Marginales 297 – Les calepins de Jean-Pol Baras

Jean-Pol Baras,

Jeudi 16 novembre – À la chaîne TV5 Monde qui l’interrogeait à propos de son dernier album, paraît-il très réussi, Carla Bruni a déclaré que son mari était « le meilleur homme politique que la France ait jamais connu ». D’après elle, il aurait aussi brillé en tant que « psychanalyste ou prêtre, dans tous les métiers qui impliquent de parler aux gens. Il a un immense talent pour cela. » L’usage de la cocaïne fait des ravages ces temps-ci dans le monde su spectacle.

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En 1963, France Gall chantait Sacré Charlemagne, une chanson (écrite par Robert, son père, et Georges Lifermann) qu’elle aurait regretté d’interpréter et qui, cependant, traduite en 16 langues, lui aura sans doute rapporté beaucoup d’argent. La mélodie commençait ainsi : « Qui a eu cette idée folle / Un jour d’inventer l’école ?…»

Aujourd’hui – signe des temps – on apprend que Charlemagne ne savait pas écrire. Bah ! On n’a pas encore prétendu qu’il aurait été pédophile. Quant au harcèlement, à l’époque, la soumission le prévenait…

Vendredi 17 novembre – L’administration états-unienne met en garde ses ressortissants désireux de passer les fêtes de fin d’année en Europe. La menace terroriste est accrue. Car bien entendu, sur son territoire, tout est calme et volupté : pas de tireurs fous qui tuent des enfants (les noirs, passe encore, mais les enfants !…) ; pas de harcèlement sexuel dans les boîtes de nuit ; pas de bombe explosant dans les supermarchés, etc. La dernière fois que les États-Unis s’étaient considérés inviolables, c’était sous le petit Bush qui avait délaissé son rôle dans le monde en déclarant : « L’Amérique d’abord », sous-entendu : « Que les autres se débrouillent ». Certains autres s’étaient débrouillés. Ils avaient lancé des avions sur les tours de Manhattan. L’Europe souhaite de bonnes et sereines fêtes de fin d’année aux États-Unis et adresse ses vœux de bienvenue aux ressortissants ainsi qu’à leurs cotillons (attention à la rime si ce dernier mot est fredonné sous forme de paroles d’accueil)

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Le beaujolais nouveau est arrivé… Mais c’est à peine si l’on s’en est aperçu ! Ce jeune gamay, friandise laxative, ne fait plus recette dans les bistrots et restaurants, contrairement aux dernières années du siècle passé où l’on n’imaginait pas vivre à la mi-novembre sans l’avoir dégusté. Par bonheur pour les viticulteurs, les Japonais raffolent de cette piquette de luxe. Et donc, si la consommation intérieure est en baisse, les exportations, en nette hausse, compensent largement. Pour saluer ce moment de grâce œnologique, il importe de ne plus clamer : « Le beaujolais nouveau est arrivé ! » mais bien : « Le beaujolais nouveau est parti ! »

Samedi 18 novembre – Bruxelles a connu des émeutes à la suite d’événements inattendus. Sa police réputée à la hauteur de sa tâche, expérimentée, formée à ce genre de casse urbaine, a réagi tant bien que mal, surprise par des échauffourées soudaines que rien ne laissait prévoir. Deux douzaines de blessés furent à déplorer en ses rangs. Le pouvoir communal fait bloc derrière elle. Mais voilà que le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, nationaliste flamand, convoque une conférence de presse pour souligner des carences de la ville et de l’organisation de sa police. Très vite, on comprend la manœuvre méprisable du ministre. Le jeune bourgmestre, Philippe Close, est socialiste. Par les temps qui courent, c’est une tare. Mais cette identité n’est désormais plus que la face cachée de la méthode nationaliste flamande. Car d’autres premiers magistrats bruxellois seraient à la même enseigne s’ils appartenaient à une autre formation politique. Non, ce qu’il faut comprendre, c’est que l’opération visant à codiriger Bruxelles connaît là une de ses étapes opportunes. L’objectif, à terme, c’est de ne pas laisser un francophone à la tête de la capitale, quel qu’il soit.

