Marginales 292 – Les calepins de Jean-Pol Baras

Jean-Pol Baras,

Mardi 1er décembre – Hier, le journal La Voix du Nord, issu de la Résistance, présentait une photo sombre de Marine Le Pen en son Une avec un titre en pleine page : Pourquoi une victoire du FN nous inquiète. Rebelote aujourd’hui avec un dossier annoncé en première page : Marine Le Pen et le FN ne sont pas ce qu’ils disent. Ces gestes courageux seront-ils efficaces, utiles ? Réponse dimanche soir lors des résultats du premier tour des élections régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie.

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Entendu dans une librairie de La Hulpe à propos des attentats du mois dernier : « Tu as vu ? En une heure à Paris, des terroristes ont tué presque autant de personnes que toutes les routes françaises en un chassé-croisé de 15-août ! »

Mercredi 2 décembre – Dans la série Apocalypse réalisée par Isabelle Clarke avec la voix de Mathieu Kassovitz aux commentaires, TV5 Monde propose une soirée consacrée à Adolf Hitler. L’occasion de constater que son ascension au pouvoir n’a pas été si aisée qu’on ne le croit, que le peuple allemand ne lui octroyait pas sa confiance lors des divers scrutins électoraux et qu’il dut en vérité user de la force pour le dompter. Non, Hitler n’est pas arrivé à la tête de l’État par le biais du suffrage universel. Ajoutons de surcroît que malgré l’éviction des députés communistes du Reichstag et leur déportation dans des camps de « rééducation civique », les 94 députés socialistes de l’Assemblée se sont encore opposés aux pleins pouvoirs que le futur tyran sollicitait. Ils le payèrent aussi très cher.

Jeudi 3 décembre – Les Danois rejettent par référendum le projet de rapprochement judiciaire avec l’Union européenne pour mieux lutter contre le terrorisme, notamment grâce à une coopération policière coordonnée. Aucune perspective d’amplification de la construction européenne n’a des chances d’aboutir ces temps-ci. Nous sommes dans un tunnel. Il faut se concentrer absolument sur la petite lueur qui apparaît au loin. Comme l’évoquait Victor Hugo : « Dans l’obscurité, la bougie est un phare ».

Samedi 5 décembre – Le Monde découvre l’eau tiède. « Il faut donc prendre le parti d’extrême droite au sérieux ». Ainsi commence la deuxième partie de son éditorial. Le prendre au sérieux ? Plus que jamais, car si le FN n’était pas encore dominant demain dans les chiffres, sachons que ses idées le sont déjà dans les esprits.

Dimanche 6 décembre – Dans Le Journal du Dimanche, Anne Roumanoff invente des dictons. Deux d’entre eux, assez bien élaborés, concernent Bernard Tapie :

— Bien mal Tapie ne profite jamais.

— Plutôt que de te lamenter d’avoir, à 72 ans, 404 millions d’euros à rembourser, pense à tous ceux qui, à ton âge, touchent 404 euros par mois comme retraités.

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Depuis Pierre Daix (Aragon, une vie à changer, Flammarion, 1975), y a-t-il encore une bonne raison de lire un autre ouvrage consacré au fou d’Elsa ? Est-il toujours possible d’écrire une biographie plus complète et surtout plus juste ? Car sans avoir vécu aux côtés de ce diable d’homme comme rédacteur en chef des Lettres françaises, peut-on dissiper l’épais brouillard dont il aimait tant s’enrober ? En tout cas, Philippe Forest vient de s’y risquer en un fort volume de 896 pages (Aragon, Gallimard). Une belle occupation pour les longues soirées d’hiver. Lire ou relire Louis Aragon en conservant à l’esprit cette authentique approche proposée par Jorge-Luis Borges : « Raconter la réalité comme si c’était un mensonge ».

