Désastres pâles

Jack Keguenne,

On dirait « coquetterie », comme un lapsus pour « comédie », mais qui serait devenu principe de base.

Pour être un bon acteur, il faut pouvoir se sentir à l’aise dans les formes de la préciosité et, parfois, avoir le nombril plus près du centre.

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L’homme politique n’a plus à être éduqué, il est déjà surfait.

Et le spectateur sait d’emblée, même s’il semble l’oublier, comment le spectacle va finir.

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Il y a, dans le mot « économie », une ambiguïté qui pousse à dépenser.

Toutes les gesticulations ne brassent pas de la même manière l’air du temps. L’espoir et les habitudes, bien qu’inscrits dans la même tradition, ne présentent pas de vertus concordantes.

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Certains hommes tirent de leurs ambitions matière à être debout. Pour d’autres, il vaut mieux rester assis, sur du velours.

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La fatuité déploie des arrogances dont les poules, à l’aube, dès l’œuf pondu, demeurent à l’abri.

À bien comparer, il n’y a, chez beaucoup, qu’une coquille — quand d’autres, sans savoir, proposent le service et l’utilité.

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Rien n’est grand dans le discours d’un seul, surtout lorsqu’il a été rédigé par un subalterne.

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Approuver, même silencieusement, semble devenu le mot d’ordre.

Tout le monde entend, plus personne ne voit. Et ce qui se fait n’apparaît que dans l’insu, ou la rhétorique.

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Il en va du pouvoir comme de l’amour : il s’exerce, mais ne se justifie pas.

Il reste qu’on comptabilise les victimes ; subjuguer ne possédait pas la puissance escomptée pour épargner les dégâts.

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Notre capacité à devenir héros est des plus limitées. Tout s’entretient autour de notre béatitude.

Ce n’est même plus le discours qui nous mène, c’est sa forme.

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Plus rien ne se décide, sinon l’idée de s’accrocher à son salaire — éventuellement au prestige de sa position.

Celui qui se recroqueville, dépité, dans une fonction moins en vue, ressemble à un mari mis sur la touche, déchu par l’habitude ou ses mollesses. Qui s’accroche à un ordre toujours ancien, dépassé.

À des épousailles désabusées.

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Dans un monde mis à feu, s’arrêter à ceux qui n’ont d’autre choix que de vendre des allumettes à la pièce quand les pyromanes impunis occupent l’avant-scène pour faire écran.

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N’avoir rien à dire tant que les conseillers dorment.

Il y a tant de coulisses.

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Un monde de ruines dans lequel il y a à faire peau neuve, comme un bel habit, parce que je le vaux bien.

Dans la comédie, l’histoire se résume à trouver la réplique cinglante du moment en oubliant ce que le passé a pu accumuler ou déjà dénoncer.

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Celui qui viendra sera peut-être plus pâle encore, ou vacciné aux compromis. Porté par le seul programme de sourire.

Nous n’avons pas d’espérance intermédiaire.

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Tout ira à la promesse plutôt qu’au résultat, de sorte que la promesse se suffira à elle-même, au point d’obscurcir l’horizon.

Un paradoxe à usage d’élixir de jouvence.

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L’histoire fomente ses plus grands désastres lorsqu’elle laisse penser qu’on en est le seul acteur.

Mais il se trouve toujours une belle âme pour consoler et revigorer les cocus.

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Au vrai, une certaine caste d’hommes ne réussit qu’une chose au quotidien : être bien rasé et présentable.

Avoir réponse à toutes les objections est passablement accessoire. On ne résiste pas aux penchants quand on charme.

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Attendre les négociations ou les élections et inversement. Imaginer des conciliations improbables alors que chacun, dans la mise en scène, déclame sa réplique.

Le texte est écrit, il n’y a pas à éprouver de gêne ou de remords à s’y tenir, même si le tour de rôle est confus.

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S’en remettre à la postérité, c’est tabler sur les applaudissements à venir de ceux qui paieront les traites du déficit d’aujourd’hui.

Comme si, pour certains, il ne s’agissait pas tout à fait d’exister, mais déjà d’essayer de se dissimuler dans l’orgueil. Ou de jouer la représentation par procuration.

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Le rouge reviendra peut-être, même pâli, délavé et essoré.

On aura oublié que les valeurs ne s’inscrivent que dans l’évidence de la clarté, et pas sous l’effet d’une couleur ternie. On voit d’ailleurs quand il tombe que le rideau a rétréci.

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Il semblerait qu’il n’y ait plus, depuis les Lumières, qu’une sorte de théâtre d’ombres et, depuis la Terreur, qu’une habitude du coup fourré.

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Il a fallu, pour la province, inventer une profondeur que, sans doute, le centre, perché sur son piédestal, ne connaît pas.

L’acteur, toujours, domine le parterre.

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Dans les comédies, on voit généralement l’amant sortir par la porte côté jardin au moment même où le mari entre par l’autre, côté cour. On reste souvent captif de ce seul mouvement ; on remarque moins, au centre de la scène, la femme, effondrée dans le canapé, qui se tient le visage dans les mains et devrait faire l’objet de toutes les attentions.

Elle est en pleurs, sans doute, en désarroi, à tout le moins, mais, pour l’instant, elle s’est aveuglée.

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