Marginales 295 – Les calepins de Jean-Pol Baras

Jean-Pol Baras,

Jeudi 1er décembre – François Hollande renonce. À l’ouverture des journaux télévisés de 20 heures, alors que l’on s’attendait à ce qu’il annonce sa candidature, en une voix blanche et quelque peu hésitante, il déclare qu’il ne concourra pas à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, et surtout demain matin, toutes les réactions, de quelque côté qu’elles viennent, contiendront des mots comme élégance, lucidité, courage… Dans quelques mois, les gens de gauche commenceront à dire timidement qu’ils regrettent François ; et un peu après, des livres paraîtront, des émissions naîtront dans le paysage audiovisuel pour démontrer que ce quinquennat n’était pas si mauvais. Entre-temps, le peuple de France aura choisi le successeur ; et il est fort peu probable que Manuel Valls, malgré son dynamisme, sa volonté, sa force de conviction, parvienne à l’emporter. Comme en 2002, il est même possible que la gauche doive choisir entre la droite dure (Fillon) et la droite encore plus dure (Le Pen). Mais on peut toujours rêver. L’époque semble figée tandis que l’actualité ne cesse de transformer les incertitudes en surprises.

Vendredi 2 décembre – La seule religion qui vaille est celle du miroir. La conscience, juge et maître.

Samedi 3 décembre – « Chez ces gens-là, on compte !… » chantait Jacques Brel. « Ces gens-là », pour l’heure, ce sont les États-Uniens du Michigan qui, après ceux du Wisconsin, n’auraient peut-être pas été aussi généreux de leurs suffrages envers Donald Trump. À ce stade, Clinton aurait rassemblé au total plus de 2,3 millions de voix que l’élu. Le milliardaire aurait-il usé de son immense fortune pour trafiquer le scrutin, acheter certains responsables de dépouillements ? En Amérique, tout est possible, c’est bien connu.

Dimanche 4 décembre – Un premier ouf de soulagement européen est ressenti en fin d’après-midi : le professeur d’économie de tendance écologiste, Alexandre Van der Bellen, remporte cette fois brillamment l’élection présidentielle avec plus de 46 % des voix devant Norbert Hofer, le candidat de l’extrême droite, qui a reconnu immédiatement sa défaite. Une réflexion pour l’avenir : le premier a 72 ans, le second pas encore 50…

Lundi 5 décembre – Dans quelques jours, deux films du réalisateur chilien Pablo Larrain seront à l’affiche dans la plupart des salles. Si celui qui est consacré à Jackie Kennedy est construit de la même manière que celui réalisé autour de la personnalité de Pablo Neruda, on pourra considérer que le cinéaste a inventé une nouvelle forme de narration cinématographique. D’une part, plutôt que de s’étendre sur l’intégralité de la biographie (les fameux biopics – biography original pictures –), il choisit d’approfondir une courte partie de la vie du personnage. Avec Neruda, c’est la Guerre froide de 1948 et sa position intenable de sénateur communiste. S’agissant de Jackie Kennedy, ce devrait être la période qui suit l’assassinat de Dallas le 22 novembre 1963. D’autre part, indépendamment des paroles des protagonistes, Larrain inclut un commentaire qui serait la voix de leur conscience. Pas tout à fait novateur dira-t-on. Certes. Mais ici, cette autre voix audible est un guide permanent qui nourrit la perception de la trame. Larrain dépeint aussi aux degrés de l’idéalisme. Ce qui domine, dans son Neruda, ce n’est pas une quelconque manière de réhabiliter le communisme, de montrer aux jeunes générations qu’il n’y avait pas dans cette idéologie que de l’horreur, c’est la puissance de la poésie. La poésie qui sauvera le monde.

Mardi 6 décembre – Un exemplaire du journal Le Monde délaissé négligemment sur la table de la salle d’attente d’un parodontologue à Wavre. Il est daté du 6 novembre, un mois jour pour jour. Gros titre à la une : Trump peut-il encore gagner ? La réponse, sous-entendue dans la question, n’était pas la bonne.

Mercredi 7 décembre – … Et pendant ce temps-là, Angela Merkel se fait réélire pour un neuvième mandat comme présidente de la démocratie-chrétienne allemande ce qui lui permettra de briguer un quatrième mandat pour diriger le pays. Un temps ébranlée par l’absorption d’un million de migrants, elle s’est rapidement rétablie devant le gouvernail. Chapeau ! Il serait quand même élémentaire que le jury d’Oslo pour le Prix Nobel de la paix s’en souvienne !