Lundi 7 décembre – Parmi les points que Barack Obama laissera dans la colonne négative lorsque viendra l’heure du bilan figurera peut-être un combat perdu contre la vente libre d’armes à feu. Dieu sait pourtant s’il aura sensibilisé maintes et maintes fois ses concitoyens à ce dangereux commerce. Mais les lobbys veillent. La tuerie californienne de la semaine dernière a peut-être amorcé un courant favorable à l’interdiction des ventes libres. Par deux fois déjà, en quelques jours, et avec des titres bien visibles, l’influent New York Times a suggéré de « stopper l’épidémie des armes à feu ».

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Jack Lang parle d’un « homme d’État » dont il convient de saluer « l’étonnante dureté au mal », son « empathie », son « courage intellectuel », sa « stature ». Lang vient de faire paraître un Dictionnaire amoureux de François Mitterrand (Plon). Pas de doute, il est occupé à faire la promo de son livre. Que nenni ! Il évoquait la personnalité de François Hollande !

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Nani Moretti est passé maître dans l’art de saisir les caprices de la réalité quotidienne pour bâtir une trame narrative très personnelle. Quand celle-ci repose sur l’histoire de la fabrication d’un film, on baigne dans un jeu de miroirs entre le tournage accompli et celui qui s’élabore tant bien que mal. Et si, en toile de fond, interviennent régulièrement des scènes de la fin de vie d’une mamma, on obtient une belle œuvre cinématographique, remarquablement échafaudée, où il manque cependant, comme toujours chez Moretti, la petite touche pétillante qui donnerait à l’œuvre une facture éblouissante et qui lui permettrait d’obtenir une palme d’or. Cannes ne la lui a pas décernée au printemps dernier, on le comprend : Mia madre est une très bonne réalisation cinématographique, ce n’est pas un chef-d’œuvre.

Mardi 8 décembre – Par-delà les enquêtes et les investigations ; par-delà les perquisitions et les arrestations ; par-delà les lois et les sanctions ; par-delà les procès et les condamnations ; par-delà les actes de guerre et leurs opérations ; par-delà les destructions, les éradications ; il nous faudra désormais vivre avec des semblables dont la devise est : « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie ». Inédit ? Sûrement pas. Aurait-on oublié qu’en 1936 lors de la Guerre civile espagnole, les troupes franquistes exterminaient les républicains en criant : « Viva la muerte ! » ? Pas inédit donc, mais mieux répandu, plus mondialisé en somme.

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Il est devenu tellement banal de qualifier Fabrice Luchini des plus munificentes épithètes ! Et pourtant, sombrons dans la banalité : Fabrice Luchini est magnifique dans L’Hermine, le film de Christian Vincent. Le rôle de magistrat lui sied à merveille, lui qui sait manier les tons de la langue française selon les circonstances du propos. Sans doute entraîne-t-il Sidse Babett-Knudsen, sa partenaire amoureuse, à se surpasser aussi, mais le talent d’Éva Lallier, la jeune comédienne qui joue le rôle de sa fille, n’a rien à devoir au grand diseur. Il importe de suivre son parcours d’actrice. (S’il est très prétentieux de prendre Luchini en défaut d’authenticité quant à un texte poétique, il faut néanmoins signaler à Christian Vincent que son acteur principal cite le poème Les Passantes d’Antoine Pol chanté par Brassens en énonçant les premiers vers, « J’aimerais dédier ce poème… » alors que le texte originel est « Je veux dédier… »)

Mercredi 9 décembre – À la liste impressionnante de films d’espionnage relatant la période de Guerre Froide entre l’Union soviétique et les États-Unis manquait une réalisation de Steven Spielberg. C’est désormais chose faite avec Le Pont des espions où quelques scènes spectaculaires dues au talent du cinéaste – comme les moments de la construction du Mur de Berlin – pimentent la tenue en haleine. En bon américain qui se devait au happy end, Spielberg n’omet pas les instants mélos de la fin de l’aventure où l’épouse et les enfants, émus aux larmes, congratulent le héros incarné par Tom Hanks, parfait dans son rôle, en une scène gnangnan qui restera dans la filmographie de Spielberg comme un navet doré à la boutonnière d’un génie.