En octobre, la ville d’Anvers connut aussi des émeutes qui firent des victimes dans le corps de police. Le bourgmestre dut réprimer fermement et même interdire des rassemblements pendant plusieurs jours dans le quartier incriminé. Le ministre de l’Intérieur n’eut pas un mot sur les événements. Le bourgmestre d’Anvers, Bart de Wever, est le chef de son parti.

Bruxelles, belle et multiculturelle, où le nationaliste catalan Carles Puigdemont organise des réunions politiques publiques (Victor Hugo, pourtant ami du bourgmestre, fut expulsé pour moins que ça…) au cours desquelles il remercie ses amis nationalistes flamands, chez qui, lorsqu’il est invité à déjeuner, un photographe de presse est convié… Chère Europe, attention ! Après Budapest, Vienne, Varsovie, ta capitale est aussi contaminée !…

Dimanche 19 novembreThe Square, la Palme d’or 2017, est à l’affiche en Belgique. Comme toujours, les annonces apparaissent en deux langues. Voici le commentaire en néerlandais : « Een intelligente satire vol spectaculaire scènes en hilarische situaties » Et dire qu’un peuple est fièrement occupé à devenir une nation sur la base de cette langue-là… !

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Que manque-t-il à l’idée européenne ? En premier lieu, de l’enthousiasme. « L’enthousiasme, cette intelligence suprême des belles choses… » (Flaubert)

Lundi 20 novembre – La bêtise peut se propager partout, y compris dans les arcanes du pouvoir. Les annales parlementaires ne manquent pas d’épisodes croustillants ni d’alinéas consternants. La semaine dernière, Nadine Grelet-Certenais, sénatrice de la Sarthe, a réussi l’envolée lyrique de sa vie. Elle a souhaité que le cinéma français soit désormais frappé d’interdiction dans le cadre de la lutte contre le tabagisme et que l’usage de la cigarette soit donc interdit dans les films. Ce n’est pas de cette manière qu’elle redorera le blason de son parti, le PS, déjà si mal en point. Cette sortie absurde ne serait que loufoque si la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne s’était dite très intéressée par cette proposition, et décidée à en discuter avec Françoise Nyssen, sa collègue ministre de la Culture. On ne demande pas à la fiction d’exprimer la vertu, et il est criminel de lui imposer des balises. Que ces dames se le tiennent bien pour dit, et qu’elles n’insistent pas dans leur projet car on imagine déjà les contre-feux qu’elles allumeraient… Du pain bénit pour les journaux satiriques.

Mercredi 22 novembre – Toute l’actualité pivote autour de la violence faite aux femmes. Chaque jour, une personnalité du monde du spectacle, un responsable d’entreprise, un grand sportif ou un politicien sont obligés de démissionner, de quitter la scène publique, d’être contraints à faire un pas de côté. Parfois, la personne incriminée est accusée de harcèlement homosexuel. Bien malin qui peut dire aujourd’hui ce qui restera de cette période où les dénonciations entrent dans les pratiques courantes et enclenchent illico des condamnations sans même que la Justice ait son mot à dire. Gare à celui qui oserait un commentaire mitigé. L’heure n’est pas à l’analyse ou à la compréhension d’une tolérance tenace. Il faut virer les porcs ! Soit. Peut-on au moins affirmer que la violence n’existe pas que dans certains rapports homme / femme, qu’elle domine de plus en plus le monde des humains, qu’elle est donc désormais un élément constitutif d’une société, quelle qu’elle soit ?… Ouvrir ce dossier-là n’arrangerait pas la cause féminine qui se verrait noyée dans un vaste ensemble de carences. Et pourtant, ne faudrait-il pas mieux considérer la violence dans son intégralité, quitte à être redondant et même répétitif plutôt que de la traiter par appartements ? En vrac : Dialogue Onfray-Badiou (Marianne, 13 octobre 2017). Onfray : « … La question de la violence est intrinsèquement associée au communisme à cause de l’expropriation. Le socialisme de mes vœux passe par un mode d’organisation différent de la production et de la répartition… » Badiou : « Vous êtes vraiment dans le socialisme utopique !… Certes, la violence est détestable mais il est absolument impossible de rejeter toute violence défensive… En politique, il y a des ennemis, et vous ne les désarmerez pas par la non-violence… » Gérard Depardieu au Journal du Dimanche (29 octobre 2017) : « Je me tiens éloigné des dénonciations et des meutes. Mais je déteste les prédateurs, dans tous les domaines, car ils sont dans l’abus de pouvoir. Il faudrait rappeler que l’hystérie n’est pas un privilège féminin (…) je connais beaucoup d’hommes qui sont hystériques. Les hommes qui sont dans l’abus de pouvoir sont hystériques… »

