Ordure de père

Daniel Simon,

La porte fermée, il ouvre son ordinateur et se met à écrire.

Le monde, tout à l’entour ne l’ennuie pas particulièrement, il en souffre même plus qu’il ne voudrait, il pressent de terribles catastrophes qui s’annoncent entre deux pages de pub, non, ce monde, il y est logé à la même enseigne que son voisin et ceux d’en face et de plus loin encore qu’il ne peut voir ou entrevoir les limites de son monde mais ce qu’il sait c’est que dans cet appartement, celui qu’il occupe depuis bientôt dix ans, des choses l’encombrent, des êtres manquent, des corps s’emmêlent dans ses souvenirs.

Mais ce monde est en lui et il ne peut se désencombrer de chaque chose qu’il a entassée lentement au début, mais la vitesse s’accélère, et il lui reste de moins en moins de place pour trouver sa place à lui.

Des mots, d’abord, tous ces mots qu’il a amassés depuis près de cinquante ans, ces mots vont enfin servir à autre chose qu’à nommer le monde et à y prendre place.

Aujourd’hui, il écrit pour désenchanter ce qui fut parfois un enchantement, une malédiction souvent, un rendez-vous de deuxième ordre avec la vie, une gabegie qu’il a prise pour de la liberté.

Et sa liberté est entière ce matin.

Il s’est levé après une nuit désastreuse, il a marché une demi-heure au parc et il est rentré, après avoir rempli le congélateur à ras bord.

Il a ouvert l’ordinateur et il s’est mis à écrire.

La porte fermée, il se sent parfaitement séparé de ce qu’il prétend tenter de découvrir depuis si longtemps, ce monde qui l’occupe et qui le tient d’un bras de glace à distance.

Il a tout son temps, et si la vie rétrécit, il raccourcira certains chapitres, alignera les ellipses, embrigadera le lecteur dans des copinages douteux mais efficaces.

Son appartement est constitué d’un hall de jour, d’un salon, d’une salle à manger, d’une cuisine dix-neuf cent trente donnant sur une terrasse où il a dressé un mur de plantes entre lui et les terrasses voisines, un hall de nuit conduisant à une chambre encombrée de livres et d’objets récoltés lors de voyages anciens, puis un bureau où il accumule les dossiers, les livres encore, les outils informatiques, un débarras qu’il n’ouvre que dans de rares occasions, une salle de bains qu’il a repeinte récemment en bleu et blanc, ça lui rappelle le Sud, et des toilettes au haut plafond d’un autre temps.

C’est là qu’il vit et que d’autres ont vécu avant lui, depuis 1930.

Mais ce n’est pas de cet enchevêtrement de vies et de choses passées qu’il a décidé de faire son récit. Non pas qu’elles soient particulièrement exceptionnelles, ces vies et ces choses, mais elles s’enfoncent en lui, comme une Venise funeste et il sait que le temps est venu de se délester pour ouvrir sa viande à de nouveaux organes.

  1. Hall de jour

Dans ce hall, pour la première fois, il a embrassé celle qui allait devenir sa femme. Un long baiser profond, elle a laissé échapper un petit cri et je me suis dit à ce moment que peut-être c’était ça qu’elle me disait vraiment, ce petit cri, apparu, disparu dans le même souffle, ses dents ont cherché ma langue et elle s’est pressée contre moi plus fort que je ne l’aurais osé l’espérer cette première fois. Nous avons passé la soirée à parler, elle mettait sa main sur ma cuisse comme si nous nous connaissions depuis toujours, naturellement, sans appui marqué, simplement elle déposait sa main sur une partie de moi comme si ça allait de soi. Nous avons beaucoup ri, ça, je m’en souviens parfaitement. Et nos rires nous disaient à chaque éclat que nous allions rester ensemble mais que nous ne pouvions pas encore le passer par le langage. Il a fallu trois semaines pour que nous nous le disions. Nous avions fait l’amour avant, longuement, puis rudement, partout où notre désir nous tirait. La cuisine a échappé et nous avons ri en disant que nous n’étions pas encore assez intimes et que j’aimais trop faire la cuisine pour y déployer aussi vite nos jeux sexuels. Elle a aimé, j’ai aimé. Et chaque fois qu’elle venait chez moi, le même combat recommençait : paroles, rires, caresses, pénétrations de tous ordres, somnolence et reprises. Ça a duré quatre mois.

