Ouverture, tango

 

Une fleur rouge derrière l’oreille, nu, la bouche entrouverte, il l’attend au bar du coin. La robe collée à la peau, elle entre, une démarche de louve, la bouche sèche. Lui, la dévore du regard ; elle, ses jambes tremblent, mais elle feint de ne pas le voir avant de contourner la table par derrière, poser le bras sur le dossier et se pencher, lascive, vers sa bouche. Dans la profondeur du baiser, il se lève, l’assied sur la table, lui baisse la robe et la lèche. Maintenant qu’elle sent la rugosité de sa langue à lui sur les seins, elle laisse aller la sienne vers la fleur et la cueille entre les dents. Il reste un moment à la regarder, puis la fait basculer en arrière, lui retire la robe par en dessous et la jette avec rage par terre. Un murmure se répand dans le bar, un serveur laisse tomber son plateau avec fracas et une dame s’évanouit, tandis que, dressée et rouge, sa verge pointe avec certitude. Une seconde, les respirations s’arrêtent dans l’attente de l’entrée triomphale, une seconde au cours de laquelle l’homme dans sa vanité en oublie presque son objectif. Lorsqu’il entre enfin, elle libère un chant aigu, soulagement et joie, et le public acquiesce en chœur. Au fur et à mesure que le contrepoint se prolonge, la mélodie se fait de plus en plus aiguë et s’achève, juste après la frénésie la plus intense, en un murmure harmonieux. Il s’est allongé sur elle, la fleur est tombée sur un coin de la table, il la cueille de la main et lui caresse la joue avec les pétales. Lire la suite


Le moins pire des régimes, la démocratie, n’en mène pas large, ces temps-ci. La mort n’arrête pas de se semer en son nom au Moyen-Orient, la comédie de la succession aura saturé les médias durant un temps excessif en France, au point que l’on se demande si le passage au quinquennat n’a pas été contre-productif : près d’un tiers du mandat présidentiel aura été parasité par la rivalité des candidats à la magistrature suprême. Et les objectifs premiers de la politique pendant ce temps-là, à savoir la coexistence pacifique et harmonieuse des citoyens, qui ont d’abord à vaquer à leurs propres tâches, avant de désigner ceux qu’ils appellent à gérer leur sort commun ?

La guerre en Irak est la caricature du déplacement d’une problématique locale vers le vaste monde. Les États-Unis savent depuis longtemps maintenant qu’ils ont besoin d’un adversaire pour se structurer eux-mêmes. Il fut un temps où la guerre des étoiles aurait pu faire l’affaire. Mais elle coûtait trop cher, et nécessitait un interlocuteur. personne n’étant de taille à rencontrer l’oncle Sam sur ce terrain, il a fallu revenir sur terre. Et renouer avec l’expérience vietnamienne, c’est-à-dire avec le désastre garanti. Au nom d’un objectif indéniable : la sacro-sainte démocratie, la formule magique qui justifie tout, y compris le massacre d’une jeunesse qui n’aurait de toute façon pas trouvé à s’insérer dans une société qui aimerait tant remplacer l’humain si encombrant par des robots. Lire la suite


Je regardais le Shannon hésiter entre fleuve et lac. Ses eaux se prélassaient parmi les collines herbues, rondes pour la caresse du regard, passant par toutes les nuances du vert. Le Shannon, ce jour-là, somnolait.

Le paysage restait fidèle à celui qui sommeillait depuis vingt ans dans ma mémoire. Toujours cette impression de douceur et d’amertume. Comme l’odeur de la tourbe qui brûle. Sweet and sour. Et le ciel tourmenté, avec son charroi de nuages aux formes improbables, qui glissaient en allure de croisière, comme s’ils voulaient retrouver au plus vite l’océan qu’ils venaient de quitter.

Qu’est-ce qui me ramenait dans cet endroit paisible, moi, photoreporter toujours sur la brèche ? Lire la suite


La ville est coincée entre usines, crassiers, terrils et terrains vagues. Des nuages bas capitonnent les toits, la poussière donne à l’ensemble un air de vieille fille trop fardée. Des vélomoteurs, des gens, des voitures, de la pluie. C’est souvent la seule grâce de l’endroit. Les lignes de bus ont été supprimées dans le coin, trop d’agressions, de grèves larvées, de mauvaise humeur, les habitués se débrouillent, ils marchent, ils sortent moins, ils s’organisent pour aller travailler, rentrent plus tard, grognent et votent comme ils gueulent, entre deux portes, en attendant d’avoir mieux à faire.

Le stade est immense, la foule s’y presse lors des matches et des monceaux d’ordure font un tapis d’honneur à la police qui n’en peut plus de cette aire à castagne. C’est là que le réel est en goguette, de semaine en semaine, sans surprise, la bière coule, la morve s’étale, les tripes se gonflent de hargne, la joie déborde, le sport réconcilie enfin cette misère avec elle-même. Lire la suite


Notre-Dame,
Que c’est
beau !

Victor Hugo

La dernière journée de notre séjour à Paris touchait à sa fin. Après avoir arrosé au champagne la signature d’un contrat avantageux dans un petit bar intime au rez-de-chaussée d’un majestueux bâtiment à la Défense, nous nous séparâmes, mes deux compagnons ayant décidé de se promener dans le Paris nocturne. Moi-même, comme c’était convenu, je montai dans le bureau de Charles de Forestier, président de cette grande société française, avec laquelle – enfin – de solides relations d’affaires s’étaient nouées.

