« Toine était poète !

(…) tout ce qu’il faisait ou disait portait

la marque attendrie et naïve d’une âme

qui s’est fait une logique de rêve… »

Arthur Masson

 

D’emblée m’est revenu un livre [1] dont la savoureuse philosophie enchanta mes vingt ans. Je viens de le relire, comprenant mieux qu’alors les dialogues en wallon. Il m’a de nouveau charmée et m’a donné l’imagination taquine.

Ainsi, je vais me glisser dans les pages, auprès des personnages d’Arthur Masson, afin peut-être de recréer un scénario familier à ma première enfance quand ma nature poète suscitait de raisonnables mais bienveillantes réactions. Lire la suite


Pourquoi « revue », pourquoi « rêvée » ? La Wallonie exista longtemps par ses revues, qui lui donnèrent, en fin de compte, son nom. Elle fut longtemps l’emblème d’un quotidien, dont le titre battait comme un étendard, et qui ensuite a cessé de paraître, la privant de cette affirmation journalière, de cette désignation récurrente de la « prière du matin de l’homme moderne », pour reprendre l’expression de Mallarmé. La Wallonie, aussi, se définit longtemps comme un rêve. Paul Caso, chroniqueur inlassable d’un art wallon, et dont l’amitié m’éclaira sur la question, aimait à rappeler que lorsque Louis Delattre publie en 1929 Le pays wallon, il place en exergue à son livre une phrase de Taine, qui dit : « Là, vivent des gens pleins d’étranges rêves ». La Wallonie, une usine à rêves plutôt qu’à penser des choses tristes ? C’est l’une des prémisses de ce rassemblement de textes, inattendu peut-être, anachronique aux yeux de certains, et dont l’idée s’est irrésistiblement imposée pourtant.

La Wallonie, on le verra, n’a pas vraiment le moral. À une époque où on demande à tout un chacun d’être performant, confiant dans son avenir, de s’affirmer conquérant, de s’autoproclamer triomphant, elle n’épouse pas l’humeur du temps. Elle est trop blessée, trop lucide aussi pour cela. Elle a su très tôt, peut-être pour y avoir trop cru, que les lendemains ne chantaient pas nécessairement. Elle a anticipé en quelque sorte l’effondrement des idéologies, et développé son esprit critique et sa propension à la dérision plutôt que ses réserves d’enthousiasme. Elle était dans les cordes, subissait les revers économiques qui mirent à mal sa prospérité passée, et puisa dans cette épreuve la confirmation que, décidément, rien n’est acquis à l’homme. Il y a un fond de scepticisme wallon qui est la rançon de la clairvoyance, et du refus d’être dupe. Lire la suite


Monsieur Van Pipperzeel a fait un peu de droit à l’université de Liège, puis des études de lettres. Il se pique de savoir écrire, et a longtemps rêvé d’une carrière littéraire. Jadis (« in illo tempore non suspecto », c’est bien comme ça qu’on dit ?), il a même composé quelques poèmes qui dorment au fond d’un tiroir. Il aime les mots, il adore les choisir, les apparier, les marier ou les opposer. Il aime les phrases. Il aime écrire. Mais quoi, il faut choisir. Politique et belles-lettres, c’est difficile à concilier. Giscard a bien commis un roman — parfaitement ridicule —, Pompidou a composé des anthologies, et Mitterrand a rédigé des essais. Mais qui sait si ce n’était pas avec l’aide d’Orsenna ? En Wallonie, il y a eu Alain Van der Biest qui ne constitue pas, il faut l’avouer, un modèle recommandable. D’ailleurs, Van Pipperzeel est un perfectionniste. Il veut se consacrer tout entier, corps et âme, à sa Wallonie tant aimée. Plus tard, peut-être, à l’âge de la retraite… Lire la suite


– «Alors, Wallon, ça marche les affaires. Une belle réussite, cette année, la fête. Je n’ai jamais vu autant de monde. Quand c’est bien préparé, ça paie.»

 

Il jubilait, le bourgmestre. Après sa victoire aux dernières élections et la fin d’un purgatoire de douze années, la réussite de cette huitième fête des Macrales sacrait définitivement son succès. Wallon, lui, était aux anges. Le client défilait et les chopines circulaient. La bière coulait à flot et l’afflux de touristes en ce mois de juillet portait le consommateur vers les bières spéciales, plus goûteuses et surtout plus coûteuses. Cela mettrait du beurre dans les épinards. Notre homme n’était pas peu fière de son café, Chez Wallon. Il avait été bien inspiré de racheter ce commerce en plein centre ville, dont la devanture donnait sur la rue principale et dont la terrasse à l’arrière dominait le lac. Les habitués se moquaient de la vue sur un plan d’eau dont ils avaient fini par se lasser à force de l’avoir sous les yeux, mais le touriste s’y précipitait en quête de soleil et de paysages pittoresques. Wallon gagnait sur les deux tableaux. Lire la suite


(Un enfant de 7 ans et sa maman)

— Maman, c’est quoi, c’est qui la Wallonie ?

