Augustin : Malgré la confusion de ton exposé, je comprends que tous tes malheurs proviennent d’un préjugé qui a fait et fera encore de nombreuses victimes. Tu es persuadé d’aller mal n’est-ce pas ?

Pétrarque

Ça avait commencé par le pied gauche. Ou plus exactement par l’orteil, le bout du gros orteil du pied gauche. Pas grand-chose. Une très lointaine sensation. À peine perceptible. Pas de quoi s’inquiéter. Il avait laissé mijoter. En attendant que ça cesse. Toutes ces petites choses que l’on ressentait chaque jour (picotements et autres) s’arrêtaient d’elles-mêmes, et c’était bien à ce genre de choses, en vérité assez vagues, que s’apparentait la très légère sensation. Il s’était donc efforcé, malgré son caractère d’ordinaire inquiet, de ne pas trop y porter attention. Mais le lendemain, au réveil, alors qu’il avait compté sur l’improbable secours de la nuit pour l’en débarrasser, il avait retrouvé la sensation, bien installée dans le gros orteil de son pied gauche, et il lui sembla même qu’elle avait profité de son sommeil pour faire un bout de chemin. Lire la suite


« Plus blanc que blanc, plus net que net, plus blanc que net, plus net que blanc, plus blanc que… »

La pub passait et repassait sous ses yeux, mêlant tout, déformant tout, contredisant tout, informant, infirmant, trompant. La machine est folle, elle bat la campagne… C’était le début de la prise en main. Lire la suite


à Paola et Marco, Naguib et Alex, Paquita et Lalo, frères et sœurs

Une vieille maison coloniale dans un pays du Sud. Au fond de la propriété sourd une source millénaire à laquelle tout le village de Cocha-bamba puise la vie. Une femme et un homme aux cheveux blancs se parlent. Tout semble les séparer : il est Président Directeur Général d’une des plus importantes entreprises mondiales d’exploitation d’eau, elle possède la propriété. Tout les sépare… depuis l’enfance.

Elle : Elle ne paraît son âge que lorsqu’elle le regarde. Lire la suite



D’un pas décidé, la bécasse pénètre dans l’auguste maison. Elle s’y sent à l’aise, son argent est là. Pas grand-chose, il est vrai, mais là où est l’argent, là est la sécurité et, paraît-il, un certain bonheur.

Mais elle est furieuse. Le compte des Amis du Sacré Peuple a été bloqué. Certes, elle avait bien reçu un long questionnaire sur la nature de son association, certes, elle avait négligé d’y répondre, n’empêche, elle a tempêté au téléphone. On l’a convoquée. Elle a rendez-vous avec le directeur. Il dit assoyez-vous. Elle dit, je vous écoute. Il dit :

— Nous vous avons envoyé un questionnaire en rapport avec votre association. Lire la suite


Pour M. Ariel Mailler, patron de la banque Excia

Oyé, Noé, noyé !

Un pauvre diable est le seul Dieu quand il est soûl. Mort de soif. Tonneau troué. L’alcool qui parle. Et qu’ça roule et qu’ça trinque et qu’ça coule allez aboulé un verrunverrunverre derrière la cravate, juste pour décuiter, c’est la tournée à Noé. Nouvel Ordre Edénique. Allez, encore un. La même chose au même comptoir de ce même café d’étudiants – s’ils savaient ! –, devant le même cimetière d’Ixelles où Florence il y a trente-cinq ans. Son pull rouge incroyable. Et cet éclat de rire, le même que jadis, à chaque ligne de son texte paru dans une revue littéraire dont elle me parlait déjà – Marginales – cette feuille alors imprimée par un vieux coco, son rire que je revois face au même miroir de l’autre côté du bar. (Je préférerais de loin quelques oranges et une bouteille de lait, posées sur un autre comptoir.) Lire la suite


Bon ! ça démarre ! 5 heures du mat. Le premier client a passé la nuit dans une boîte. C’est évident, il pue l’alcool et la cigarette, il a dû se bagarrer car l’anneau dans l’oreille est tout croûteux de sang ! Pouah, je me dépêche de lui envoyer ses 60 euros pour qu’il disparaisse !…

Deux heures plus tard : un « cadre », il est jeune, pas trop « groupie », il ne se prend pas encore au sérieux, il n’a pas son G dans la ceinture. 200 euros, pour la semaine à venir, sans doute. Nous sommes lundi et il est raisonnable… Lire la suite


On le disait radin. Il l’était, il vivait chichement malgré une pension généreuse que lui valaient d’anciennes fonctions de cadre dans une entreprise huppée de sa région. Une modeste habitation sans aucun luxe, dans une rue, à l’écart de la ville, un jardin grand comme un mouchoir de poche. Il était resté célibataire, avait vécu avec ses parents, morts depuis longtemps. Ceux-ci lui avaient laissé un beau bas de laine. Sa pingrerie, un rien maladive, lui avait permis, au fil des ans, d’amasser un avoir assez rondelet qui ne lui procurait aucun agrément, sauf celui de s’intéresser de très près à la Bourse et, parfois, d’y jouer. Lire la suite



J’avais pris place au centre du wagon, là où deux banquettes se font face – quand il n’y a pas trop de monde, on peut allonger les jambes. Les TGV de la première génération sont rapides, bien suspendus, bien oxygénés, mais si on a quinze centimètres de trop, c’est l’enfer de Dante, l’ankylose comme supplice éternel.

Je redoutais le temps immobile du voyage. J’avais emporté du travail : un carnet toilé aux pages couvertes de chiffres, la newsletter du Crédit Suisse. Je me donnais comme consigne d’établir exactement l’état des lieux. Tâche fastidieuse, mais nécessaire. Je devais remonter la piste d’un très ancien héritage. Lire la suite