Samedi 25 novembreLe Brio, un film d’Yvan Attal. 1 heure 35 de bonheur. Une belle réussite ce cinéma qui rend hommage aux mots, au langage, en réhabilitant le concours d’éloquence. Grâce à un duo magnifique. Daniel Auteuil et Camélia Jordana sont magnifiques. On s’en souviendra aussi, sans doute, à la cérémonie des Césars.

Dimanche 26 novembre – À présent que de nombreuses universités dispensent des cours consacrés à l’intelligence artificielle, on perçoit que le temps se rapproche où les robots joueront un rôle prépondérant dans la vie quotidienne. Comme toutes les inventions humaines, celles qui remplacent la fonction du cerveau présentent des avantages et des inconvénients, dégagent des situations positives et d’autres, plutôt néfastes. Ainsi, des chercheurs viennent de constater que la maladie d’Alzheimer avait considérablement augmenté chez les chauffeurs de taxis londoniens. Explication donnée : leur mémoire n’est plus en activité. Jusqu’à l’apparition des GPS, ces hommes s’appliquaient à retenir l’intégralité des rues de Londres. Désormais, cet effort-là est devenu superflu. La maladie devient la conséquence du confort.

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Exercice de style. Dans Le Moment fraternité (Gallimard, 2009), Régis Debray proclame : « Les cardiologues ne sont pas tenus d’avoir bon cœur. » Étendre le coq-à-l’âne parabolique devient un jeu délicat : Les ophtalmologues doivent être tenus à l’œil ; Mon otorhino a du flair ; Le gastro-entérologue en a gros sur la patate…

Lundi 27 novembre – Les dates prétextes à commémoration ou évocation historique offertes par le système décimal ont négligé le Général de Gaulle. La conférence de presse toujours très attendue (1 100 journalistes et correspondants, 200 caméras…) qu’il donna voici 50 ans jour pour jour aurait pu être mentionnée au moins sur deux points : le Québec et l’Angleterre. Le 24 juillet de cette année 1967, de Gaulle s’était écrié « Vive le Québec libre ! » depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal. En quelque 17 minutes devant son auditoire, il confia la justification de son geste en une démonstration historique magistrale dans laquelle on relève une nouvelle fois l’expression « Français du Canada », aussi erronée qu’audacieuse, mais surtout provocatrice (de Gaulle, maniant avec talent et intelligence sa belle langue, savait qu’il aurait dû parler de « francophones » et non de « Français »…) Dans la foulée, il expliqua une fois de plus pourquoi il s’opposait à l’entrée de l’Angleterre dans le Marché commun européen. On oublie trop souvent qu’après la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, dès 1961, le Royaume-Uni (« les Îles britanniques » disait de Gaulle, un rien goguenard) avait sollicité son adhésion. Deux ans plus tard, de Gaulle s’y était opposé sans même consulter ou informer ses partenaires. La demande revenant à l’ordre du jour avec la dévaluation de la livre sterling, le Général se vit obligé d’exprimer les raisons de son refus (pour ne pas dire son rejet…) En ces temps de négociation du Brexit, l’on ne peut que constater le volet visionnaire de la pensée gaullienne. 1967 offrait donc deux beaux cinquantenaires gaullistes à célébrer qu’Internet peut désormais restituer. Malheureusement, on pourrait leur en opposer un troisième où l’aspect visionnaire serait raillé : le message des vœux aux Français le 31 décembre : « C’est vraiment avec confiance que j’envisage pour les douze prochains mois l’avenir de notre pays (…) Je crois cependant qu’au total notre situation continuera de progresser et que tout le monde y trouvera son compte (…) On ne voit donc pas comment nous pourrions être paralysés par des crises. » Cinq mois plus tard, mai deviendrait houleux…

