C’est l‘anniversaire de Pépé et il a exprimé un vœu. Nous nous débrouillons alors pour l’exaucer. Tâche difficile car interdite. Le soir nous allons le chercher à la maison de retraite. Il est prêt et il nous attend devant la porte, tapotant sa canne contre le sol avec impatience et il a l’air d’un gamin qui s’apprête à faire une bêtise. Nous lui avions pourtant expliqué qu’il ne devait rien raconter aux autres pensionnaires. Nous sommes en mission secrète.

Nous traversons la ville à 50 km à l’heure dans notre voiture électrique. Des beaux quartiers, nous passons aux périphéries plus pauvres, avec leurs maisons délabrées et des graffitis jetés à toute vitesse sur les murs : « Green is the new red ».

Nous tentons malgré tout de maintenir une conversation insouciante.

« C’est difficile ! Tout change tellement vite ! » nous dit Grand-Père d’un air nostalgique.

Nous sommes nés dans le Nouvel Ordre. Nous connaissons les habitudes de jadis grâce aux conversations avec nos parents et grands-parents. On nous racontait que jadis le plastique régnait. Même les cornichons au supermarché étaient vendus dans ce type d’emballage. Le nec plus ultra était de manger végétarien une fois par semaine, pour sauver la planète. Néanmoins, les gens continuaient de partir en vacances en avion plusieurs fois par an.

Maintenant tout cela n’est plus possible. Plus de plastique, plus de viande, plus d’avions. Le CO2 n’est pas encore sous contrôle, mais au moins la fonte des glaciers a été ralentie ces vingt dernières années.

Nous arrivons devant une maison dégradée qui semble vide.

« C’est ici ! Descendons ! » dit mon père.

Je m’avance pour sonner à la porte afin de m’assurer que nous sommes au bon endroit. La porte s’entrouvre et je donne le mot de passe que j’ai obtenu lorsque j’ai fait la réservation. Notre grand-père approche lentement, s’appuyant sur sa canne. Nous entrons. Le restaurant a l’air tout à fait normal, avec des tables habillées de nappes à carreaux, style trattoria.

Un serveur nous conduit vers une pièce séparée, au fond de la salle. Un couple dîne à une table dans un coin. L’odeur nous prend à plein nez.

« Ah, que ça sent bon » s’exclame mon grand-père.

Pour moi, qui n’ai pas l’habitude, cette odeur me semble bizarre, voire désagréable.

« Alors, je voudrais un steak saignant » demande mon grand-père souriant.

Quant à nous, nous commandons des plats végétariens, car nous savons que la viande peut être difficile à digérer quand on n’a pas l’habitude d’en consommer.

Les plats arrivent. Mon grand-père dévore son morceau de viande.

« Ah, que c’est bon ! Vous ne savez pas ce que vous ratez, là ! »

Il se tourne vers moi. « Tu ne veux pas goûter ? » me dit-il avec un clin d’œil.

Je secoue la tête. Je ne peux pas m’empêcher de regarder cette horrible masse saignante. Mon estomac commence à protester. « Non, merci ! » dis-je poliment en détournant le regard.

« Ah, si savoureux ! » dit encore mon grand-père. Et soudain :

« Et cette fille… Gitta… celle qui a lancé tout ça… qu’est-elle devenue ? »

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