Mardi 15 décembre – Profitant du Jubilé de la miséricorde, le pape François vient de publier un texte dans lequel il demande que l’on favorise l’intégration des migrants. Il s’adresse aussi à tous les gouvernements qui maintiendraient encore la peine de mort de l’abolir. On attendait cette dernière position de l’Église catholique, pas très diserte sur le sujet. Quand on sait qu’en guise de repentance, Jean-Paul II a reconnu le 31 octobre 1992 que le tribunal du Saint-Office s’était trompé en condamnant Galilée le 22 juin 1633, on ne peut que saluer l’accélération des positions du Saint-Siège sous l’impulsion de François.

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Une quarantaine de restaurants français (non, le mot est trop fort…) d’établissements qui vendent de la nourriture sous l’enseigne Quick vont désormais distribuer uniquement de la viande halal. Un commentaire ? Plutôt qu’un gros mot, un gros rot.

Mercredi 16 décembre – En 1952, Patricia Highsmith choisit un pseudonyme pour narrer une histoire de lesbiennes. À présent que le sujet ne risque plus de déclencher des ennuis judiciaires dans la grande nation des puritains à la pudibonderie souvent déplacée, Todd Haynes adapta le roman au cinéma. Si ses tableaux étaient un peu moins léchés, il aurait réalisé un grand film. Grâce au jeu éblouissant de Cate Blanchett, le spectateur est conduit dans un univers sentimental dont le crescendo captivant donne quand même à ce film un intérêt exceptionnel. Pour son interprétation, Cate Blanchett obtint le Prix de la meilleure actrice à Cannes cette année. Un trophée justifié.

Jeudi 17 décembre – Dans une Lettre de Budapest transmise par Joëlle Stolz, Le Monde révélait que « La Hongrie est d’une grande indulgence envers des personnalités qui ont collaboré avec l’Allemagne hitlérienne. » Une occasion de revoir Music box, ce formidable film lancinant de Costa-Gavras (1989) où Jessica Lange, avocate, défend son père, soupçonné d’être un ancien nazi hongrois.

Vendredi 18 décembre – Avant d’entamer son long périple, le Père Noël s’est arrêté au Conseil de Sécurité de l’ONU. Un accord vient d’y être signé pour l’établissement d’un cessez-le-feu en Syrie et le retour à un État organisé selon des règles démocratiques. Sergueï Lavrov et John Kerry paraissent se préparer à boire une chope ensemble au bistrot du coin, près du célèbre building parallélépipédique. On se frotte les yeux en attendant le début des échanges et négociations, dès les premières heures de janvier. Comme quoi, quand « la communauté internationale » veut, elle peut.

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Le Financial Times classe François Hollande parmi les 30 personnes les mieux habillées au monde. Ça, même ses plus ardents soutiens n’auraient jamais osé l’espérer ; ils n’auraient pas joué un kopeck sur pareil verdict. Quant à toutes celles et tous ceux qui, à raison, ironisaient sur ses cravates de travers, leur latin de vestiaire est à revoir. À moins qu’ils préfèrent se désabonner du Financial Times…

Samedi 19 décembre – Écrire, déclarait Amélie Nothomb au Monde des Livres le 9 octobre, c’est « transformer une simple mondanité en une extravagante féerie où, l’espace de quelques heures, on devient le superbe personnage que pour d’absurdes raisons on n’est pas au quotidien. » Peut-être se souvenait-elle de ce propos lorsque, reçue à l’Académie de Langue et de Littérature françaises de Belgique, elle devait rendre hommage à celui dont elle occupera le fauteuil, Simon Leys. Dans un style enjoué ponctué de quelques clins d’œil humoristiques, elle évoqua son enfance à Pékin, sa découverte, jeune, de l’œuvre de Leys, sans vraiment se livrer à une exploration profonde mais en ne manquant pas cependant de louanges. Bien entendu, l’exercice fut très apprécié. On aurait aimé cependant qu’elle s’attardât quelque peu sur les réflexions à propos de l’art d’écrire de son illustre prédécesseur, ou qu’elle détaillât les arguments que Leys, en bon sinologue pouvait avancer afin de dénoncer les horreurs du maoïsme. Car Les Habits neufs du président Mao restera une balise essentielle dans l’histoire contemporaine et quand Leys décomposa Maria-Antonietta Macchiocchi sur le plateau d’Apostrophes le 27 mai 1983, il déboulonna une statue de la gauche dont les libraires s’en souvinrent dès le lendemain. Mais Amélie Nothomb était à l’aise dans ce palais, elle s‘imposait dans une belle langue, et lorsqu’on apprit qu’elle avait confié à Jean-Claude Vantroyen, critique littéraire du Soir, qu’elle était tombée en pleurs deux heures avant la séance, on s’est dit que Madame reste un être humain fragile, comme toutes les vraies stars.