Mercredi 29 novembre – De Luc Dellisse, L’Amour et puis rien (éd. L’herbe qui tremble, Paris 19, rue Pradier, 25 – remarquable impression d’une jeune maison à encourager). Une remontée vers la source du bonheur en permanente quête. Un exercice de lenteur par un poète en sentinelle de sa mémoire. Lenteur apprivoisée par le désir de vivre ou de revivre. S’il y règne une course d’obstacles, c’est juste pour mieux jouir de la beauté des choses. L’amour et puis rien, parce que l’amour et rien d’autre.

Samedi 2 décembre – On le sait : Robert Guédiguian aime Marseille. Intensément. Tellement fort et bien qu’il ne peut pas rater une histoire lorsqu’il l’enracine dans ses espaces. L’intégralité de La Villa se déroule dans une calanque (le générique nous apprend qu’il s’agit de celle de Méjean) qui perd petit à petit de son charme et de son identité, soumise à la spéculation immobilière. Il s’agit d’une histoire de famille assez banale. Le père va mourir, deux fils et leur sœur se retrouvent après de longues années d’éloignement. Les témoignages, les affections, les souvenirs et les accrocs de la vie apparaissent au fil des dialogues. Les retrouvailles consécutives à l’événement qui annoncent le deuil s’accomplissent de manière somme toute assez ordinaire jusqu’à ce que les hommes découvrent, cachés dans les broussailles, trois petits enfants de migrants dont les parents ont dû périr dans les flots. Et soudain, cette narration lente, anodine, presque quelconque, prend une dimension humaniste grâce à des réflexes humanitaires. Mare nostrum n’a pas fini d’ordonnancer le monde.

Dimanche 3 décembre – Mohammad Rasoulof. Retenir ce nom : Mohammad Rasoulof. C’est celui d’un brillant cinéaste iranien, salué à Cannes, censuré dans son pays, susceptible d’y être emprisonné pour avoir critiqué le régime. Il a déjà été privé de passeport et jusqu’à présent, il communique avec l’extérieur (c’est-à-dire le monde entier ou presque…) grâce à Skype. Mohammad Rasoulof. Mohammad Rasoulof. Son dernier film s’intitule Un homme intègre. Rien que cette expression doit déranger une théocratie.

Lundi 4 décembre – Cannes n’avait pas manqué à sa tradition de couronner les films qui bousculent, qui interrogent ou dénoncent les scories de la société, en octroyant cette année sa Palme d’or à The Square, cette satire permanente de Ruben Ostlund dont un musée d’art contemporain, ses arcanes et ses chafouineries pédantes lui servent de marchepied. Nous vivons dans un monde où les inégalités sont flagrantes, insolentes, tellement dérangeantes qu’on ne les distingue plus. Elles font partie du paysage quotidien, comme des fatalités de la nature. Les feuilles des arbres brunissent, jaunissent et tombent, on n’y peut rien. Il y a des paraboles et des symboles qui secouent ; d’autant plus que les plans, judicieusement élaborés, frappent souvent le regard avant de laisser trace.

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Projet de roman. À l’instar de Sagan (Aimez-vous Brahms ?), s’appuyer sur Flaubert, et en particulier sur son Dictionnaire des idées reçues. Exemple : définition du mot Exposition : « Sujet de délire du XIXe siècle ». C’est assez pour bâtir au moins trois chapitres…

Vendredi 8 décembre – Aujourd’hui, les catholiques célèbrent l’Immaculée Conception, l’état lié à la Vierge Marie selon le dogme établi par Pie IX en 1854. On estime en outre qu’à partir du XVIe siècle, les médecins se sont intéressés à l’appareil génital féminin.

