Le jeudi au soleil

Pascale Fonteneau,

Bon, évidemment, je me souviendrais de cet après-midi, au même titre que je me souviens parfaitement de l’endroit où j’étais quand j’ai appris la mort de Claude François. Aucun rapport ? Pas si sûr…

J’étais donc dans mon jardin quand la voisine, par-dessus le mur, a attiré mon attention. Partagée entre incrédulité et excitation, elle m’a demandé si j’étais « au courant », je n’ai même pas eu le temps de lui demander « de quoi », déjà la nouvelle sautait le mur aussi allègrement qu’un autre homme, quelques heures plus tôt, avait franchi la dizaine de mètres qui le séparaient de la sortie et d’un apparent sentiment de liberté : Marc Dutroux venait de s’échapper. Le seul prisonnier dont le visage est connu de tous, le seul homme unanimement haï, l’incarnation du mal, venait de se faire la malle. Incroyable.

Très naïve, j’ai attendu quelques minutes l’heure des informations à la radio, sans me douter que déjà les vannes médiatiques étaient largement ouvertes. Que déjà les pires hypothèses faisaient le tour du pays : complot, complicité, complaisance ? Soudain, on se met à souhaiter que les petits bouts d’acier qui dorment côte à côte dans les chargeurs policiers épargnent l’ennemi et oublient les rumeurs qui l’entourent. On espère qu’une simple pression du doigt n’effacera pas l’espoir de comprendre, un jour.

À mesure que les heures passent, on se joue Hollywood à la télévision, des milliers d’hommes en armes cherchent Marc Dutroux. Comme un torrent, les images et les commentaires nous entraînent du parking du Kinépolis où tout le monde se dit consterné, vers le Palais de Justice de Neufchâteau et une même consternation. Dieu merci, pour une fois, la situation est excessivement claire, on distingue parfaitement les bons du méchant.

Sauf que voilà, un garde champêtre le retrouve, penaud, après quelques heures de liberté. Un peu comme si Claude François avait raté sa sortie.

Tout se brouille à nouveau.

Inconsciemment déçue, à défaut de chercher son chat ou un soleil inexistant, la Belgique consensuelle se cherche des responsables, seule solution pour arrêter le train fantôme lancé le 23 avril aux portes des Ardennes et nourri par le porte-voix cathodique. Plus que jamais on a le sentiment que le monde est un village dont les médias seraient la conscience. Sous l’arbre à paroles, de nombreux sages commentent ce qui n’aurait jamais dû exister, mais sans lequel ce seraient eux, et leurs discours bien vernis, qui n’existeraient pas. Curieux paradoxe.

Après l’économie unique, la pensée unique, nous sommes entrés dans l’ère de l’émotionnel unique, du sentiment uniforme. Le sens critique nous est servi sur un plateau, thèse, antithèse, synthèse compris et même l’analyse théorique et scientifique qui donne du poids à un discours devenu incontestable. Pas de surprise.

En dehors de cela, je repense à Claude François, on y revient, et je me dis que s’il était mort ce soir, son électricien aurait probablement été lynché…

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