  1. Salon

Un canapé deux places, des tables basses, des tapis, bibliothèques, musique, lumière chaude et des rires à foison. Elle se levait parfois pour regarder un des volumes de la bibliothèque, mais jamais elle n’en a saisi un seul, elle regardait, commentait, posait des questions intéressées. J’en ai trouvé certaines naïves, je dois reconnaître qu’avec le temps, je les trouvais parfois idiotes. Je dis bien parfois, j’hésitais et j’hésite encore. « Tu as lu tout ça ? » me rompait le cou à chaque fois. Mais son rire compensait tout et ses fesses me ramenaient toujours aux mêmes jeux. Je pense même qu’elle se levait pour aller scruter mes livres pour, en fait me faire admirer sa croupe, ses jambes, son dos si souple, et ses cheveux qu’elle relevait quand je lui parlais, d’une main légère, tout en me mouillant le regard des yeux. Nous avons fait l’amour à chaque fois. Et de mieux en mieux. À la fin du trimestre, nous nous sommes dit que ça y était, qu’on était mûrs pour rester ensemble. On s’est donné un mois de plus, pourvoir… On a vu.

  1. Chambre

L’amour, bien sûr, mais aussi des paroles, des caresses paresseuses, des musiques écoutées enlacés, et puis l’amour encore. Les vitres de la pièce étaient pleines de buée quand elle quittait l’appartement pour rejoindre sa fille. Elle avait une fille, huit ans, Aurélie, qu’elle adorait plus que tout au monde. Je crois que j’étais jaloux quand elle disait ça. Mais je me suis dit que j’étais un crétin, cela faisait quatre mois, Aurélie, huit ans. J’étais perdant, dès la ligne de départ. Mais ça, je ne le pensais pas vraiment, ça flottait en moi et ça me revenait, sa voix, cette phrase, son corps, notre désir. Tout se mêlait. Mais Aurélie était là. Elle me disait que je devais en tenir compte. Que c’était essentiel que nous puissions partager cet amour pour sa fille si ça devait continuer entre nous. Je n’ai pas pensé un seul instant que ce ne serait le cas. Et on a refait l’amour.

  1. Salle de bains.

Nous avons pris des bains ensemble. Elle me disait que c’était la première fois. Que son ex-mari n’y pensait même pas, que le père d’Aurélie, elle s’est vite reprise en disant le père, n’était pas fort intéressé par tout ce qui touchait à l’amour. Il était père, oui, mais sans imagination avec sa femme. Elle adorait glisser dans l’eau pendant que je la caressais en la huilant partout où elle hésitait que j’aille. Mais j’y allais et elle me reprenait en souriant, les yeux fermés. C’est dans la salle de bains que j’ai ressenti la première fois ce que serait peut-être notre intimité. Je la voyais se maquiller, faire ses cheveux, puis retirer la sortie de bains et ses fesses me rappelaient à l’escrime. Elle arrivait souvent en retard à ses rendez-vous à l’époque. Nous avons séparé les brosses à dents dans des verres de couleurs différentes, elle a déposé son démaquillant dans les boîtes de laque sur la commode repeinte en bleu qui contenait maintenant ses slips de rechange, ses bandes hygiéniques, son maquillage de base et des compresses de démaquillage. À côté, mes draps de lit frais, mes serviettes-éponges.

  1. Toilettes

Elle y allait souvent quand elle avait un peu bu. Elle disait que cette peinture de brique pilée des toilettes lui rappelait le Maroc. Que la pièce était haute comme là-bas. Chaque fois, qu’elle allait aux toilettes, elle disait « Je vais au Maroc ». Des revues de voyages, des magazines de tourisme, peut-être la retenaient là, le temps de feuilleter. En tout cas, c’est mon cas. J’imagine qu’elle aussi. Puis elle a laissé la porte des toilettes ouverte quand elle s’y arrêtait, que je passe devant ou pas, elle s’en fichait. Elle disait qu’on était assez intimes. J’ai ri mais j’étais un peu mal à l’aise. Elle a continué. Je n’ai plus rien dit. Le Maroc est resté ouvert jusqu’au bout.