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Des instituts de sondage se plaisent à démontrer que la cote de popularité de François Hollande remonte en flèche. De Gaulle, comment décrivait-il encore les Français ? « Des veaux ! » Ah oui, des veaux, c’est cela…

Jeudi 8 décembre – L’avis de Pierre Feuilly, vétéran de l’Agence France – Presse, fin observateur : « Renzi : homme brillant mais trop pressé. » Très juste. Sa traversée du désert ne sera certes pas celle d’un bac à sable mais pas non plus celle d’une interminable épreuve de déshydratation. Fasse qu’il médite les leçons de sa mise à l’écart. L’Italie, si fantasque dans ses régimes politiques, aura besoin de lui. À suivre.

Vendredi 9 décembre – Journée de la Laïcité. Depuis 2011, cette date, où fut votée, en 1905, la séparation des Églises et de l’État, a été choisie par le Sénat français pour lui décerner l’appellation Journée nationale de la Laïcité. Celle-ci n’avait un impact que dans les écoles officielles de la République. Depuis les attentats de janvier 2015 et les autres, ceux du 13 novembre en particulier, cette date prend un caractère événementiel beaucoup plus pertinent. On pourrait lui déférer une parfaite ambition : qu’elle devienne Journée internationale… plutôt que nationale. Une sorte de 1er mai-bis, c’est-à-dire un jour férié autre que ceux qui appartiennent à l’histoire de la chrétienté.

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Lors de la cérémonie consacrant le prix Henri La Fontaine ex aequo à l’association Avocats sans frontières et La Maison de la Laïcité de Kinshasa, un message est lu en provenance d’Amin Maalouf qui parrainait cette édition. Il est question de « construire la paix » et du passage de l’appellation « ministère de la Guerre » à « ministère de la Défense ».

Deux réflexions surgissent à l’esprit :

1. Légère, subtile et si juste cependant, comme les constats et les sanctions de bon sens que les poètes transmettent : « Le ministère de l’Économie devrait s’appeler ministère de la Misère, puisque le ministère de la Guerre ne s’appelle pas ministère de la Paix. »

2. D’actualité : oui, on dit aujourd’hui ministère de la Défense, mais de la Défense nationale… Il serait heureux, avant que Trump et Poutine ne se repartagent le monde avec l’assentiment des Asiatiques, de penser à concevoir (enfin !) un ministère de la Défense européenne… !

En cette même cérémonie, il est souligné que l’article 1 de la Constitution du Congo mentionne le mot « laïcité », contrairement à la Constitution de la Belgique. Ô grand colonisateur ! Sache parfois observer sans dédain la vie des peuples qui se sont affranchis de toi !…

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Samedi 10 décembre – En cette journée internationale des Droits de l’Homme, 68e anniversaire de la Déclaration éponyme, Alep a été bombardée avec une ardeur redoublée, Daesh a réinvesti Palmyre et en a profité pour maltraiter quelques innocents jusqu’à ce que mort s’en suive, et la Turquie a été victime de son 14e attentat de l’année, causant la mort d’une quarantaine d’autres innocents, malgré une intensification de la répression voulue par Recep Erdogan. « Ils l’ont bien cherché » pourrait être un constat qui ferait consensus. Le problème, c’est que l’identification de « ils » ne sera pas la même pour tous, selon qu’elle s’exprime dans un camp ou dans un autre…

Dimanche 11 décembre Edgar Morin, cité par Pierre Galand : « Sachons donc espérer en l’inespéré, et œuvrer pour l’improbable. » (Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur, éd. du Seuil, 2000)

Lundi 12 décembre – Toute la presse commente la mise à l’écart (partielle seulement) de Jean-Pierre Elkabbach à Europe 1. Cela ressortirait à un événement dans le monde des médias. On y décèlerait une sanction du patron, Denis Olivennes. Bon sang ! Il est âgé 79 ans et 3 mois ! Voilà au moins plus de 14 ans qu’il aurait dû offrir son pot de départ !… Et dire que le 10 mai 1981, sur la place de la Bastille en liesse, on criait déjà « Elkabbach à la météo ! », considérant qu’il avait favorisé Valéry Giscard d’Estaing sur les ondes pendant la campagne électorale …

Mardi 13 décembre – Les frasques, les diatribes, les incartades et autres fredaines de Donald Trump n’alimentaient pas seulement un comportement de campagne. L’étonnant élu continue de vociférer chaque jour tout en formant son équipe au petit trop. On se perdrait à mentionner ses dérapages et ses invectives, toutes ces attitudes donnant l’impression qu’il est en train de se mettre à dos le monde entier. Imprudent et impudent, il commence à irriter les institutions de son propre pays. Rien de bien alogique dans tout cela. Simplement, on remarquera qu’il vient de s’attaquer à la CIA. Là, il est vraiment imprudent le Donald…

