L’arme d’un crime (Uchronie)

Jean-Baptiste Baronian,

Tout a commencé le jour où, pour la première fois, j’ai entendu à la radio le nom d’Emmanuel Macron.

J’ai sursauté. J’ai d’abord cru qu’il était question de moi, puisque je m’appelle Manuel Macron, avant de me dire que c’était impossible.

Pourquoi parlerait-on de moi à la radio ? Qu’est-ce que je suis ? Je ne suis rien – rien qu’un brave pharmacien de quartier, au nord de Lille, rien qu’un bon mari et qu’un bon père de famille, rien qu’un bon fils soucieux de la santé de sa mère, rien qu’un amateur de tir aux clays ne se débrouillant pas trop mal, mais sans pour autant être capable de briller dans les divers tournois organisés par les clubs du département.

J’ai tendu l’oreille. La journaliste présentait Emmanuel Macron comme un des plus jeunes et des plus brillants conseillers de François Hollande, très calé en économie et ayant quelques excellentes idées pour assainir les finances de l’État.

La surprise passée, j’ai souri et après avoir embrassé ma femme et mes deux garçons, René et Sébastien, qui avaient à l’époque respectivement seize et treize ans, je me suis rendu à pied à ma pharmacie, à peine à cinq cents mètres de mon domicile, rue des Rouges Barres.

J’y suis chaque matin sur le coup de huit heures, quoique je n’ouvre qu’à neuf heures. Il y a toujours trente-six choses à préparer. Mon assistante, Jeanne Leroy, me rejoint vers les huit heures et demie et s’occupe de vérifier les commandes adressées aux fournisseurs et aux laboratoires pharmaceutiques. Elle est très consciencieuse. Elle a épousé un professeur de lettres, qui s’est mis à écrire des polars à la manière de Henning Mankell et dont le dernier roman, que je n’ai pas lu, pas plus d’ailleurs que les trois autres qu’il a publiés à Paris, va être adapté au cinéma avec, m’a-t-elle dit d’une voix mouillée d’émotion, Sophie Marceau et Benoît Poelvoorde dans les principaux rôles.

Jeanne Leroy avait écouté la radio et avait également cru entendre mon nom, tout comme son mari. Ils en avaient rigolé.

Tout un temps, j’en ai rigolé, moi aussi, chaque fois qu’à la radio et à la télévision, le nom d’Emmanuel Macron était prononcé. En revanche, mes deux fils se marraient moins, car au collège, on commençait à les charrier. Et cela est allé de mal en pis quand Emmanuel Macron est devenu ministre, puis qu’il a démissionné du gouvernement et que, quelques mois plus tard, il a décidé de poser sa candidature à la succession de François Hollande.

Cette macronmania m’a valu à la pharmacie de nombreuses allusions et remarques plus ou moins désagréables. On me demandait quel était mon lien de parenté avec cet homme, qui ne sortait pour ainsi dire de nulle part et qui était aujourd’hui le chouchou des médias à travers la France entière, si je le connaissais, et même s’il n’était pas mon fils, alors que je n’ai que quarante-six ans, ou peut-être mon frère ou mon neveu.

Ma femme a été pareillement assaillie de questions dans la compagnie d’assurances, où elle travaille, et où elle est responsable du service des contentieux. Et elle a été d’autant plus la cible favorite de ses collègues qu’elle se prénomme Brigitte, qu’elle est toute mince et qu’elle est blonde !

Un comble.

Ce n’était jamais méchant, non, mais il ne se passait plus un jour, sans qu’on vienne l’enquiquiner à ce sujet et lui faire savoir qu’elle ressemblait à Brigitte Macron comme deux gouttes d’eau.

En réalité, elle n’en a pas du tout les traits : son visage est ovale, sa bouche minuscule, ses pommettes saillantes, son menton légèrement pointu. Quand elle marche dans la rue, entre dans un magasin, un café ou au restaurant, personne ne se retourne et ne la prend pour le sosie de Brigitte Macron.

Ni, a fortiori, pour sa jumelle, comme ses collègues de travail en étaient de plus en plus persuadés. Certains allaient jusqu’à l’accuser de mentir et de vouloir dissimuler sa véritable consanguinité, sans doute, prétendaient-ils, parce qu’elle jalousait sa célèbre sœur ou parce qu’elle s’était brouillée avec elle après la mort de leurs parents, évidemment à cause du bel héritage qu’ils laissaient derrière eux.