Et la femme de rêver. De songer à des arbres, à une rivière, à une maison. Et aussi à une ville et à son fleuve. Et encore et surtout à un homme laissé là-bas. À un homme et à son langage, à son accent. À ses amours et à ses désamours. À son regard bleu et gris ciel, à sa peau dure comme une écorce, à l’eau de sa bouche et à ses tendresses. Lire la suite


J’écris du cap le plus nord-nord-est de la France

Marcel Thiry, Lettre du Cap

Il n’est pas impossible qu’aux yeux d’un certain nombre de mes lecteurs, le titre de cet article apparaisse comme une insolence. J’ai pourtant le sentiment d’énoncer une vérité toute simple comme l’homme qui regarde le soleil illuminer son jardin et se trouve heureux d’affirmer qu’il fait beau. En toute autre région du monde que l’étrange province où je suis né, la formule que j’avance pour préciser mon identité pourrait même se dispenser de l’adjectif. Si, m’exprimant en français, je dis à un Turc : Je suis un écrivain, il n’aura aucun doute sur mon appartenance. Il n’en est pas toujours de même, hélas !, dans notre réduit picard et wallon des marches du Nord dont les habitants sont séparés de la France par des hasards de Waterloos et de naissance. Lire la suite


Pour Pascale C.

Et ce furent bien plus que des mots d’encre sur des feuilles de papier : des algues ondulant dans l’eau et le feu, des fouets de bronze, des crachats et des glaires irisés comme des cristaux de quartz, des éclats de silex extirpés de la terre, des fragments d’étoiles enfouis dans la glaise bleutée, de la poussière montée d’espaces lointains aux beaux noms de désert, steppe, pampa et Voie lactée, et aussi envolée de rues et de cours au fond de faubourgs crasseux.

Sylvie Germain, Tobie des marais

Une meule tournait sur son axe, diffractant son mouvement en anneaux concentriques invisibles à l’œil nu. Elle s’entourait de nappes de matière en suspension, comme un son ne s’étire que dans le dépli de ses harmoniques. Crucifiée sur fond de nuit, la roue brassait les visions d’un passé vissé dans le présent desquelles se détachaient les lignes en suspens d’un après en rupture de tout référent. Repassant en apparence par les mêmes points, le disque déhanchait imperceptiblement ses cercles qu’il étirait en volutes fabuleuses. Lire la suite


Écrire et penser « wallon » ne sont pas, de toute évidence, les caractéristiques de mon œuvre. Dois-je le déplorer ?

Je ne peux que revendiquer l’« universalité » de mes racines wallonnes, par l’esprit qu’elles ont insidieusement distillé dans une littérature que j’ai faite mienne… Lire la suite


Des drapeaux, j’aurais dû en voir des tonnes, à bord du train de la littérature. De Lisbonne à Berlin, en passant par Minsk et Vilnius, il y en avait sans doute sur toutes les façades officielles. Des drapeaux pleins de couleurs, des drapeaux qui claquent au vent, des drapeaux rectangulaires, en tissu léger, comme tous les drapeaux. Mais je n’ai rien remarqué. Je devais m’intéresser à autre chose. Le train s’arrêtait, le train repartait, il y avait tant de visages à scruter, tant de couchers de soleil à contempler et de formes de tram à répertorier que les drapeaux, je n’y ai prêté aucune attention. Pas plus qu’aux frontières, d’ailleurs. Ce qui est parfaitement logique, me semble-t-il : qui célèbre une nouvelle nation trace une nouvelle frontière. Et, je l’avoue volontiers, les drapeaux, les hymnes nationaux, les armoiries et les nationalités, moi, je ne les digère pas bien. Ni ceux d’ici ni ceux d’ailleurs. Pas plus la fierté wallonne que la fierté flamande. Pas plus mes racines que celles des pissenlits que je mangerai plus tard. Je les mangerai peut-être ici, peut-être ailleurs, cela ne me préoccupe pas du tout. Les arbres ont des racines, dit-on parfois, les hommes, eux, ont des jambes. Ils n’oublient ni qui leur a appris à marcher ni qui les a aidés à faire leurs premiers pas (et leur première bosse au front, quelques mètres plus loin), mais le meilleur moyen de montrer que cet apprentissage a servi à quelque chose, c’est de marcher le plus loin et le plus longtemps possible, pas de rester sur place. Lire la suite


Le Renard bleu

À l’angle de la place, un pâté blanc, intact. On y tient commerce de fourrure. Alentour, la ville en ruine.

Un homme franchit l’enseigne. Il se fait présenter le catalogue. Patchwork, les élégantes de la ville s’y dévoilent au regard le plus intime.

L’homme y découvre sa femme. Dans l’heure qui suit, le Parquet est saisi d’une plainte. Lire la suite