Je n’aime pas les cuisines équipées, j’aime une table ronde, des armoires hautes comme en 1930, un évier en faïence… des brassées d’herbes aromatiques déposées sur le buffet que je viens de repeindre en blanc. Un blanc mode, avec des usures des éraflures, un faux vieux quoi. Mais l’ensemble me plaît. Mon épicerie surtout ; des épices et des condiments de toutes les régions du monde. Mon harem à moi, comme j’aime lui dire parfois. Je sais que chaque épice me rappelle une femme mais ça, je ne le lui disais pas. À chaque fois que je préparais un plat, un prénom me venait et souvent j’aimais les mêler dans des plats de ma composition. La cuisine donne sur une terrasse que j’ai peuplée d’oliviers, d’arbustes de jardin, de plantes de toutes sortes, une petite table au centre et deux chaises. On peut y manger à l’aise. On y a fait l’amour aussi le dernier été. J’avais peur du bruit, à cause des voisins, de ma voisine, mais surtout, je pense que j’étais intimidé par son audace grandissante. Elle menait le jeu. Ça me plaisait. J’aimais jouer les fainéants parfois et ça me relançait.

  1. Salle à manger

Elle donne sur le salon, entravée par une baie qui s’ouvre sur les fenêtres qui s’arrondissent vers la rue. Comme un bateau, affolé de pluie quand il fait temps de chez nous l’automne, pluie, à chaque saison en fait. J’ai acheté cet appartement à cause de ces fenêtres, je crois. Elles ouvraient la pièce vers l’extérieur. De la salle à manger, toute cette lumière tombe sur la table ronde comme des vitraux de sable. Des plantes vertes, très hautes que je chéris, des bibliothèques, quelques sculptures que j’ai achetées au fil du temps, des gravures, des toiles amies, un lustre en verre bleu. Nous avons mangé face à face à cette table, je me levais pour l’embrasser. Elle me rendait de longs baisers en glissant sa main sur mes fesses. J’ai adoré ces dîners qui se terminaient à la chambre ou au salon. Je lui servais des Mojitos pendant que je préparais nos agapes dans la cuisine et elle était toujours un peu « chamaillée », comme elle disait, quand j’entrais dans la pièce, les bras chargés de plats. J’étais heureux, j’en suis sûr, de ces moments plus que des autres probablement. Avec le vin, elle se « chamaillait » un peu plus à chaque verre et elle me parlait si longuement de sa vie, de ses désirs, de son métier qu’elle adorait, traductrice, de ses parents parfois, mais peu. De sa fille, aussi, qui était reliée à tout ce qu’elle me racontait. D’une façon ou d’une autre, Aurélie faisait cœur avec son travail, ses amis, sa famille, ses désirs, ses projets et nous. Plusieurs fois, elle a dit « nous ». En parlant d’elle, d’Aurélie et de moi. Je me suis habitué à ce trio que je ne connaissais pas encore. Elle attendait avant de présenter. Elle ne savait pas si Aurélie pourrait accepter que sa mère… Mais Aurélie serait la seule juge de notre avenir, ça, elle me le disait nettement, même quand elle était fort « chamaillée »… J’enregistrais, je me tenais un peu à l’écart, j’enregistrais.

Trop petit, un miroir, un téléphone de secours, j’habite au premier, donc, pas très utile pour moi. Sauf que le temps de la descente devient celui du meilleur baiser, le dernier. Elle sortait de la cage, un coup d’œil dans le miroir, le rouge à la commissure des lèvres, elle respirait plus profondément et elle ouvrait la porte en me disant au revoir comme des amis se saluent. J’étais glacé à chaque fois. J’attendais son retour pour qu’elle me réchauffe. Chaud et froid. Mais plus de chaud que de froid. Je remontais à pied, je rangeais tout, je me mettais à l’ordinateur et j’écrivais ce que je venais de vivre. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux vivre sans imaginer que ça va servir à quelque chose qui a à voir avec l’écriture. J’aime certains de mes échecs pour la matière qu’ils m’ont offerte. Je me soupçonne même de me compliquer la vie pour aiguiser mes outils, ceux qui me permettent de pénétrer au plus profond celles et ceux que je croise. Pour les voler subrepticement de ce qu’ils ignorent parfois. Ça fait du matériau. Pour écrire, pour mourir aussi.