J’avais toujours cru que ma femme était forte et qu’elle était au-dessus des mille et un petits ragots qu’on pouvait colporter sur elle et sur notre famille. Je me trompais. Plus l’épouse d’Emmanuel Macron occupait l’avant-scène de l’actualité, plus grandissait sa place dans le monde people, plus ses photos apparaissaient à la une des journaux et figuraient sur les couvertures des magazines, plus ma Brigitte en souffrait. Elle perdait du poids, elle manquait d’appétit, elle dormait mal, elle ne se soignait plus, elle sermonnait René et Sébastien pour des broutilles, elle me cherchait des poux.

J’avais beau lui dire que la macronmania n’avait aucune raison de nous atteindre et que nous nous étions toujours désintéressés de la politique, nonobstant nos inébranlables idées de gauche, notre ménage tournait au cauchemar, chaque jour davantage, et moi-même, à la maison et dans ma pharmacie, je n’étais plus comme avant. Je me montrais soupe au lait, j’enguirlandais mes clients et Jeanne Leroy, moi qui ai la réputation d’être un homme doux et gentil, un pharmacien exemplaire et aimé de tous dans le quartier.

C’est à mon club de tir aux clays, à La Madeleine, un dimanche après-midi, que j’ai pris ma décision.

Depuis plusieurs semaines, on avait annoncé qu’Emmanuel Macron, qui avait été élu, entre-temps, président de la République, allait honorer de sa présence l’ouverture officielle de la braderie annuelle de Lille, aux côtés de Martine Aubry.

Je me suis tout de suite dit, comme s’il y allait d’un ordre impérieux que j’aurais reçu du Ciel, que je devais agir ce jour-là, que je n’aurais plus une pareille occasion pour sauver ma pauvre Brigitte de son état dépressif, dont les effets en étaient arrivés à rendre épouvantable notre vie familiale. René et Sébastien me reprochaient à présent de m’appeler Macron et, qui plus est, de porter le prénom de Manuel, si proche de celui, exécrable, d’Emmanuel. Eux aussi, au collège, ils vivaient un enfer.

Et voilà comment un homme tout neuf, dans ses habits tout neufs de président de la République, était en train d’assassiner quatre de ses compatriotes.

Deux jours avant l’arrivée d’Emmanuel Macron à Lille, j’ai prétexté un congrès de la Fédération française des pharmaciens à Cannes pour quitter dare-dare la maison et aller me planquer dans l’appartement de ma mère, qui était partie en croisière dans la baie d’Ha-Long avec sa meilleure copine. Difficile de rêver d’une meilleure aubaine.

Personne ne m’a vu entrer, deux sacoches en toile écrue gris perle à bout de bras, le premier contenant mes effets personnels, le second mon fusil et des cartouches.

Est-ce qu’un fusil pour le tir aux clays peut tuer un homme ?

Je ne me suis pas posé la question. Ou plutôt, sans trop réfléchir, j’y ai répondu par l’affirmative : une telle arme doit tuer un homme.

J’avais tout enregistré : à quelle heure précise Emmanuel Macron débarquerait de sa voiture présidentielle à l’entrée de l’hôtel de ville, accueilli par Martine Aubry, le temps qu’il y resterait, quand il en sortirait au juste, avant d’aller déclarer devant une foule impatiente que la braderie de Lille, la plus ancienne du pays encore en activité, était ouverte.

Il fait gris. Les nuages sont bas.

Il y a beaucoup de monde sur la place de l’hôtel de ville. Beaucoup de bruit aussi. Des clameurs sourdes. Ce qui m’arrange.

De la fenêtre de la chambre à coucher de ma mère, au quatrième et dernier étage de l’immeuble où elle habite et où j’ai passé mon enfance et mon adolescence, je vois tout. J’ai pointé mon fusil droit sur le pupitre, qu’on a installé au pied de l’hôtel de ville et d’où, après son entretien avec Martine Aubry, Emmanuel Macron s’adressera à ses concitoyens de la métropole lilloise.

Je suis prêt. Le plus drôle, et je ne m’y attendais pas, c’est que je suis serein. Je pense à ma Brigitte, que je chéris de tout mon cœur depuis plus de dix-huit ans et que je n’ai jamais trompée. Je pense à mes deux fils. Je pense à la femme d’Emmanuel Macron, la première dame de France, laquelle, décidément, ne ressemble pas à la mienne.

Mon cœur ne tremble pas.

Mes mains non plus.

Je vais tirer.

Un coup, un seul.

Après quoi, certains écriront, ou récriront, l’Histoire.

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