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Matthieu Ricard ? Un jusqu’aubouddhiste.

Mercredi 23 décembre – On trouve encore des naïfs qui aiment clamer : « Il n’y a que les mecs qui aiment faire la guerre ! » Renaud le chantait autrefois, en faisant une exception pour Madame Thatcher. Évidemment, si on soutient le contraire, on passe pour un misogyne, on rame à contre-courant puisque le temps est à rétablir une égalité hommes-femmes dans les postes à responsabilité (en oubliant bien entendu l’égalité des salaires). Il faudra pourtant accepter encore une autre exception, celle de ces femmes qui se parent d’un faux ventre pour simuler une grossesse et qui cachent sous leur tablier la panoplie du parfait djihadiste. Placer des instruments qui tuent à l’endroit où se crée la vie, c’est encore un sommet atteint dans l’horreur.

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Il ne faut pas toujours déboulonner les statues mais il est souvent imprudent de les vénérer. Charles de Gaulle témoignait de l’admiration pour le sanguinaire général Franco. Personne n’est parfait. Quand il quitta le pouvoir, il rendit une visite remarquée au Caudillo. Ses partisans plaidèrent la vie privée, l’affaire n’enfla point. C’était oublier qu’en octobre 1964, le même de Gaulle, président de la République, avait effectué un voyage en Amérique latine. Au retour, il envoya le message suivant à Franco : « Au cours du magnifique voyage que je viens de faire en Amérique du Sud, j’ai trouvé partout la marque des nobles traditions et de l’héritage culturel de l’hispanité. Au moment où je survole le territoire espagnol, je tiens à en apporter le témoignage à Votre Excellence en lui adressant, avec mon salut le plus cordial, les assurances de ma très haute considération ». Mon salut le plus cordial…

Jeudi 24 décembre – Des établissements pénitentiaires canadiens viennent de constater une baisse d’agressivité sensible chez leurs détenus. Le résultat fut obtenu après avoir offert à chacun d’eux la compagnie d’un chien. Plutôt que de larguer des bombes sur l’État islamique, peut-être faudrait-il parachuter des clébards.

Samedi 26 décembreLa Vie très privée de M.Sim. Ce film de Michel Leclerc réalisé d’après le roman éponyme de Jonathan Coe (Gallimard, 2011) pourrait illustrer dans sa quasi-totalité une pensée d’Emil Cioran, « De l’inconvénient d’être né ». Au bout du compte, on s’aperçoit que c’est plutôt « De l’inconvénient d’avoir constaté très tard que j’étais homosexuel ». D’où un malaise, le héros de l’histoire transmet sa déprime au spectateur. Celui-ci conserve cependant un bon souvenir du visionnage car par bonheur, le héros, c’est Jean-Pierre Bacri. Et il est for-mi-da-ble.

Dimanche 27 décembre – La presse nous présente l’information en sollicitant notre charité : l’Arabie saoudite est atteinte par l’austérité. Ce pays d’un autre âge, qui compte des dizaines de milliers de serfs, beaucoup de vassaux, quelques souverains et une noblesse dirigeante dont les palais suintent sous les pétrodollars, celle oligarchie masculine misogyne ne parvient pas à boucler son budget. On n’est pas loin de penser que l’Union européenne pourrait lui venir en aide… Non mais… Et quoi encore ? Cette semi-faillite ne doit nous inquiéter que sur un plan : l’Arabie saoudite abandonnera peut-être ses dépenses militaires causées par la guerre au Yémen. Or, si les fous d’Allah s’emparaient du Yémen, ils contrôleraient la corne de l’Afrique, c’est-à-dire l’alimentation en pétrole de l’Occident. Notamment…