Vendredi 16 décembre – Bien que Jean-Claude Carrière, Jean-François Kahn, Michel Winock et tant d’autres ont montré maintes et maintes fois l’aspect visionnaire de Victor Hugo, on est encore ému et surpris lorsqu’au détour d’une lecture, il vient subrepticement se glisser dans l’actualité. Comme ceci par exemple, rencontré dans l’excellent livre de Raphaël Glucksmann Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes (Allary Éditions, 2016), extrait de sa Protestation sur la Serbie et les États-Unis d’Europe (29 août 1876) : «Nous allons étonner les gouvernements européens en leur apprenant une chose, c’est que les crimes sont des crimes, c’est qu’il n’est pas plus permis à un gouvernement qu’à un individu d’être un assassin, c’est que l’Europe est solidaire (…) Ce qui se passe en Serbie démontre la nécessité des États-Unis d’Europe. Qu’aux gouvernements désunis succèdent les peuples unis. Finissons-en avec les empires meurtriers. Muselons les fanatismes et les despotismes. Brisons les glaives valets des superstitions et des dogmes qui ont le sabre au poing. Plus de guerres, plus de massacres, plus de carnages : libre pensée, libre échange ; fraternité. Est-ce donc si difficile, la paix ? La République d’Europe, la Fédération continentale, il n’y a pas d’autre réalité politique que celle-là. Les raisonnements le constatent, les événements aussi. Sur cette réalité, qui est une nécessité, tous les philosophes sont d’accord, et aujourd’hui les bourreaux joignent leur démonstration à la démonstration des philosophes (…) Les États-Unis d’Europe, c’est là le but, c’est là le port. Ceci n’était hier que la vérité ; grâce aux bourreaux de la Serbie, c’est aujourd’hui l’évidence. Aux penseurs s’ajoutent les assassins. La preuve était faite par les génies, la voilà faite par les monstres. »

Étrange vision. Coïncidence de l’Histoire. La Serbie… Il suffit de remplacer ce mot par un autre… Même pas : on peut garder la première lettre et les deux dernières…

Dimanche 18 décembre – Robert Mugabe, qui dirige la République du Zimbabwe depuis 1980, vient d’être investi par son parti pour concourir à l’élection présidentielle de 2018. Pourquoi voudriez-vous que Joseph Kabila, qui pourrait être son petit-fils, ne s’accrochât point au pouvoir ? La semaine qui s’annonce à Kinshasa risque d’être très agitée. La population congolaise a semble-t-il été plus sensibilisée aux règles de la démocratie. Mais comparaison n’est pas raison.

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Tandis que sur une chaîne, la télévision diffuse Titanic, la romance de James Cameron où l’on a le plaisir de revoir Di Caprio au temps où il était presque encore un gamin, une autre chaîne propose un documentaire sur le réchauffement climatique. Images devenues quasiment banales d’un ours blanc debout, brinquebalant sur une petite surface de glace, d’une banquise qui s’effondre dans la mer, de pingouins apeurés par un paysage qui disparaît… Et l’on se dit que si le réchauffement climatique s’était produit un siècle plus tôt, le paquebot insubmersible le serait resté : l’iceberg qu’il heurta dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 aurait fondu et le film relatant le naufrage du Titanic aurait relevé de la science-fiction. Bref, rien n’est jamais totalement négatif, comme James Dawson (Leonardo Di Caprio) s’efforçait de l’inculquer à Rose Dewitt Bukater (Kate Winslet), sa bien-aimée.

Mercredi 21 décembre – Décidément, l’imagination de Jim Jarmusch est motivée par les déambulations urbaines motorisées. Après avoir mis en scène des taxis (Night on Earth, 1990), le voici qu’il dépeint la vie ordinaire d’un chauffeur de bus à Paterson, petite ville du New Jersey. La monotonie, la banalité ordinaire rendent quelque peu absurdes les jours de ce brave ouvrier dont on ne sait trop si son épouse fantasque et un peu schizophrène l’agace ou le rend heureux. Ce quidam quelconque aurait pu naître et mourir sans qu’il n’y ait la moindre ligne à écrire dans sa biographie. Toutefois, il y a la poésie, la poésie qui le tient, chevillée à son corps et ancrée dans son esprit, la poésie qui l’éloigne de la morosité, la poésie qui lui permet de surplomber les superfluités de la vie quotidienne. La page blanche suscite parfois l’angoisse, mais elle peut aussi amorcer un nouveau départ, l’évasion qui guérit les blessures de l’âme.