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On imagine combien les conseillers du président ont dû s’affairer en propositions, en idées, en inventions d’initiatives pour rendre, équilibrés, les hommages funéraires à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Alea jacta est : ce sera un hommage national aux Invalides pour l’académicien aujourd’hui et une foule populaire qui descend les Champs-Élysées pour le rockeur, demain. Après les commentaires multiples sur leur vie et leur œuvre, viendront les analyses des séquences commémoratives et des moments de deuil. Entre-temps, d’autres conseillers se seront aussi gratté le cuir chevelu pour trouver les mots judicieux à glisser dans les discours et les oraisons. Pour Johnny, il y en aura bien un qui aura repéré que Mozart était, lui aussi, mort un 5 décembre…

Samedi 9 décembre – On n’en peut plus ! Cette journée aurait dû être celle de la Laïcité (dénommée ainsi depuis 2011 pour évoquer l’anniversaire de la loi de 1905 dite de séparation des Églises et de l’État) ; elle sera encore celle des soutanes. Le président Macron avait même prévu de prononcer un discours afin d’exposer sa vision de la Laïcité. Après l’office religieux d’hier à Saint-Louis des Invalides pour Jean d’Ormesson, voici celui de ce midi, à la Madeleine, pour Johnny Hallyday. La presse nationale ne parle que de cela, mais pas la presse régionale, branchée sur ses fondamentaux (ce mot si galvaudé ces temps-ci…). Dans son éditorial de Libération, Laurent Joffrin se permet de se demander si on n’en fait pas un peu trop. C’est évidemment la vraie question.

Dimanche 10 décembre – L’agenda d’Emmanuel Macron fut quelque peu bousculé par les décès successifs de Jean d’Ormesson et de Johnny Hallyday auxquels il dut rendre hommage. Ce jeune homme dynamique ne donne toutefois pas l’impression d’être un homme pressé. Sans doute est-ce l’enseignement de Paul Ricœur, son maître à penser, qui lui confère une capacité sereine à gérer son temps. D’une certaine manière, les oraisons funèbres sont aussi une bonne façon de prendre la mesure de toute chose. D’Ormesson aurait pu disserter sur cette obligation que l’on ne peut point programmer. En outre, le président de la République vit des heures tranquilles à l’Élysée. En actant l’élection de Laurent Wauquiez à la tête de la droite, il obtient du sort un nouveau concurrent idéal. Le chef des Républicains se situant aux marges du discours lepéniste, le parti qu’il dirige désormais pourrait à moyen terme se fracturer. Wauquiez pour LR, Mélenchon pour Le Parti de Gauche, c’est tout à fait contrôlable. Aucune personnalité ne perce au centre puisque Bayrou s’est retiré à Pau et Juppé à Bordeaux. Il reste un bel espace à occuper pour le PS. Encore faut-il qu’une forte personnalité s’en empare. C’est seulement alors que Macron pourrait s’en inquiéter quelque peu. On n’en est pas là. Pour l’heure, il a tout le temps de recevoir Benyamin Netanyahou et de le sermonner à la manière d’un instituteur : « Tu dois faire un geste pour les Palestiniens Benyamin, un geste courageux !… » L’Israélien a laissé un petit couplet sur la paix et puis s’en est allé. Il avait rendez-vous avec la direction européenne à Bruxelles. En lui donnant l’accolade, Emmanuel a glissé une sucette dans la poche de Benyamin. Pour la route.

Lundi 11 décembre – En bon adepte de Paul Ricœur, Emmanuel Macron devrait s’intéresser au petit village de Chambon-sur-Lignon où la mémoire du philosophe – qui enseigna là-bas durant trois ans au sortir de la guerre – est toujours bien vivante grâce à une importante communauté protestante. Les paysans s’étaient distingués par des actes de désobéissance civile en abritant de nombreux enfants juifs ou en les faisant passer en Espagne. La tradition d’hospitalité à l’égard de réfugiés politiques s’y ancra. Chambon accueillit des exilés portugais, chiliens, vietnamiens… Situé en Haute-Loire, donc dans la région Rhône-Alpes que dirige Laurent Wauquiez, ce village de renommée mondiale (il est même le seul à être honoré par une plaque à Jérusalem) a quelque peu vu sa réputation rognée depuis 2008. La nouvelle maire n’est en effet pas très encline à encourager l’accueil des étrangers. Le président de la République, au nom de Paul Ricœur, devrait motiver le président de la Région afin qu’il raisonne la maire de Chambon-sur-Lignon. C’est d’autant plus souhaitable que celle-ci n’est autre qu’Éliane Wauquiez-Motte, la mère de Laurent. Mais celui-ci le veut-il vraiment ?