C’est là que mon ordinateur, mes encyclopédies, mes livres de référence, mes classeurs, tout mon barda professionnel se trouve. Une longe table aussi avec des couleurs, des pigments, des pinceaux, des râpes… J’aime la nuit me mettre à ces exercices plastiques, je calligraphie des textes que je murmure mais que m’efforce à rendre illisibles, je passe ces toiles sous la douche, je les recouvre, je m’amuse et je me sens heureux. Certaines sont même accrochées dans mon, hall de nuit. J’écris ici chaque jour, un peu de tout, mais c’est le soir, depuis je ne sors plus, que j’écris, loin des rencontres, des embrassades, des énergies non renouvelables que sont les mondanités et les soirées solitaires et si ennuyeuses. J’écris en sachant que je coule ; mais n’est-ce pas les vraies raisons de l’écriture, on sait qu’on coule, et on reste à bord, jusqu’au bout, avec la seule pauvre planche que nous avons, arraché de toutes parts, des mots qui sonnent ici autrement que là, des histoires encombrées de fantômes et des regards sur le lointain du ciel. C’est là aussi que je chipote ma communication, que je réponds ou pas au téléphone, que j’écoute mon répondeur, que je consulte debout mes catalogues, dictionnaires et autres gros volumes. Elle vient rarement ici. Elle reconnaît mon antre, dit-elle, c’est le bureau du Maître ! Elle me dit souvent cela avec un sourire que je sens maternel. Elle me laisse seul chez moi par respect, dit-elle. Je déteste ce mot, respect, je le hais de toutes mes forces depuis qu’il est devenu le dernier mot qu’on donne à la censure, je le conchie ce respect pisseux mais je ne peux rien lui dire de ça. Mors je marmonne un peu timide, qu’elle est la bienvenue, qu’elle peut entrer, qu’elle est chez elle. Alors, elle me prend dans ses bras et elle m’embrasse plus profond encore que d’habitude, mais rapide, très rapide, comme si le lieu ne s’y prêtait pas.

  1. Chez elle.

Tout est différent de chez moi, lisse, bien ordonné, luxueux et mode. Je suis un peu soufflé depuis que je sais qu’au plus profond elle n’est pas mon amie d’instinct. Je ne sais pas encore cela mais je le ressens, elle n’aime pas ce que je suis, mais je l’intéresse, je l’amuse, je l’excite, je l’apaise et je la comble. Aurélie arrive, mignonne, grande, cheveux châtain clair, tee-shirt et jeans délavés, une coquette. Elle est adorable, elle parle lentement pour que je comprenne qu’elle pense profondément ce qu’elle me dit. Elle articule aussi respect, confiance, première fois, maman, apprendre et d’accord. Elle est d’accord pour que nous poursuivions notre relation, sa mère et moi. Et elle vient me donner un baiser tout mouillé sur la joue. La soirée se passe bien, je la trouve attachante Aurélie, très. Elle a peur de tout ce qui est vivant, l’herbe, l’eau, la terre, marcher pieds nus, alors je lui apprends peu à peu les touts petits secrets de la vie pour ne pas grandir comme une enfant vide de toute expérience et sa maman est heureuse. C’est comme ça que ça se passe, presque toujours. Pour le moment, tout le monde est heureux. Je n’ai pas oublié la Fête des Mères, le mois suivant et on s’est serré tous les trois. Je n’avais jamais connu ça, et je trouvais le tout merveilleux. Cette petite fille qui m’arrivait presque tout éduquée et en demande de père, elle ne disait pas beau-père ou quoi que ce soit d’idiot, l’ami de ma mère, son compagnon, son amoureux, non elle disait papa. J’aimais ça mais je n’en voulais pas au nom de son père ou d’un truc plus compliqué encore, mais elle disait papa. Je lui demandais de m’appeler par mon prénom mais papa revenait, à chaque fois.

  1. Administration communale

On s’est mariés vite, car la petite avait son cours de danse ou autre chose dont je ne me souviens plus et sa maman était prise tous les week-ends par son travail. On a donc fait ça en semaine. Discrets. On n’est pas pour les cérémonies officielles, ni elle ni moi, je pense qu’on est d’accord là-dessus, ce sont des conventions d’un autre âge. Alors, on l’a fait cool. Mais c’était bien. Elle s’est serrée contre moi et je me suis senti si lourd tout à coup, lourd à en mourir. C’était l’émotion, probablement, les responsabilités nouvelles, une vie plus vraie qui arrivait à moi. Je me devais d’être heureux.