Jeudi 22 décembre La commune de Tourouvre-au-Perche entre dans l’Histoire. On signalera un jour que l’on y créa le premier kilomètre de route solaire. En tant que ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, qui l’a inaugurée, pourra ainsi l’inscrire à son bilan. Cette invention unique au monde et la COP 21 suffiront à lui conférer de belles notes, l’assurant d’un mandat correctement assumé. Les esprits chagrins souligneront que ce kilomètre coûte 5 millions d’euros. C’est beaucoup bien entendu, mais toutes les inventions qui ont fait avancer l’humanité ont d’abord été très onéreuses. Si nous sommes ici à l’aube d’une révolution sur le chemin de l’indépendance énergétique, on pourrait même considérer que cette expérience n’a pas de prix.

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Profitant de l’inauguration du nouvel hôpital de Chambéry, François Hollande visite la maison de Jean-Jacques Rousseau avec le but de laisser un message qui va de soi : « Le Contrat social reste un des fondements de la République. » Mais dans la foulée, il ajoute un couplet sur « la leçon des Lumières » pour ensuite dénoncer « la tendance aux extrémismes, aux populismes, aux nationalismes… » Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on sent le président presque hanté par la poussée des idées nauséabondes. Il connaît bien son pays, il l’a traversé sous toutes ses latitudes ; il connaît bien son peuple, il l’a côtoyé en de multiples circonstances et sous toutes les formes, du bistrot populaire aux mondanités petites-bourgeoises. S’il est inquiet, c’est qu’il a de bonnes raisons. Éviter que la France ne bascule vers des options ultraconservatrices sera sûrement l’un des rôles qu’il entendra jouer durant la campagne pour l’élection présidentielle. Il devra bientôt préparer son discours du 31 décembre, la dernière fois qu’il présentera ses vœux aux Français. Une allusion à ce péril pourrait nourrir la gravité de son message.

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Le Brexit n’est pas que néfaste ; il peut même faire des heureux. Ainsi, la dégringolade de la livre sterling par rapport à l’euro et plus encore au dollar ravit les producteurs de whisky écossais dont les ventes à l’exportation explosent. Enivrer le vieux continent pour relancer l’économie britannique ; les partisans du Brexit, audacieux et magouilleurs, n’auraient pas osé utiliser cet argument durant la campagne.

Vendredi 23 décembre – Comme il est agréable d’écouter, dans la salle de bains matinale, Hubert Reeves nous expliquer que l’humanité est de moins en moins violente, que si l’on vivait au temps de l’empire romain ou dans les siècles qui le précédèrent, l’on aurait cinquante fois plus de chances de mourir tués dans une guerre ou assassinés dans une rixe

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« L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs. » Cette maxime de La Rochefoucauld nous entraîne vers une autre, qu’il aurait pu concevoir s’il n’avait été duc : « L’arbre généalogique est le plus grand de tous les menteurs. »

Dimanche 25 décembre – Bon. Par les temps qui courent, il faut se contenter de peu. Rien de moche ne s’est produit dans le monde la nuit dernière (sauf ce qui l’est de routine et dont on prend conscience un jour par an… celui-ci…). Pas de bombes, pas d’attentats… Juste un avion militaire russe qui s’est écrasé dans la Mer Noire sur la route de la Syrie. Y déceler une punition divine est concevable.

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… Sauf aussi le pape, lors de la messe de minuit, qui demande au monde entier de se laisser interpeller par les enfants qui ne déballeront pas de cadeaux, des enfants qui souffrent… Et de se lancer dans une longue énumération de lieux, de moments… Avant de la terminer par : « les enfants qui ne peuvent pas naître ! » En ces temps de recrudescence de l’intrusion du fait religieux dans la vie publique, il faut s’attendre à ce que l’avortement soit remis en question. Rien n’est jamais acquis.

Lundi 26 décembre – Le conseil municipal de Beaucaire (Gard) a décidé de baptiser une artère de la ville « rue du Brexit ». L’artère se situe à côté de la rue Robert – Schumann et de l’avenue Jean – Monnet. Le maire en est fier et le fait savoir par Internet. Si un jour, un écrivain avait l’idée d’écrire Les Nouvelles Lettres de mon moulin en hommage à Alphonse Daudet, il y trouverait là un bon sujet. On se souvient que la diligence de Daudet permettait au Parisien voyageur d’en savoir plus sur les Beaucairois qu’en les côtoyant. Désormais, les ragots ne se diffusent plus dans la carriole mais plutôt sur la toile.

Mercredi 28 décembre – Le célèbre Oxford Dictionary vient de révéler le mot qui, selon lui, illustre l’année qui s’achève : post-vérité. La post-vérité désigne les circonstances dans lesquelles les faits ont moins d’importance que l’émotion qu’ils suscitent. On voit les dégâts que peut causer cette pratique dans le discours politique et que l’on n’oserait considérer comme une méthode. Quoique… Le Brexit, l’élection de Trump sont pourtant des exemples ahurissants et tellement illustratifs de ce mensonge consciemment échafaudé. Pour peu que la presse s’y adapte aussi, on entre de plain-pied dans le monde virtuel. Des avocats peuvent commencer à se spécialiser dans les démentis, les droits de réponses et autres prières d’insérer.