Il m’invita à m’asseoir, et me voilà confortablement installée dans l’un des accueillants fauteuils qui cernaient une belle table basse en verre transparent épais et pied de marbre blanc, représentant un joyeux petit dauphin. Mentalement, je lui manifestai toute mon admiration et, en réponse, il me fit un clin d’œil, j’en suis sûre – allez, presque sûre.

« Un verre de champagne ?, me proposa aimablement mon hôte. Pour arroser notre fructueuse et profitable collaboration ! » Lire la suite


Les dix bougies sont allumées sur le gâteau au chocolat blanc et noir orné d’une guirlande de feuilles de vigne confites. « Une symphonie », avait suggéré la pâtissière de la rue Saint-Antoine, affirmant en femme d’expérience : « Les enfants adorent ça », et, avec un sourire qui se voulait à la fois coquin et informé, ponctué d’un mouvement pendulaire de l’index, « les parents aussi ».

Madame Hilaire et ses blouses blanches étoilées de crème de marrons, ses permanentes gominées, ses bonbons acidulés qui semblent avoir survécu de la grande guerre, ses fraisiers approximatifs dont elle vante surtout les couleurs, s’abstenant de parler de leur saveur, et son tiroir-caisse qui tintinnabule à l’ouverture et à la fermeture à longueur de journée. Lire la suite


À New York à nouveau New York sur l’East River passent vapeur au vent crapahutant parfois rageurs de petits remorqueurs des barges rouillées suintantes lourdes d’ordures fortes d’odeurs sirène chantante en contrepoint des hululements des voitures bleues de New York Police et dansant avec les mouettes hurlantes mais comme muettes dans le chaos des cris l’ombre d’hélicoptères flirtant entre les nuages et les reflets des gratte-ciel de Manhattan. Lire la suite


Le monde d’un côté, moi de l’autre.

Allez hop, foin de modestie : pour qui aspire à commenter l’actualité politique, mieux vaut ne pas se poser trop de questions. Enfin si, mieux vaut s’en poser, mais pas sur soi-même : à force de scrupules, de remises en question personnelles et de doutes sur la légitimité qu’on a ou non à intervenir dans le débat, on n’écrit plus. Quelle utilité d’un article jeté dans l’océan des interventions publiques ?, encore un parmi des milliers ?, à quoi bon ?, lu par quelques-uns, aussitôt oublié, chair à papier, quelle vanité, autant ne pas se fatiguer, compter sur le temps qui passe et qui efface tout, lire ce qui s’écrit déjà, c’est tout à fait suffisant, ne pas bouger ses petits bras pour rien.

Mais non. Je ne suis pas comme ça. Mon avis est intéressant, j’en suis sûr. Immodestie, assurément : part de narcissisme, sans aucun doute ; reste que voilà, les gens qui me lisent, enfin certains d’entre eux, verront, je l’espère, grâce à mon article, autre chose dans le débat politique. « Rien que ça ! », se moquera-t-on. Hé bien oui, rien que ça.

Je m’assieds à ma table de travail, je fais claquer mes doigts, je bois un grand verre d’eau, j’assouplis mes jambes, je tais craquer mes poignets, et je m’y mets. Lire la suite


Hey, hey, hey, let the good times roll ! Est-ce que vos oreilles sont à moi ce matin ? ! Est-ce que vos cœurs sont ouverts à la voix du blues, ce matin ? ! Vous êtes avec DJ-Junk sur KWTR, Witd Tocville Blues, où chaque jour est une mise à l’épreuve par Dieu, alors, mes p’tits, je sais que c’est pas un cadeau, mais va falloir assurer encore un jour ! Encore un jour, ouais, encore une poignée d’heures volées à l’éternité sans péter un plomb, ça devrait rendre vos mères fières de vous, vrai ? !

 

Le soleil était toujours là. Lire la suite


12 mars 2006 – Voilà un moment que j’observe la marche solitaire de Ségolène Royal vers les présidentielles. Cette femme a pour seuls bagages sa condition de femme dans un temps où elles sont plusieurs à monter au créneau, un nom qui, mine de rien, la porte, les deux mots habilement choisis pour l’association qu’elle a créée : « Désirs d’avenir », et des sourires qui sont mieux perçus que les idées confuses des autres candidats. Mais voilà que, par la presse on l’apprend, elle se serait assuré les services de Jacques Séguéla, ce vieux routard de la pub politique. Ségo – Séguéla… Rumeur ou information ? Bobard ou traquenard ?

9 octobre – Les Russes flinguent l’une de leurs meilleures journalistes, les Coréens du Nord font péter leur première bombe atomique et diffusent des images d’une liesse qui me rappelle celle des Chinois quand ils en étaient au même stade. Les États-Unis, prenant exemple sur Israël, élèvent un mur de je ne sais quelle longueur et quelle hauteur pour se protéger des invasions mexicaines. En Belgique, on se réjouit que les extrémistes qui grimpent, qui grimpent, qui grimpent comme certaines petites bêtes, n’aient pas atteint les records qu’ils attendaient lors des élections communales de ce dimanche. Ici, on va vers l’interdiction totale de la mer. Avec l’air de supprimer la peine de mort volontaire, mais en se gardant bien de s’en prendre à tout ce qui tue bien plus sûrement que le tabac. La bêtise et le reste. Au train où ça va, il est de plus en plus évident que ce qui n’est pas obligatoire sera interdit. C’était quoi encore cette liberté dont vous parliez si souvent ? nous demanderont bientôt les enfants de nos petits-enfants. Vous inquiétez pas, leur dirons-nous. C’est rien, rien, rien. Et puis, elle est pas belle la vie ? Si la télé le dit, c’est que c’est vrai. Il y a quelque chose qui ne va pas ? m’a demandé Christine… Lire la suite