  1. Partout

Nous sommes restés quatre ans ensemble. De beaux moments, des vacances, les devoirs d’Aurélie, la vitesse, tout ce qui se remplissait de soi, les journées passaient comme des heures et le soir nous laissait un peu hagards. On a fait l’amour alors comme des rois. Pour rechercher les moments du début, pour les réinventer, pour s’en promettre d’autres ? Mais ça ralentit. Tout ralentit. On a regardé la télé ensemble.

  1. Chez moi — Salon

Je lis la requête du Juge qui me dit que je me suis mal comporté, que des attouchements, des gestes qui impliquent… ont été commis à l’encontre d’Aurélie. Je lis et relis. Je suis glacé, j’ai peur, je tremble, je ne sais que relire ou lire encore. Je pleure, je crie même. Aurélie aurait dit… Mais je ne comprends plus rien. Je téléphone à sa maman, je parle corne un dératé, je m’excuse, elle m’écoute, elle est outrée, elle me dit que rien n’aurait pu laisser croire mais qu’Aurélie a dit. Et qu’Aurélie, c’est sa vie. Et que je suis une ordure. Une ordure de père. Même pas un vrai père. Un père de deuxième main. Une ordure quoi. J’écoute le mot ordure et je suis calme. Comme si elle m’avait jugé enfin pour une faute que je n’ai pas commise mais dont je reçois le châtiment pour être exonéré de tout enfer possible. Je suis coupable, coupable de rien mais le verdict sonne juste et c’est bien. Ordure.

  1. Tribunal

Tout très bruyant puis silencieux, des gens qui passent, des têtes que je ne connais ni de rêves, ni de cauchemars. Des têtes, sans plus. La Juge parle. C’est long. J’entends ignominieux, etc. Tout ce que je sais qu’on doit dire à ce moment-là pour détruire un homme. Je dis, je me reprends, je me tais. Vous n’avez plus d’emploi fixe. Monsieur, vous êtes un homme interlope, c’est ça, interlope. Je venais d’être viré. Par précaution. Elles rient toutes les deux dans un frémissement à peine perceptible des paupières. Je suis dehors. Sonné.

J’ai raconté, expliqué. Tout ce que je pouvais faire, je l’ai fait. Vite la presse est arrivée. J’étais formateur, comment pourrais-je encore ? Ça a duré deux ans. Aurélie a toujours soutenu que je l’avais. La presse y revenait quand elle était en manque. Le débat des valeurs, le glissement des désirs, les limites, tout a été dit. La messe était faite. Des psys, des assistantes sociales caquetant leur bienveillance et leur horreur, des éducateurs plus intransigeants que n’importe quel kapo, ils savaient ; elles savaient, ils connaissaient, elles connaissaient ces situations et il fallait, pour le bien de l’enfant.

  1. Chez moi — Bureau.

Voilà, j’écris, il est 21 h 59, je viens de lire la lettre de la Juge, les dernières conclusions de nos avocats, je suis perdu.

Je décide de sauver ce fichier, je le transfère sur un disque dur externe que je place dans une petite boîte. J’écris, voici la clé sur le couvercle.

  1. Hall d’entrée

J’ai écrit très joliment « Je suis dans l’escalier », parce que ça sonnait vieille maison, cap et d’épée, ou comme dans un film de Sacha Guitry, je ne sais, j’entendais sa voix à cet instant, et il me disait de sa voix nasale et profonde que je pouvais encore jouer un instant. J’ai déposé alors le carton sur la commode dans le hall. Je suis retourné dans mon bureau.

  1. Bureau

J’ai revisité le tout du regard pour finir par éteindre l’ordinateur et écraser mes disques durs. Ça a pris une quinzaine de minutes. Pendant tout ce temps, je pensais à ces merdes que je récoltais parfois pour en écrire d’autres mais qui me tenaient debout.

  1. Hall d’entrée.

La chaise la plus solide, c’est celle de la cuisine. J’ai toujours eu le vertige et je souris en pensant que cette fois, c’est inutile. Elle est bien stable. Je monte.

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