C’est  ma chambre d’enfant. Ma chambre de jeune fille. Avec Mickey et Pluto sur les murs. Mes poupées de Peynet sur l’étagère. Les tentures en vichy rose de mes treize ans. Mon père ne dit rien. Personne ne dit rien. C’est un jeune homme bien. Il porte une chemise à col boutonné et une cravate. Ses ongles sont coupés court. Il sait par cœur Le lac de Lamartine. Ma mère l’a écouté en caressant ses perles (ses émeraudes).  Lire la suite



Il paraît que Marc Dutroux a aimé Michèle Martin, et que celle-ci lui a rendu son amour. Marc a dit un jour à Michèle : « Tu as de beaux yeux, tu sais ». Et Michèle a dit à Marc : « Comme tu parles bien ! ».

Marc a pris Michèle dans ses bras, il l’a embrassée sur la bouche, et elle a senti basculer sa raison dans ce magma multicolore qu’on appelle l’amour. Lire la suite


Une nouvelle journée se lève sur ma triste vie, dans cette contrée maudite où jamais rien ne se passe. Quelques habitants de la région travaillent encore mais beaucoup d’entre nous passent leur temps à la maison. Alors on se promène, on rencontre les voisins, on fait courir les diverses rumeurs.

Tiens ! En parlant de rumeur, il paraît qu’un gars deux rues plus loin a commencé des travaux dans sa maison. Ce sont des gens bizarres et intrigants. En tout cas ils n’ont pas de problème, eux, quand on voit les véhicules qui s’arrêtent de temps à autre devant leur domicile, on se dit qu’ils ne doivent pas avoir trop de problèmes d’argent, ceux-là. Ce devrait être des personnes correctes d’après nous, puisque la plupart des gens qui passent chez eux viennent avec leurs enfants. Lire la suite


Chaque année l’on peut voir

en nos télévisions

de tristes bêtisiers

où l’être humain s’affiche.

Chutes des plus grotesques,

ratages en tout genre,

grimaces et lapsus

nous font rire à foison. Lire la suite


On avait viré Pierre et Nicole Debart de l’hôpital où ils travaillaient tous deux au service des urgences. Ils avaient donc dû chercher un autre emploi. Ce ne fut guère facile. Mais, finalement, ils furent réembauchés par la clinique Saint-Joseph, un établissement de soin, sis en bordure de Sambre. Le couple se mit aussitôt en quête d’un logement proche de son nouveau lieu de travail. On était en 1997. Toute la région était encore terriblement traumatisée par l’affaire Dutroux et par la découverte, l’été précédent, des corps de Julie et Mélissa, deux des petites victimes du prédateur, enlevées, séquestrées, torturées, puis mortes de faim dans des conditions horribles.

Les Debart avaient une fille, Lise. Elle accompagnait volontiers ses parents qui, en voiture, parcouraient toute la région en vue de trouver une maison modeste, mais confortable. Lire la suite


Cabinet d’orientation diocésain de l’archevêque Rombaut

— Nous en étions aux myrtilles…

— Les myrtilles du bois d’Averbode, vous comprenez, c’est un rituel, fin juin je vais les cueillir, je prends un grand seau en plastique crème, c’est plus appétissant, et puis j’aime son anse un peu lourde en fer, c’est plus stable sur le vélo.

Ces myrtilles sont formidables, elles vous éclatent en bouche, dans les doigts, du violet partout, ce sont des fruits épiscopaux. Lire la suite


Dans le numéro de relance de Marginales, vers l’été, il y a six ans, et dont le thème était déjà l’affaire Dutroux – en l’occurrence son évasion de quelques heures –, j’écrivais entre autres ceci : « Car, ici, la réalité est particulièrement (la plus) forte. La fiction, quant à elle, ne disposerait pas d’un recul assez grand pour s’élancer et embrasser toute la réalité ; elle ne pourrait s’étendre assez loin pour ne rien laisser échapper. De même il serait parfaitement vain et inconséquent de prétendre s’affranchir durablement d’une réalité qui touche et contamine dans le même mouvement. » Plus loin : « On oublie trop qu’il y a, depuis le début de ces terribles circonstances, une dimension supérieure, généralement occultée […] mais que l’on rencontre immanquablement là où la fiction doit porter. Cette dimension essentielle, c’est la douleur. C’est la souffrance que l’on éprouve devant une atteinte irrémédiable à la grandeur et à la pérennité de la vie. C’est cela que la fiction doit pouvoir désigner et explorer en profondeur. » Comme on voit, je n’ai strictement rien à renier de ces paroles. Lire la suite


Refuge obscur ou centre de l’enfer, la cave croupit dans l’esprit des hommes comme l’eau des marais, dans l’esprit de celle-qui-écrit et des autres, c’est-à-dire que la cave représente une descente, de toute façon vers les ténèbres, et qu’elle s’accompagne dès lors d’effroi, et les histoires racontées aux petits enfants ne sont pas les seules responsables de cet effroi, sans doute qu’il y a en chacun de nous le souvenir des temps primitifs où la grotte, le trou, était le lieu du refuge, contre les autres et contre les bêtes (parfois cela revenait au même), contre le froid aussi, car nous sommes gens du Nord, et que la pluie, la neige, les glaces, nous les apprivoisons mieux que certains hommes, alors, comme cela, des souvenirs reviennent, aux temps de guerres barbares, où en pleine nuit, la porte de la chambre s’ouvre comme soufflée par une explosion, mais ce n’est que l’explosion maternelle, l’effroi de la mère qui s’empare du bébé endormi, comme pour le voler à une autre mère, Lire la suite


À Benoît Verhaegen, cette fiction

Ils s’étaient donné rendez-vous « À la Mort Subite ».

Au téléphone, Pierre-Paolo avait dit :

— Vous savez, Bertrand, d’où ce café tient son nom ? J’ai longtemps cru qu’il y avait jadis une entreprise de pompes funèbres voisine. Mais ce n’est pas ça : la mort subite êtait, est peut-être toujours, une technique pour accélérer les parties de cartes. Les clients devaient y recourir avant de retourner précipitamment au boulot à midi ou le soir chez eux…

— Ça tombe bien, avait répondu Bertrand, nous n’aurons pas beaucoup de temps, nous non plus…

Bertrand avait été invité à intervenir à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer sur les atrocités dans le nord-est du Congo. Des femmes avaient été violées en public, des hommes avaient été forcés de pratiquer l’inceste sur leur mère ou leurs filles, des actes de cannibalisme avaient été recensés. Atrocités en Ituri, tentative d’explication. Au téléphone, quand Bertrand lui avait fait part du titre de sa communication, Pierre-Paolo avait pensé : Tentative d’expiation… Lire la suite