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Voici que s’ouvre la semaine où le peuple fréquente le plus la littérature. C’est la meilleure manière d’entrer en lévitation sans délaisser une indispensable lucidité, mais en retenant ce que déclarait Mario Vargas Llosa au Monde le 10 octobre : « Si nous nous appliquons à créer des univers de fiction qui rivalisent avec la réalité véritable, c’est, semble-t-il, parce que le monde réel, d’une certaine façon, ne nous suffit pas, incapable qu’il est de satisfaire nos appétits et nos rêves. »

Lundi 28 décembre – Hommage à Ray Charles.

Entendu à la terrasse du restaurant Bel Air, Courchevel 1650 :

— Comment vous appelez-vous ?

— Agathe

Agathe a woman… !

Mardi 29 décembre – Statistiques à méditer :

— 1 % des États-uniens sont musulmans

— 42 % d’entre eux croient qu’il y a 10 000 ans, les hommes et les femmes étaient de même corpulence qu’aujourd’hui. Ils sont entièrement convaincus par les idées créationnistes et inscrivent leurs enfants dans des écoles qui les enseignent.

Mercredi 30 décembre – L’année 2015 aura été l’année la plus chaude de l’Histoire. Ne jamais oublier cependant qu’en l’occurrence, l’Histoire en question ne commence qu’en 1880, année où pour la première fois des relevés météorologiques furent enregistrés.

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Un + Une, de Claude Lelouch. Ceux qui aiment le cinéma de Lelouch retrouveront avec bonheur les raccourcis, les histoires narrées en parallèle et qui se recoupent, les allusions et les sous-entendus, les insertions de scènes oniriques déviant la trame, etc. Point de caméra tournant autour des héros cependant… Mais la musique de Francis Lai, bien sûr. L’histoire est cousue de fil blanc mais le couple Jean Dujardin / Elsa Zylberstein fonctionne en bonne complicité remarquable et les vues de l’Inde sont envoûtantes à souhait.

Vendredi 1er janvier – En France, les deux anniversaires mitterrandiens (20e de sa mort, 100e de sa naissance) s’inscriront dans le paysage politique. Ils voisineront avec le 500e anniversaire de la parution de L’Utopie, le maître ouvrage de Thomas More. Il ne faudra pas oublier non plus le 100e anniversaire de Léo Ferré, ce poète anarchiste qui se permit de mourir un 14-juillet. Mitterrand, More, Ferré. En supposant qu’on puisse les commémorer en une même cérémonie, cela donnerait un hommage assez pittoresque ; beau défi pour l’orateur chargé du discours.

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Les deux livres les plus vendus en France l’an dernier : Traité sur la tolérance de Voltaire et Paris est une fête d’Hemingway. On n’ira pas jusqu’à conclure que les attentats avaient du bon. En revanche, on pourrait tirer d’autres conclusions : il faudrait, par exemple, conseiller à toutes les femmes qui trompent leur mari par ennui de lire Madame Bovary ; ça ferait aussi un fameux succès de librairie.

Samedi 2 janvier – En raison des attentats du vendredi 13 novembre, l’émission On n’est pas couché de Laurent Ruquier qui avait été enregistrée quelques heures auparavant pour être diffusée le samedi 14 avait été déprogrammée. Elle est proposée ce soir. L’invité politique était Malek Boutih, député socialiste de l’Essonne. De mémoire de téléspectateur assidu, aucune prestation politique du plateau de Ruquier ne valait celle-là. Malek Boutih était tellement brillant dans l’exposé et la défense de ses convictions ainsi que dans les répliques passionnées mais claires et concrètes que le public d’ordinaire silencieux lui réserva des ovations tandis que Léa Salamé et Yann Moix, les deux partenaires de Ruquier, se voyaient enclins à complimenter le parlementaire. Évidemment, le ruban qui se déroulait régulièrement au bas de l’écran, rappelant que l’émission avait été enregistrée juste avant les attentats, ne faisait que renforcer la pertinence des positions de Malek Boutih. Un grand moment de télévision par le biais d’une émission qui verse souvent plutôt dans la politique spectacle, ainsi du reste qu’on la conçoit.