Jeudi 29 décembre – Poutine s’installe en artisan de la paix. Vous ne l’aviez pas remarqué ? Mais enfin… Vous voyez quand même bien que tous les actes qu’il ose et pose épousent la trajectoire de la colombe non ?

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Prédiction épistolaire de Ken Loach à Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes (qu’il renseigne dans son livre Sélection officielle, éd. Grasset) : « 8 juin 2015 : La révolution commencera sur un terrain de foot ! »

Vendredi 30 décembre – Du livre de Thierry Frémeaux évoqué hier, cette réflexion de Quentin Tarantino, datée du 22 novembre 2015 : « La liste est belle de ceux qui ont remporté la palme d’or mais il en est une plus belle encore : celle de ceux qui ne l’ont pas obtenue ! » Voilà une pensée que l’on pourrait appliquer à tous les prix qui, par leur importance, changent le cours des choses et le destin du lauréat. Le Goncourt par exemple… S’il arrivait à Bernard Pivot de commenter le journal de Frémeaux, s’arrêterait-il sur ce constat ? Chiche !

Samedi 31 décembre – Ainsi va la marche du temps. Préparons-nous à entrer dans l’année des oxymores. Le long des routes, on nous indique la présence de radars installés « pour notre sécurité ». On va vous sanctionner mais c’est pour votre bien. Hola ! Mesdames et Messieurs les grammairiens, comment nomme-t-on cette formule de style ? Résultant de la même méthode, cet avertissement : en 2017, pour que vous soyez plus libres de vos mouvements, on va davantage vous surveiller.

On n’est certes pas à l’abri d’une bonne surprise puisque l’Histoire est habituée à nous en fournir ; mais à l’optimisme de la volonté, il faudra nécessairement adjoindre celui de la naïveté.

« Il faut imaginer Sisyphe heureux » nous avait enseigné Camus. Désormais, il faut imaginer que les gueules de bois du petit matin succédant au grand soir sont des moments de jouissance curative.

Dimanche 1er janvier – En Afghanistan, une femme a été décapitée parce qu’elle se baladait devant les vitrines alléchantes sans son mari. Coup de rétroviseur : Abbeville, 28 février 1766. Un jeune homme de 19 ans est condamné pour « impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables ». Son crime ? « Être passé à vingt-cinq pas d’une procession sans ôter son chapeau, sans se mettre à genoux, et d’avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le dictionnaire philosophique du sieur Voltaire. » Le chevalier de La Barre est torturé puis exécuté le 1er juillet 1766, un exemplaire du dictionnaire de Voltaire cloué sur le torse avant d’être jeté au bûcher.

La différence entre leur fanatisme religieux et le nôtre ? 250 ans.

Lundi 2 janvier – Le très sympathique, très érudit et très expérimenté Antonio Gutteres successeur de Ban-Ki-moon à la tête de l’ONU, prend des risques. Il veut faire de 2017 « une année pour la paix ». On est de tout cœur avec lui mais on ne voudrait pas que cette toute première déclaration ne déclenche pas de l’ironie chez quelques dirigeants qui comptent et que la gâchette démange souvent.

Mardi 3 janvier – On n’en a pas fini, loin de là, avec les méditations autour du concept de post-vérité. Voici que Le Monde lui consacre son éditorial, considérant que la nouvelle ère qui se crée renferme un défi fondamental, à la fois du côté de ceux qui disent et commentent les faits, (les journalistes), et ceux qui en sont les acteurs (les politiques). Dès lors : « Le défi majeur que la société post-vérité constitue, en fin de compte, est celui de la crédibilité de l’information, qui est au cœur du fonctionnement démocratique. Ce défi-là concerne tous les lecteurs et citoyens. Leur exigence sera notre meilleure alliée. » Conseil aux futurs avocats : spécialisez-vous dans le domaine du droit de réponse ; il va y avoir du boulot !

Mercredi 4 janvier – Le grand orchestre du Splendid à 40 ans, un bel âge mûr. L’occasion de se brancher sur Youtube et de revoir le succès qui fit leur célébrité : Salsa du démon, avec le cher Coluche dans le rôle de Belzébuth. Montrer ces quelque 4 minutes de spectacle là aux enfants et leur apprendre le texte, d’autant plus facilement digéré qu’il est délirant et fantasmagorique, servi par un rythme – si l’on ose dire – endiablé, serait considéré de nos jours comme pédagogiquement très déplacé, voire, dans certains cercles, condamné. Celles et ceux qui, enfants, trois décennies plus tôt, ont dansé en regardant la bande de copains déjantés à la télévision sont aujourd’hui des adultes de bonne compagnie.