Vendredi 15 décembreL’Europe après la pluie, tableau peint par Max Ernst en 1942, devrait être reproduit dans tous les journaux et magazines. Ce serait là une manière de briser les perceptions apathiques des citoyens de l’Union. Car la carte de l’Europe brunit un peu plus de jour en jour. À la veille d’un grand rassemblement des partis d’extrême droite à Prague où Le Pen et Wilders illustrent déjà les pages des médias, la droite autrichienne annonce un accord de gouvernement avec ces représentants de la haine. Et la vie continue. Où nous emmène-t-il, le petit train-train quotidien ? Où l’on ne choisit pas son camp ?

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Dominique Mineur sera la première femme au monde à diriger une ambassade en Arabie saoudite. Ce sera au nom de la Belgique. Un geste audacieux, une belle initiative du ministre des Affaires étrangères qui, on l’espère, ouvrira de nouvelles perspectives diplomatiques. Une autre femme, Véronique Petit, est quant à elle nommée ambassadeur de Belgique à Téhéran. On leur souhaite bonne chance.

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Discussion infinie qui fleurit surtout dans les écoles de journalisme, mais pas seulement… Entendu hier sur RTL : « En 2018, il restera encore 350 cabines téléphoniques sur le territoire français. » Le Figaro de ce jour : « En 2018, il ne restera plus que 350 cabines téléphoniques. » C’est le même fait, exprimé de deux manières différentes, et donc reçu, perçu différemment. Comme la bouteille à moitié vide… Va savoir !

Dimanche 17 décembre – À Rome, le prestigieux prix Europe pour le Théâtre est décerné à Isabelle Huppert. Depuis 2001 où Michel Piccoli était honoré, cette récompense n’avait plus jamais été attribuée à une personnalité du cinéma. Qui a l’honneur de remettre le prix à Isabelle ? On dira : Dario Franceschini bien sûr, le ministre italien de la Culture !… Et on aura perdu. Il était présent le ministre, bien entendu, mais il pria Jack Lang d’accomplir le geste solennel. A ! Ce bon vieux Jack ! Toujours au poste !

Mercredi 20 décembre – Appel aux partisanes de la féminisation des mots : le substantif goujat n’a pas de féminin.

Samedi 23 décembreLa Promesse de l’aube est un roman. Romain Gary l’a voulu ainsi. Ce n’est pas un récit autobiographique. Il est donc tout à fait possible que l’écrivain – qui, par des côtés fantasques, savait les méandres de la vérité autant que les multiples tergiversations des faits dits réels – ait forcé le trait pour décrire cet amour fou auquel l’avait soumis sa mère. Quelle importance ! Tout est vrai puisque le romancier le dit. Éric Barbier ne fait pas oublier Jules Dassin qui, en 1970 (Gary allait encore vivre 10 ans) donna une première adaptation de l’histoire avec plus d’épaisseur et pourtant moins de moyens. On ne peut pas non plus omettre la fougue de la sublime Melina Mercouri, qui semblait être la mère que Gary décrivait dans son livre, pareille à l’écran que dans la vie… réelle. Et pourtant, Charlotte Gainsbourg est admirable, réussissant tout à fait à rendre les excès de son personnage sans tomber dans le ridicule. Quant à Pierre Niney, consciencieux et appliqué mais pas assez viril, on le préférait dans le rôle d’Yves Saint-Laurent. Les dernières images déroulent sous la dictée de l’excipit du roman. Cela suffit pour sortir ému de la salle noire.