Dimanche 3 janvier – Dans son dernier éditorial de l’an passé, Jean Daniel saluait la personnalité de François Hollande en soulignant le succès « spectaculaire » de la COP 21 et en incluant son portrait dans la silhouette de François Mitterrand. Un texte de plus (encore un venant de Daniel) à verser dans les repères à compulser quand viendront les heures du bilan. Mais tout à coup, au lieu de clore son propos par une envolée comme il nous a si souvent habitués, le voilà qu’il prend un chemin de traverse qui mêle à l’ambiguïté de la compréhension un mystère étrange : « Rassurez-vous, le cynisme n’est pas mon fort, je suis, je reste et je demeure rocardien. Et tant que j’aurai une responsabilité comme c’est le cas, je veillerai à ce que ce journal, en continuité avec Le Nouvel Observateur, demeure dans la fidélité. » Le père fondateur sentirait-il que la ligne de son hebdomadaire est en train de jaunir ?

Lundi 4 janvierIxcanul, film franco-guatémaltèque de Jayro Bustamante. Une histoire très ordinaire, comme il doit s’en vivre tous les jours chez les paysans. Ceux-ci sont très pauvres et tentent de faire pousser de la nourriture au pied d’un volcan infesté de serpents. Leur fille subira deux morsures. La première est due à Pepe, un jeune homme beau et différent des autres. Il rêve de fuir aux États-Unis « où il y a des maisons avec des jardins » Elle voudrait l’accompagner dans son aventure mais il la délaissera dès qu’elle se sera donnée à lui. La deuxième piqûre lui vient d’un reptile. Elle aurait pu lui être fatale, elle ne déterminera que son destin. Sa vie, on le devine, sera triste à mourir, comme un volcan éteint.

Samedi 9 janvier – Après trois ans de présence à l’Élysée, Nicolas Hulot s’oriente vers une nouvelle étape dans sa vie et ses combats. Qu’on ne s’y trompe pas : il ne peut que se féliciter de son partenariat avec François Hollande. Mais voilà : la COP 21 est désormais derrière eux. Son avis à ce propos ? « Dans la phase diplomatique, c’est un moment historique ; sur un plan climatique, nous ne sommes pas à la hauteur. » C’est sûrement juste comme analyse, mais lorsqu’il s’agit d’accorder près de deux cents nations sur un texte commun, la recherche du succès se confond avec celle du possible.

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Un nouveau prix dans le domaine du cinéma. Le Coup de chapeau, dont le jury est composé d’une trentaine de journalistes spécialisés formant le Club Média Ciné, couronne le film le plus audacieux de l‘année. Pour 2015, le lauréat est Le Fils de Saul de Lázló Nemes. Si celui-ci doit être heureux de cette décision, il attend sans doute surtout les verdicts des deux compétitions prochaines où il est nommé, les Golden Globes et les Oscars.

Dimanche 10 janvier2016, une année shakespearienne. Il y a 400 ans, Shakespeare disparaissait. Le Monde consacre une page entière au plus illustre des écrivains britanniques avec notamment un témoignage du Premier ministre David Cameron. Que la rédaction de ce grand journal n’oublie cependant pas que le même jour, 23 avril 1616, décédait aussi le plus illustre des écrivains espagnols, Miguel de Cervantès. Difficile toutefois de donner la plume au Premier ministre espagnol puisque Mariano Rajoy n’a plus la main depuis les récentes élections législatives et que Podemos, la formation d’extrême gauche, bloque toutes les initiatives socialistes. On s’oriente peut-être vers une grande coalition à l’allemande ou à de nouvelles élections, comme en Catalogne où l’éventuelle formation d’un gouvernement régional est aussi bloquée. En ces journées où la passion de François Mitterrand pour la littérature est soulignée de long en large, on pourrait se dire que l‘ancien président aurait aimé célébrer en parallèle Don Quichotte, Macbeth et Hamlet en laissant traîner dans son texte quelques allusions aux personnages d’aujourd’hui.

