Toutes les communications avec les deux pays étaient désormais interrompues.

À l’échelle géographique du continent, ils étaient pourtant très éloignés. L’un était au bord de la Méditerranée ; le territoire de l’autre était en plein cœur du « poumon industriel » qui menait jusqu’à la Rhénanie et au bassin de la Ruhr. Chacun de son côté traversait de grandes difficultés, qui n’avaient apparemment rien en commun. Leurs maux si différents inspiraient pourtant aux observateurs un malaise et un vertige semblables ; ou plutôt, un malaise et un vertige de natures diverses, mais à une égale profondeur. Lire la suite


Stéphane Ray est né à Bruxelles et il y habite depuis cinquante-sept ans, mais c’est la toute première fois de sa vie qu’il va mettre les pieds au Rugantino, le restaurant italien du boulevard Anspach, à deux petits pas de la place Fontainas. Il doit y déjeuner avec un vieil ami d’enfance, Gino Deledda, lequel travaille à la direction commerciale de Barilla Belgio et s’enorgueillit d’être apparenté à la romancière Gracia Deledda, la lauréate du prix Nobel de littérature en 1926. Lire la suite


Mortalité

Tous les hommes sont mortels, mais certains sont plus mortels que d’autres. Par exemple, Florian est plus mortel que Fontenelle, Bellini plus mortel que Verdi, Rimbaud plus mortel que Verlaine, Radiguet plus mortel que Cocteau ou encore James Dean plus mortel que John Wayne.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Florian est mort plus jeune que Fontenelle, Bellini plus jeune que Verdi, Rimbaud plus jeune que Verlaine, Radiguet plus jeune que Cocteau et James Dean plus jeune que John Wayne. Lire la suite


L’enseigne se balance mollement dans la brise nocturne et le murmure discret des palmes froissées lui fait écho. L’inscription, peinte à la main, semble vouloir se défiler dans une oscillation continue. Quelques fractions de seconde suffisent pourtant pour que le nom du restaurant se détache, dans un faisceau de lumière. Une silhouette longiligne, vague réminiscence de l’homme en marche, saisi dans la fragile verticalité de son pas en suspens, se fond dans l’ombre que jette le mur sur le terrain. Lance à la main, le gardien masaï veille sur son troupeau de carcasses, stoppées net. Il fait les cent pas, silencieux et patient, peut‑être secrètement aux aguets. Loin, bien loin pourtant, des espaces hantés par la menace du prédateur.

Les carnivores sont à l’intérieur, de l’autre côté de l’enceinte. Civilisés : en tenue décontractée mais élégante, ils mangent avec des couverts et laissent couler sur leurs conversations des airs sirupeux joués à l’envi par un orchestre que personne n’écoute, planté sur une estrade. « Ici, on ne passe pas de musique locale, ça ferait un peu populo », crache le délégué permanent dans un rire gras à une jeune attachée qui a tendu l’oreille, et s’enquiert de l’origine des jazzmen. Lire la suite


Je m’ennuie.

Tout le monde s’ennuie. Les gens s’emmerdent, de plus en plus. Se font chier. N’en ont rien à cirer, de rien. N’en ont rien à branler.

Il faut m’excuser, je suis quelquefois grossier. Cela dépend des circonstances, du contexte. Du moment aussi. Et de ceux à qui je m’adresse. De toute façon, quelle importance ? Je m’en fous, comme je l’ai dit plus haut en termes plus explicites. Lire la suite


Vitesse, propreté, discipline, premières impressions de la bécasse en Chine.

L’ascenseur dont les portes à peine ouvertes se ferment sur les corps. Une minute d’arrêt qui permet à la foule de s’engouffrer dans le train. Une heure pour manger. Ne parlez pas, mangez ! Hop, au travail ! Ramassettes et brosses, les femmes d’ouvrage chinoises s’affairent le long des rues, le long de routes, dans les parcs, jusque devant les roues des autocars. Le moindre mégot, la moindre feuille sont ramassés. Sur le quai, on brosse. Lorsque le train démarre, en rangs serrés, quatre groupes de six travailleurs, balais le long du corps, sont au garde-à-vous. Pas un papier à terre dans la moindre ville chinoise. Pas un Chinois cracheur (sauf dans une ruelle à Xian). Propreté. Vitesse. Lire la suite



Il était assis à la terrasse du Café Belga, place Flagey. Il n’aimait pas particulièrement cet endroit convenu mais il y campait de temps à autre pour observer les jeunes bâiller bouche ouverte sur le vide, mâchoire décrochée pendant que les esprits des morts s’engouffraient dans leur gosier dilaté.

Et ça bâillait ferme dans le brouhaha des conversations de ce bel îlot branché. Ça roucoulait et prenait des poses, ça bruissait et ça se voulait original et différent. C’était joyeux comme le sont les rencontres familiales à la clôture des enterrements : sans entrain au début mais le diesel chauffe vite et les relations passent sans peine à l’intime. Lire la suite


Je pourrais même publier cette histoire sur ma page Facebook, de toute manière, personne ne me croirait. Je suis invisible et mon récit est énorme. Incroyable.

Qu’est ce qu’elle raconte cette souris ? Comment elle s’appelait déjà ? Oui, elle avait des fesses rebondies et des cheveux blonds, mais je n’ai pas vraiment fait attention à elle. Je me concentrais pour mon passage à l’antenne.

Ben oui, je ne suis qu’une petite maquilleuse dans les studios de la RTCF. La prolongation naturelle de la houppette et du pinceau de maquillage en poils de martre. Celle qui empêche les invités de briller littéralement. Le figuré, je le leur laisse. Je contribue cependant à polir leur estime d’eux-mêmes, à chouchouter leurs ego, à estomper leurs failles. Parce qu’ils le valent bien !

Croient-ils. Lire la suite


Pourquoi veut-il me voir personnellement ? Cela fait trente ans que je fais ce boulot et ça n’est jamais arrivé. Nouveau venu, nouvelles mœurs. Bien, Paul, il faut juste savoir ce qu’il me veut et lui faire entendre ce qu’il a envie d’entendre, comme tous les autres.

— Bonjour, Monsieur le ministre.

— Bonjour Paul.

À retenir : le ministre m’appelle par mon prénom. Possibilité de jouer sur l’ascendance supposée.

— Comment allez-vous ? Lire la suite