne plus être retenu par des amarres, tel un navire qui a levé l’ancre et qui se laisse entraîner vers la mer par le courant. Lire la suite


En ce 13 juillet joyeusement ensoleillé, le train de 10 h 42 s’arrêta en douceur à la gare de M… Pour autant que l’on puisse appeler « gare » le petit bâtiment allongé, de construction récente, qui abritait essentiellement le garde-barrière et ses tableaux électroniques. Une valise de cuir brun à la main gauche, un homme vêtu d’un costume en gabardine mastic descendit lestement de la première voiture. Les cheveux blonds au vent, il paraissait la quarantaine et avait le teint pâle, l’air soucieux aussi, des citadins. Le temps d’ajuster les lunettes solaires sur son nez qu’il avait assez fort et déjà il se retrouvait seul sur les cailloux du quai étroit. Précédé d’un bref coup de trompe, le train était reparti en direction du chef-lieu de la province. Lire la suite


Jadis, je fus un enfant. Je le crois du moins, ce qui en soi n’est pas si mal, puisque de toute façon le passé est incontrôlable – quoi qu’en pensent certains. Je portais déjà le même nom, et sur mon visage devaient sans doute sourdre ces traits sans grâce qui composèrent ensuite ma physionomie d’adulte, et qui se décomposent aujourd’hui. Ce nom, je le partageais bon gré mal gré avec les êtres qui formaient l’entité plus ou moins large et diversement appréciée d’une famille. Près de moi, il y avait ma sœur Rachel, de sept ans plus âgée que moi et qui, dès que j’eus l’âge de comprendre et de retenir ce qui se passait et se disait autour de moi, m’a toujours semblé préoccupée par la quête d’un mari – avant de le rencontrer, parce qu’elle craignait de n’en jamais trouver, et ensuite, quand il se perdait dans les bistrots de la ville parfois plusieurs jours durant. Rachel… tu n’étais pas superbe, mais enfin, tu étais ma sœur et j’aurais souhaité avoir un autre beau-frère que ce fainéant de Moïshe – regrets tardifs, tu m’excuseras. J’ai pourtant fait ce que j’ai pu… Lire la suite



L’homme sort du souk, les bras tendus en fendant péniblement la foule. Il fait quelques pas et s’effondre face contre terre. James Stewart, en bon médecin, se rapproche. Il se penche vers l’homme qui lui chuchote quelques mots à l’oreille, un poignard au milieu du dos. D’une main délicate, Stewart efface le maquillage trop noir et trop gras du visage de la victime : les traits de Louis Bernard apparaissent alors. Le bon samaritain se relève, muet. Il était l’homme qui en savait trop. Lire la suite


Les Oiseaux. C’est ainsi que le film était annoncé par Télémoustique, que je lisais dans le tramway en revenant du travail. La journée avait été longue, alourdie par une chaleur que la météo ne cessait d’annoncer mais qui n’en finissait pas de ne pas arriver. Je me serais cru dans la canicule de L’Étoile mystérieuse – en négatif, bien entendu.

Mon appartement était frais – comme tous les appartements au cœur d’un printemps belge. J’avais juste le temps d’allumer la télé ; je me composerais un sandwich-salade un peu plus tard. Lire la suite