Jeudi 5 janvier – Il est assez inouï que l’on découvre encore de nos jours des planètes en notre propre système solaire. Et voilà qu’un savant irlandais vient de nous découvrir un nouvel organe : le mésentère. Certes, cette partie de l’anatomie humaine était connue depuis Léonard de Vinci mais elle était assimilée aux fibres intestinales. Désormais, il conviendra de la considérer comme organe à part entière. De nouvelles pistes s’ouvriront dans l’art de traiter la digestion. On doute fort cependant qu’un traitement du mésentère puisse éviter la gueule de bois.

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L’événement culturel berlinois aurait dû être cet hiver l’exposition d’une soixantaine d’œuvres d’art contemporain en provenance du Musée de Téhéran. L’initiatrice de ce musée fut Farah Diba, l’épouse du Shah, aujourd’hui âgée de 78 ans. Craignant qu’elle n’assiste à l’inauguration, les autorités iraniennes ont, après beaucoup de tergiversations, décidé d’annuler ce projet. Tous les régimes qui ont voulu nier l’Histoire ont fini par disparaître dans leurs contraintes et leurs contradictions. Celui des ayatollahs n’échappera pas à la règle. Ce n’est pas la vieille dame amoureuse de l’art qui le révoquera, ce sont les jeunes filles et les femmes tentées par la modernité, lassées d’être étouffées par les interdits qui les concernent.

Vendredi 6 janvier – Jean-Claude Carrière a ressenti un jour le besoin de méditer sur la paix. Il en a bâti un livre (La Paix, éd. Odile Jacob, 2016). Le parcours de la réflexion oscille entre l’anecdote, le champ philosophique, les références littéraires et des questions socratiques jamais dénuées de bon sens. Car parler de la paix, c’est évidemment réfléchir à l’absence de guerre. Et du coup, l’auteur nous confie l’embrouillamini qui habite sa pensée lorsqu’il la promène à travers les siècles. Pareille exploration du sujet pourrait conduire à l’emphase. On ne la trouve pas ici, au contraire ; on serait plutôt en présence d’un érudit qui s’invente une naïveté utile. Ainsi, au fameux proverbe hérité des Romains « Si tu veux la paix prépare la guerre », Carrière se demande s’il ne vaudrait pas mieux substituer « Si tu veux la paix prépare la paix »… Bon sang on n’y avait pas pensé !

Dimanche 8 janvier – Vincent Peillon hier soir sur le plateau de Ruquier : Quelle fougue ! Quelle intelligence du fait ! Quelle superbe défense de la Laïcité ! L’honneur de la Gauche est là, mais surtout celui de la République et de la triade qu’elle représente. Même s’il échouait à la primaire, sa candidature n’aurait pas été inutile. Mais rien n’est encore acquis.

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Paris, unique, éternel, et à jamais fréquenté, vanté, adulé… Paris, tellement chanté ! Victor Hugo prétendait : « Tout ce qui est ailleurs est à Paris. » Et Stefan Zweig s’interrogeait : « À quoi bon voyager puisqu’ici, on a tout sous la main ? » Quant à Henry de Montherlant, il célébrait la Ville sous ses aspects propices à la déambulation sereine, dans un goût de solitude qui ressemble à une communion de l’homme avec les lieux : « Les gens s’étonnent toujours que vous ne quittez pas Paris l’été, sans comprendre que c’est précisément parce qu’ils le quittent que vous y restez. » Les mots et l’Histoire virevoltent autour de délicieuses saveurs. La poésie est partout. Oh ! Tant de choses !…

Lundi 9 janvier – L’Ami, film sombre, lent, triste et terne de Renaud Fély et Arnaud Louvet. Nourrir l’idéal de la fraternité au début du XIIIe siècle, c’est forcément s’engager en religion. L’Église est sévère sur le respect de la Règle. Aider les pauvres est aussi un idéal respectable, mais y consacrer sa vie devient suspect. À contrôler. Le moteur de la foi est la souffrance. Ce qui est étrange, c’est que les siècles s’accomplissent selon les mêmes schémas : le détachement de l’autorité, le dévouement au service du Seigneur, la liberté dans la recherche de l’égalité, l’harmonie avec la nature. Le problème, c’est que les lois du profit ont toujours malmené ces belles résolutions poussées à leur paroxysme. L’ami dont il est question, c’est celui de François d’Assise, qui sera canonisé en 1228 parle Pape Grégoire IX, deux ans seulement après sa mort. L’ordre des Franciscains est toujours bien vivant. Le pape actuel a même choisi le nom de François en attachement à leur doctrine. Mais le CAC 40 et le FMI continuent de dominer le monde. Quant à la souffrance qui sévit un peu partout chez les terriens, il serait impudent de penser qu’elle libère.

