Le plus redoutable de tous les maux qui menacent l’avenir des États-Unis naît de la présence des Noirs sur leur sol.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique

Il n’est parfois pas inutile de faire place à ce bref intervalle de temps qui précède la pensée (quand elle est assez aimable pour se produire), à cette émotion qui subjugue un instant, à ce furtif moment où la jubilation ne s’occupe à peu près que des frissons qui parcourent son échine. De faire place, avant d’intellectualiser, à l’embrasement du cœur. Si tel n’était pas le cas, on verrait se dépeupler les nations On assisterait à l’effondrement du commerce des chants d’amour. On verrait triompher la raison, la mesure, l’objectivité et ainsi de suite, toutes choses auxquelles nous ne sommes décidément pas en mesure de faire durablement face.

J’entendrai, cependant que passera ma diligence pavoisée à la couleur d’Obama, aboyer les cyniques. Ainsi que Remy de Gourmont s’adressant, poétique et fervent, à Simone, je dirai seulement : « Je veux bien ». Car oui, j’ai le goût très profondément incrusté de ces abois-là et je les préfère généralement au chant des oiseaux ou au chœur des anges. Mais au soir du 4 novembre, je me hâte d’exulter. Sachons encore exulter. Déchanter, nous savons. C’est notre lieu d’excellence, le désenchantement. Nous avons fait nos preuves. Et, prudents, d’une prudence que n’inspirent au demeurant pas toujours l’intelligence ou le courage, nous avons pris le pli de ne nous émouvoir qu’à huis clos ou plus simplement encore de feindre que nous ne cédons plus à l’émotion. Obama président, hosanna ! Le vol du boomerang est fameux. Et même si l’on peut craindre que l’aile volante choisira l’émail étincelant de notre sourire béat comme point d’impact, applaudissons son évolution dans les airs. Les ères. Lire la suite


Ainsi passe mamzelle Gloria Mundi,
les étoiles, dans la boue et la pluie.

1.

Aujourd’hui que nous avons appris du professeur Éluard que la terre est bleue comme une orange, nous prions sans excès de courtoisie les astronomes Anaximandre. Anaximène ou Thalès et leurs pairs en vrac, d’aller, juste retour des sujets, se faire voir chez les Grecs à qui ils ont appris que la planète est plate ou que les astres sont des corps fixés sur des sphères en révolution. Car bien sûr, c’est bleue comme une orange qu’est la terre. Bleue d’elle-même, éperdue d’elle-même, la terre est bleue comme le cadavre d’un Narcisse noyé. Oui, bleue comme une orange, sanguine tout de même, énormément sanguinolente. La terre est la négresse bleu pourpre des hommes, leur favorite tête à claques, leur rouge chèvre émissaire, leur crotté paillasson. (Passons un instant l’orange au bleu. L’universelle ambiguïté de l’être peut ainsi se décliner : la terre, c’est son précieux berceau, sa soue immonde, son paradis perdant, ses fouettantes feuillées, son palpable Graal, son gadget en plastique, son plancher de salut, sa pelote d’insatiable bousier.) Revenons à notre fruit à pépins. Bleue comme une orange en instance d’asphyxie. Comme saisie et étranglée par un cou dont elle est singulièrement dépourvue. Belle orange de la taille et de la consistance d’une ecchymose, d’une contusion, d’un traumatisme. Bleue et ballottante comme la coloquinte tranchée d’un aristocrate, secouée comme la tronche bleu noir d’un porion silicosé. La terre bleue comme le visage d’un pendu à Villon, la pelure de l’étrange fruit éructé par Lady Day. Et une orange synthétique, Maître. Une orange dévêtue, dépouillée, départie de son écorce lyrique. Comment va la terre ? Disons que ses métaphores sont en berne. Un fruit bleu de rage, rebelle ou plus sûrement absurde, triste machine aveugle, qui se craquelle, se soulève, se fissure, sort ses fumantes tripes. Un agrume génétiquement modifié et dans lequel il est conseillé de ne mordre qu’avec modération. Mais comment taire, sans porter ombrage au trismégiste et céruléen Paul, que l’affirmation d’une terre plate nous laisse vaguement nostalgique ? Oui, nous avons nostalgie de ce temps où la terre était, dans un vigoureux accès de lucidité, dite plate. Qu’on nous comprenne, nous ne regrettons pas le temps de l’hébétude qui faisait croire à l’homme que la terre est une surface plane au bout de laquelle le marcheur s’abîme. Nos regrets éternels vont à cette époque clairvoyante qui donnait d’ores et déjà la terre pour une chose épuisée, sans caractère, médiocre, un modèle, – osons la formule, ne sommes-nous pas là pour ça ? – un parangon de platitude. La terre est morne. La terre est triste, hélas. C’est la terre, la terre toujours recommencée ! Ah ! ouiche, comme notre modestie s’accorde bien à cette perception désormais tombée en désuétude. Lire la suite