Dimanche 24 décembre – Plutôt que de bonnes résolutions, préparer pour l’an prochain de neuves observations. Parmi celles-ci, une des plus importantes sera de suivre les faits et gestes de l’impulsif Mohamed Ben Salman qui, à 32 ans, n’est encore que prince héritier du royaume d’Arabie saoudite mais dont le roi déclinant lui laisse déjà les rênes. Tout va bouger dans ce pays moyenâgeux à la richesse incommensurable. Tout, absolument tout, depuis la promotion des arts jusqu’à la pratique de la religion, le mouvement d’émancipation sera total. Le statut de la femme émergera des multiples réformes tandis qu’en diplomatie, un rapprochement avec Israël pourrait aussi modifier les rapports de force dans la région. Le jeune futur souverain n’est intransigeant que sur un seul point : la vente d’alcool. « Oui au pétrole, non à l’alcool ! » aurait été un bon slogan pour un humoriste tel Bourvil dans son sketch consacré à l’eau ferrugineuse. Si l’Occident néglige d’observer Ben Salman, on peut être assuré que d’autres ne quitteront pas leur mirador. En particulier l’Iran.

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En 1996, dans un livre consacré à la ritualisation du quotidien, Claude Javeau, professeur de sociologie à l’Université libre de Bruxelles, avait écrit un superbe texte intitulé Parler pour ne rien dire : Ça va ? Ça va… ! En écho innocent, Bernard Pivot cite Bert Leston Taylor : « Un raseur est un type qui, quand vous lui demandez comment il va, vous le dit. »

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Coco. Enfin un film d’animation aux moments de Noël qui ne respire pas le puritanisme gnangnan et la pudibonderie bourgeoise, clichés habituels de Walt Disney ! Lee Unkrich et Adrian Molina emmène les petits spectateurs par des images féeriques dans le monde des morts grâce à la passion du gamin, héros de l’histoire, pour la musique. Hélas !, dans le monde des morts, il y a aussi des bons et des méchants, la lutte du Bien contre le Mal contrarie les squelettes. Dommage.

Mardi 26 décembre – Quelle est la proportion de chrétiens parmi les lecteurs du Figaro ? Répondre 3 sur 4 est sûrement bien en dessous de la réalité. Mais soit, restons minimalistes pour être crédibles. Le Figaro a mis en ligne une enquête auprès de ses lecteurs en les priant de répondre à la question : « Approuvez-vous l’appel du pape François à plus « d’hospitalité » envers les migrants ? » Après 5 000 votes, le oui était à 26 % et le non à 74. Allez François, encore un effort !

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Une réflexion en découvrant les traditionnelles rétrospectives des actualités au cours de l’année qui s’achève : « Ne cherchez pas le pouvoir aux Tuileries, lançait Balzac, il s’est transporté chez les journalistes. » Comment adapterions-nous ce constat aujourd’hui ? Ne cherchez pas… Ni au Palais Bourbon, ni même à l’Élysée, encore moins à l’ONU… Il s’est transporté plutôt chez Bill Gates, Wikipedia, Facebook…

Jeudi 28 décembre – Souffler le chaud et le froid… Ça fait froid dans le dos… Peu me chaut… Raymond Devos n’avait pas construit de sketch sur ces formules. Aujourd’hui, Le Figaro l’aurait inspiré en titrant : « Les vagues de froid polaire sont bien liées au réchauffement de la planète ».

Vendredi 29 décembre – Raymond Devos est mort sans jongler sur le chaud et le froid. Trump, lui, ne s’en prive pas. Mais comme il ne fait pas le même métier, il ne fait pas rire. Profitant de la vague de froid polaire qui sévit dans le nord des États-Unis, il ricane une nouvelle fois sur le phénomène de réchauffement climatique, entraînant à coup sûr de nombreux citoyens au nom du bon sens. Devos, expert en nuances sémantiques, aurait volontairement amalgamé les notions de climat et de météo pour bâtir ses monologues déroutants. Trump ne fait pas de différence entre le climat et la météo. Pire : il les confond. Si c’est par bêtise, c’est déplorable et condamnable. Si c’est par tactique, c’est détestable et encore plus condamnable.

