La Flandre est un songe

Anne-Marie La Fère,

Ma mère est morte

elle était Flamande de Tervueren

où j’allais voir ma grand-mère dans sa petite maison au long jardin étroit et mon arrière-grand-père qui à nonante ans fumait la pipe dans sa serre parmi les vignes où je suis revenue voir Dotremont à Pluie de Roses qui fumait la cigarette toussait et me servait un alcool fort d’une bouteille au verseur chanteur où je reviens voir le musée pour interroger les masques les statues les charmes les objets usuels les traces des civilisations dont me parlait mon père

ils sont tous morts

Tervueren est un songe

et Anvers est un songe

où j’allais voir les parents de mon père qui promenaient la famille au zoo au port à Saint-Amand où mon grand-père m’emmenait à l’agence de presse et à son club très anglais auquel n’avaient pas accès les femmes mais bien les petites filles où je suis revenue finir la nuit avec les noceurs bruxellois dans les boîtes extravagantes qu’on quittait au petit matin avant d’aller déjeuner de pistolets aux crevettes au Zoute où je reviens voir Lydie et Guy Vaes parmi les livres et les images du monde entier contenus dans le coquillage de leur mémoire

 

ma Flandre est un songe

où tout le monde parlait français même l’oncle de Tervueren qui s’embarquait d’Anvers pour le Congo avec sa fiancée brugeoise sur un grand bateau blanc où l’on chuchotait en patois les secrets que les enfants ne devaient pas entendre mais dont je percevais l’équivoque et qui excitaient ma curiosité

d’où insensiblement me sépara une frontière tandis qu’à l’école je chahutais le cours de flamand et traitais de flamouches la grosse Frieda et ses parents riches et vulgaires tandis que ma mère oubliait sa langue maternelle et aimait passer pour Française tandis que mes cousins faisaient leurs études en néerlandais et devenaient des étrangers dont je raillais l’accent lors des communions mariages et enterrements

où personne ne parle plus français la langue de l’ennemi la langue du pouvoir mais la langue de Maeterlinck Verhaeren Ghelderode qui écrivit la Flandre est un songe

un songe de nattes blondes et de crêpes à la confiture dans la cuisine de Tervueren

un songe de grands départs et de grands reportages à l’agence Belga d’Anvers

des rêves d’enfants quelques cauchemars des souvenirs incertains

 

un tombeau pour ma mère flamande

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