Mardi 10 janvier – L’exposition Picasso – Giacometti au musée Picasso, (rue de Thorigny, 5 ; jusqu’au 5 février) révèle admirablement la complicité des deux amis que vingt années séparaient. Pablo naquit en 1881 et Alberto en 1901. D’emblée, le visiteur est confronté à deux autoportraits à vingt ans. Picasso est sombre, l’air maladif, en pleine période bleue, dans les temps de vache enragée. Giacometti se choisit un arrière-plan coloré, paraissant de profil, assez décidé, résolu. Le contraste est flagrant. Le cadre historique est aussi différent : 1921 est une année plus joyeuse que celle de 1901, qualifiée à tort de Belle époque. Les présentations étant faites, on peut voyager avec nos deux amis, complices et souvent aussi complémentaires. Les œuvres se regardent et s’additionnent en méditations soudaines, sans laisser à l’évasion le temps d’un retour : une sororité positive émerge naturellement, comme si un geste, une inspiration, provoquaient un acte de création partagé, chacun avec son style, chacun avec sa force. Les sculptures s’harmonisent et les tableaux les enchantent. Lorsque le voyage s’achève, on a envie de faire demi-tour. Et dehors, des phrases de Picasso étayent l’émotion que le souvenir conservera. Comme celle-ci : « Il n’y a pas d’art abstrait. »

Mercredi 11 janvier – Romain Gary se raconte : « … À un certain moment, je me souviens, je racontais au général de Gaulle les changements de culture que j’ai subis et je lui ai raconté l’histoire du caméléon. On met le caméléon sur un tapis rouge, il devient rouge. On met le caméléon sur un tapis vert, il devient vert, on l’a mis sur un tapis jaune, il est devenu jaune, on l’a mis sur un tapis bleu, il est devenu bleu, et on a mis le caméléon sur un tartan écossais multicolore et le caméléon est devenu fou. Le général de Gaulle a beaucoup ri et il m’a dit : ‘Dans votre cas, il n’est pas devenu fou, il est devenu un écrivain français…’ » On comprend la réponse seyante du général, comme on comprend le besoin de Gary d’évoquer le compliment. Mais l’un et l’autre savent cependant que l’on peut à la fois être fou et être un écrivain français. Et même un grand écrivain français… Comme Romain Gary par exemple…

Jeudi 12 janvier – De l’avis des spécialistes, l’exposition que le Centre Pompidou consacre à Magritte (jusqu’au 29 janvier) est la plus impressionnante jamais réalisée. Le commissaire, Didier Ottinger, a choisi de la construire sur un mode thématique, brisant toute forme de chronologie, ajoutant plutôt la référence au temps par une allusion au passé lointain. Ainsi, la partie Les mots et les images est introduite par un extrait de la Bible ; Ombres, profils, silhouettes par des propos de Pline l’Ancien ; Feux, simulacres et aveuglements par Platon, etc. Par exemple, le tableau La folie des grandeurs montrant un torse féminin en trois parties inégales qui s’emboîtent figure dans la salle délimitée par un texte de Cicéron intitulé L’invention, lui-même accompagnant un tableau d’Angelika Kauffmann, Zeuxis choisissant des modèles pour sa peinture d’Hélène, datant de 1778. Ces voisinages permettent des raccourcis et des confrontations à travers les époques. Ils offrent aussi au parcours du public une forme d’universalité qui rehausse l’intérêt du visiteur. C’est judicieux et cela démontre également, au passage, la vaste culture du commissaire. Du reste, ce que celui-ci vient de réaliser pourrait constituer la matrice d’une nouvelle méthode, applicable à n’importe quelle élaboration de grande rétrospective. Revoici Magritte en une référence à laquelle même ses spécialistes ne s’attendaient pas.

Vendredi 13 janvier Nate Parker a réalisé une superbe œuvre cinématographique en retraçant une des toutes premières révoltes des esclaves afro-américains. Elle survint dans le comté de Southampton, en Virginie, durant l’été 1831. On ne peut que s’attendre à des scènes de violences atroces tant du côté des esclavagistes, que dans le combat que les noirs se décident à mener. Mais s’il est fondamental de méditer le présent à la lumière du passé, à l’heure où les religions dominent les idéologies, on remarquera que Nathanaël, « le prêcheur nègre », trouve dans la Bible la possibilité de changer de comportement, de passer de la pacification, du pardon, à l’autorisation divine de tuer, de détruire. « Donnez-moi un mot et je ferais pendre un homme » disait le Cardinal Richelieu. Dans les Livres de la foi, il y a beaucoup de mots.