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Le Grand partage, film d’Alexandra Leclère. Une comédie distrayante sur fond de problèmes réels, la crise du logement à Paris en hiver. Un peu trop caricatural, surtout à la fin ; trop de clichés alors que le sujet a sa pertinence. L’auteur n’échappe pas à la confusion habituelle entre solidarité et générosité ce qui conduit le citoyen engagé dans sa propre impasse et le bourgeois égoïste dans une fausse remise en question. Inévitablement, quand le printemps revient, tout rentre dans l’ordre : les pauvres d’un côté, les riches de l’autre, et les vaches seront bien gardées. Karin Viard, une fois de plus excellente, devrait se voir offrir un grand rôle sous peu.

Lundi 11 janvier – Mais bon sang, quelle est cette mode qui pousse certains parents à ne pas faire vacciner leurs enfants ? Rien qu’à Colmar, par exemple, au cours du premier semestre 2015, 100 élèves ont contracté la rougeole. Le monde a interrogé la mère de deux d’entre eux qui répond : « la maladie a été assez forte mais on a assumé. Je n’ai pas regretté de ne pas les avoir vaccinées ». Dirait-elle la même chose si ses filles avaient été atteintes du virus de la poliomyélite ? Et puis, il y a l’autre volet, celui qui concerne les maladies contagieuses et dont le refus de la vaccination entraîne une responsabilité vis-à-vis de l’autre, du voisin ou du prochain si l’on veut… On vit vraiment une époque réactionnaire au sens fondamental du terme.

Mardi 12 janvier – Cette réflexion de Lucia De Brouckère (1904 – 1982), fille de l’homme d’État socialiste, éminente professeure à l’Université Libre de Bruxelles et cofondatrice du Centre d’Action Laïque (CAL) : « L’école est-elle le lieu où les parents transmettent leurs rêves aux enfants ou est-ce le lieu où les enfants peuvent construire leurs propres rêves ? » Chimiste réputée, elle apprendrait aujourd’hui que quatre nouveaux éléments compléteront désormais le tableau de Mendeleïev. Et ce n’est pas du rêve !

Mercredi 13 janvier – Il y a des dates qui sont ancrées dans la mémoire de celles et ceux qui sont viscéralement sensibles aux combats pour plus de justice et pour plus de justice sociale. Ainsi, on ne s’éveille plus un 11-septembre sans entendre la mitraille de Pinochet qui perce les murs du Palais de la Moneda à Santiago du Chili. Le 13 janvier, la première image qui vient à l’esprit est cette une du journal L’Aurore que dirigeait Georges Clémenceau et sur laquelle un texte continu était imprimé, titré comme suit : J’accuse / Lettre ouverte au Président de la République par Émile Zola. Un moment de la dignité humaine, un trait lumineux dans l’honneur de la gauche.

Jeudi 14 janvier – Depuis une décade, la presse nous rappelle sans cesse les agressions sexuelles que connurent des femmes aux abords de la cathédrale de Cologne durant la nuit du passage à l’an neuf en précisant chaque fois que la plupart des agresseurs étaient des étrangers, souvent des migrants. Aujourd’hui, L’Obs révèle qu’il s’agirait peut-être d’un coup monté par la mafia pour déstabiliser Angela Merkel et, conséquemment, favoriser l’implantation de l’extrême droite. On n’est qu’au début des avatars d’une société ordonnée par le virtuel.