Samedi 30 décembre – Si Karin Viard n’avait pas été disponible pour assumer le rôle principal de leur film, on se demande si David et Stéphane Foenkinos auraient pu réaliser Jalouse. Cette histoire de femmes semble en effet tout à fait bâtie pour mettre en évidence ses talents vigoureux, chatoyants et bigarrés. Car l’exercice est moins simple qu’il n’y paraît. Être tantôt insupportable mais désirable et tantôt amoureuse ; être tantôt mère emmerdeuse et tantôt mère affective ; être tantôt amie protectrice et tantôt amie exaspérante ; sourire ici et râler là… Ce n’est pas donné à n’importe quelle comédienne, surtout si ces multiples personnages en un seul constituent le pivot – et le seul aussi – de la narration. Avec son interprétation dans Jalouse, Karin Viard prouve – à qui l’ignorait encore – qu’elle est une grande comédienne. Elle a au moins vingt-cinq ans devant elle pour fortifier sa carrière. Puissent les scénaristes et autres metteurs en scène lui donner des rôles où elle se réalisera, où elle éclatera.

Mardi 2 janvier – Les frères Dardenne publiant une tribune libre (dans Le Soir) pour réclamer la mise à l’écart du secrétaire d’État à l’Immigration Theo Francken, c’est un fait suffisamment rare pour qu’on le souligne et le retienne. L’époque où les acteurs et opérateurs culturels s’engageaient dans la vie politique semblait révolue. Elle ne l’est pas totalement. Tant mieux. Ce n’est pas parce que Sartre s’est toujours trompé que ses petits-enfants ne doivent pas oser. Cette position des Dardenne serait-elle annonciatrice d’un film ayant les migrants pour thème principal ? Le moment est venu. Que les créateurs des pays riches mettent leur talent à l’évolution du genre humain dans ses diverses acceptions, comme autrefois.

Jeudi 4 janvier – Fils de juifs polonais immigrés, Jean-Marie Aron s’était converti au catholicisme. Archevêque de Paris, il fut consacré pape par Jean-Paul II en 1983. Jamais il n’avait souhaité développer les raisons de son engagement catholique jusqu’à ce qu’un homme le convainque : Bernard de Fallois, qui venait de créer sa propre maison d’édition après avoir appris son métier chez Gallimard et puis dans le groupe Hachette. Et ce fut Le Choix de Dieu, entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton (1987) ; un livre qui lui permit d’entamer une nouvelle carrière. À 91 ans, Bernard de Fallois vient de quitter ce monde. Serait-ce pour retrouver celui qui l’a rendu célèbre ? Qui sait si cet athée n’est pas occupé à connaître une bonne surprise…

Vendredi 5 janvier – Trump continue à défier Kim Jong-un par tweets et communiqués rendus le plus possible publics. Il en est à signaler que son bouton nucléaire est plus gros que celui du Coréen. Exactement comme s’il parlait de sa queue dans une cour de récréation. Et dire que Kubrick nous avait prévenus !

Samedi 6 janvier – Secrétaire d’État, porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux était l’invité de l’émission de Ruquier On n’est pas couché. Il accomplit une prestation lamentable au cours de laquelle il s’est notamment fait étriller par Yann Moix. Griveaux a grandi politiquement dans l’équipe de Michel Rocard avant de se pointer dans celle de Dominique Strauss-Kahn. Il n’en a manifestement pas retenu des enseignements qui lui auraient permis d’assumer ses nouvelles fonctions dans le gouvernement d’Édouard Philippe. Déjà, lorsqu’il était porte-parole de Macron durant la campagne, on ne l’avait pas senti brillant, contrairement à Castaner qui assumait pareille tâche. Mais c’était moins visible. D’une certaine manière, Macron occupait tellement bien les médias qu’il n’avait pas vraiment besoin d’un porte-parole. Dans l’enthousiasme de la victoire, Griveaux laissa courir le bruit qu’il serait intéressé par la mairie de Paris. C’est le meilleur concurrent que pourrait espérer Anne Hidalgo.

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