Samedi 14 janvier – Les chrétiens sont de plus en plus persécutés en Asie, davantage encore qu’au Moyen-Orient ou qu’en Afrique. Juste retournement de l’Histoire dira-t-on. Certes. Ce n’est pas une raison pour accepter les discriminations parfois meurtrières.

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Cela étant dit, François Fillon a, ce matin, trouvé une autre manière de se définir. Par la négative cette fois. À la tribune du Conseil national des Républicains qui entérine sa candidature, il a précisé : « Je m’appelle François Fillon, pas François Hollande. » Il parle vrai le gaillard ! Et d’ailleurs, il ne s’appelle pas non plus François Mitterrand ou François le pape, et il ne sera jamais François 1er parce que la place est déjà prise dans l’histoire de France. La précision était, reconnaissons-le, nécessaire, car ce rassemblement de la droite se tenait dans la salle de la Mutualité, un haut lieu des heures chaudes de la gauche. C’est là que les socialistes avaient donné l’investiture à Lionel Jospin pour la présidentielle de 1995. En passant devant l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le repaire des intégristes catholiques tout proche, les militants socialistes qui se rendaient à leur congrès se faisaient insulter par les fidèles agglutinés sur le trottoir de leur abri divin. On peut supposer qu’aujourd’hui, vingt-deux ans plus tard, les mêmes ont plutôt applaudi les fillionistes acharnés…

Dimanche 15 janvier – Après la projection d’I comme Icare, le film d’Henri Verneuil qui n’a pas vieilli, avec cette intimidante expérience de la soumission à l’autorité qui venait d’être pratiquée aux États-Unis, Arte diffuse un documentaire sur Yves Montand. Staline, Marylin, Catherine Allégret (dont le fils, Benjamin Castaldi, s’est enrichi en regardant par le trou de la serrure…), les femmes… le tout commenté par Kouchner se donnant un rôle de biographe péremptoire… C’est à peine si l’on sut que cet homme si complexe à la ville était si attachant à la scène. Pas la moindre chanson, pas le moindre extrait de récital qui puissent laisser un échantillon de joie. Amer, on n’éteignait pas la télé à la fin de ce portrait affligeant car malgré l’heure tardive, la chaîne des réjouissances culturelles proposait un autre documentaire, sur Juliette Gréco cette fois. De quoi prévenir un sommeil serein, grâce à une prestation de la chanteuse à son image : franche et vraie. À la différence de Montand, Gréco est toujours en vie. Dès lors, c’est elle qui règle la trame tandis qu’on la voit plus souvent que le roucouleur impénitent chanter dans les salles mythiques. Alors que Montand était fils d’immigré communiste italien fuyant le régime de Mussolini, Gréco était fille et sœur de résistantes envoyées à Ravensbrück comme Simone Weil ou Geneviève de Gaulle. L’engagement politique de l’un et de l’autre, fort évoqué dans ces images-là, démarra donc sur les bases perturbées du XXe siècle infernal, produisant de pareils combats par des voies cependant différentes. Étrange éloignement : Gréco n’apparaît jamais dans la vie de Montand, et inversement.

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Parole d’un sartrien inébranlable, irréductible : « Il a eu bien raison d’avoir toujours tort ! »

Jeudi 19 janvier – Verhofstadt président du Conseil européen ? Et pourquoi pas François Hollande ?

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Demain, Donald Trump entrera à la Maison Blanche. Jusqu’à la dernière minute, des manifestations marquant la désapprobation auront eu lieu à Washington et à New York. Celle de ce soir, très massive, était conduite par des vedettes de la télévision et du cinéma : Alec Baldwin, Cher, Michael Moore et aussi Robert de Niro. Il en faudra davantage pour décourager le turbulent milliardaire.

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Vendredi 20 janvier – Voici donc le jour de l’investiture de Donald Trump. Roosevelt aura été promu grâce à la radio, Kennedy grâce à la télévision, et Trump grâce à Twitter. Soit. Ce n’est pas pour autant rassurant. D’ailleurs, rien n’est rassurant chez cet homme-là : le retrait de l’OTAN, la remise en question de la COP 21, celle de l’accord avec l’Iran sur l’énergie nucléaire, le mépris pour l’Union européenne, cela constitue déjà une fameuse masse de craintes pour la paix dans le monde, sans compter son inexpérience politique et celle de ses principaux ministres devant les soubresauts de l’Histoire, inconnus à ce jour. Quand un dirigeant est imprévisible, il n’affronte jamais bien l’imprévu.

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