Toi, marin anglais, Jim Barns, mon ami, c’est toi
Qui m’enseignas ce cri très ancien, anglais,
Résumant si vénéneusement
Pour les âmes complexes comme la mienne
L’appel confus des eaux
Fernando Pessoa, Ode maritime
I
Grande-Bretagne,
prendrais-tu ta grande île pour un immense bateau
qui partirait, s’exilerait sur des mers animées
de rêves à définir ?
Jadis, faisais-tu partie du Continent ?
Un déluge t’en sépara-t-il ? Cette coupure
t’aurait-elle, en un terrien inconscient,
marquée au point qu’il te faudrait la revivre,
mais plus amplement ?
Répondant ainsi, moins à des causes économiques,
qu’à l’air du temps climatique ?
Ostende verrait Douvres s’éloigner.
En guise de mouchoirs d’adieu,
les mouettes agiteraient leurs ailes.
La Manche devenue Large,
le Continent découvrirait un plus lointain horizon.
Turner, qu’en penses-tu en tes embruns d’antan ?
II
« Brexit » ?
Break dans un désarroi
qui cherche en vain un spécialiste
pour l’analyser, le psychanalyser,
en remonter toutes les causes.
Exit…
Départ et exil
sont signes de notre temps.
S’il en est de nettement vital,
il en est d’hésitant.
Turner,
puissent tes tempêtes,
dans les esprits confus,
dissiper et alléger
les nuages.
« … la bataille !
Lorsque se déchirent, au-dessus,
les nuées orageuses… »*
Que le ciel nous préserve de la bataille :
celle des Hommes et celle des Éléments !
III
La bataille… La guerre…
Avant la dernière, en la « bonne île » **
d’Angleterre, Zweig se réfugia six ans,
tout en voyageant.
Lui avait observé, en Italie et en Allemagne,
la mise en place organisée
de quelque chose qu’il n’aurait alors pu définir
et qui était le nazisme.
Sa fine intelligence avait relié des éléments
qui, pour les autres, étaient anecdotiques.
Aujourd’hui, en Europe et en Amérique,
populisme et extrême droite attendent.
(Je ne sais s’ils sont tout à fait synonymes,
mais ils s’entendent).
Des signes seraient-ils à relier,
qui pourraient devenir avant-coureurs ?
Stefan, fervent Européen,
qu’en penses-tu en l’acuité de ton regard ?
Que la Grande-Bretagne se veut neutre ?
Qu’elle se laverait les mains de drames européens ?
Que me dis-tu, parle plus fort… Désertion,
tu as dit désertion ? Et que fuite n’est pas solution.
Je devine un autre mot sous tes larmes déçues :
Indigne !
*
* Poème de Byron mis en légende par Turner à son tableau Le champ de bataille à Waterloo.
** Stefan Zweig, Le monde d’hier – Souvenirs d’un Européen, Albin -Michel 1948.