Vendredi 15 janvier – Élisabeth Badinter déclare qu’il : « ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe » et Michel Houellebecq ponctue en précisant que « Le mot phobie signifie peur plutôt que haine ». Éric Conan les cite dans sa chronique de Marianne. Comme disait Lautréamont : « Les idées s’améliorent ; le sens des mots y participe. »

Samedi 16 janvier – La tendance à devenir une revue conformiste plutôt qu’un instrument pour nourrir et diffuser les idées de gauche avait déjà été remarquée depuis longtemps à L’Obs. Depuis quelques mois, cette mutation est plus marquée. On s’orienterait carrément vers des articles intellectuels mondains. Les éditoriaux de Jean Daniel sauvent l’identité de l’hebdomadaire. Mais le père fondateur, nonagénaire affirmé, ne s’exprime plus dans tous les numéros tandis que les éditoriaux de Matthieu Croissandeau, le directeur de la rédaction, sont d’une fadeur consternante. Parallèlement, au Point, dégagé de toute responsabilité autre que ce qui est publié sous sa signature, Franz-Olivier Giesbert livre des éditoriaux en forme d’uppercuts et témoins d’une lucidité parfaitement aiguisée. Extrait de celui de cette semaine : « Qu’attend la France pour dire son fait à la Turquie ? On peut tout reprocher à son président, Recep Tayip Erdogan, sauf de n’avoir pas un dessein affiché. Nostalgique de l’Empire ottoman, il rêve d’un « régime présidentiel fort ». « Vous en verrez l’exemple dans l’Allemagne d’Hitler », a-t-il même déclaré sans sourciller à la presse, l’an dernier avant de rétropédaler. » « Un dessein affiché »… La belle formule. En ces jours où Mein Kampf tombe dans le domaine public, l’occasion nous est offerte de vérifier qu’Hitler aussi avait un dessein affiché. Il fut quand même suivi et adulé par des hordes de concitoyens et une masse de personnalités extérieures au rang desquelles on pourrait citer d’abord Henry Ford. Il y a encore aujourd’hui des parlementaires imbéciles qui craignent que le livre fumeux ne crée de nouveaux adeptes. Or, justement, un peuple adulte doit avoir le droit de méditer l’Histoire en toute connaissance de cause et cette caractéristique mérite d’être encore soulignée afin d’être commentée. Le diable avait écrit ce qu’il ferait et il fit ce qu’il avait annoncé dans son récit. Au suffrage universel de s’arranger avec ce constat. Quant à Erdogan, s’il a « rétropédalé » sur son allusion à Hitler, il n’a pas démenti son souhait de « régime présidentiel fort ». C’est son combat, son Kampf à lui. Jusqu’à présent, il reçoit l’appui du suffrage universel.

Dimanche 17 janvier – De Didier Leschi, ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement, ancien préfet de l’Essonne pour l’Égalité des chances, directeur de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration, dans Le Journal du Dimanche : « Les sociétés, comme la nature, ont horreur du vide. Il faut se garder de faire de la laïcité la religion de ceux qui n’en ont pas. »

Lundi 18 janvier – Dans Les 8 salopards, le dernier film de Quentin Tarantino, le sang gicle de partout et tout le temps. Il est le produit de la cruauté des mœurs, de la bestialité des comportements, de la brutalité des gestes. Dans cette histoire, il n’y a pas de gentils. Tarantino dépasse Tarantino. Et pourtant, après trois heures de projection intense, soutenues par un perpétuel suspense, on rentre dans la nuit noire pour gagner directement l’oreiller, on s’endort… Et l’on se réveille au petit matin suivant sans avoir connu de cauchemar. Là est le miracle Tarantino : il ne réalise pas des films d’horreurs, il conçoit des films d’erreurs, des fautes humaines qui se payent comptant. On se surprend même parfois à en sourire. En somme, la déviance de la vie ordinaire, c’est le pied de nez permanent de Hobbes à Rousseau.

Mardi 19 janvier – Revoir deux fois en deux jours Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch, c’est découvrir quelques détails savoureux qui améliorent la réjouissance. C’est aussi constater que l’œuvre est un bel hommage post mortem à Jacques Brel ; un présent de Lelouch lui-même certes, grâce aussi à l’occasion qu’il offrit à Jean-Paul Belmondo d’accomplir une performance d’acteur inouïe, aussi à l’aise avec les jolies femmes (Marie-Sophie L.) qu’avec les bistrotiers dépenaillés (Daniel Gélin) ou en compagnie des lions. Le film a été tourné en 1987. On y parle de « téléphones portatifs » et non de « portables ». Belle façon de narguer le vocabulaire dévié par l’épanchement du progrès.

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