Balançoire

Daniel Simon,

La rue en pente offre aux deux frères un terrain d’exercices qui occupent une grande part de leurs journées d’été. Ce sont des courses, des joutes de chevaliers, des concours de remontées ou de descentes, qui sera le premier, qui battra son dernier record et les chutes aussi, les genoux écorchés, le bras de l’un qui soutient l’autre…

Des vapeurs de térébenthine jusque dans le jardin. Aujourd’hui concours de balançoire. Les nuages sont moutonneux, l’été humide, les énergies des gamins débordantes. Comme on ne peut pas lire tout le temps, l’exercice sous toutes ses formes reste leur meilleur défouloir.

Une lumière rose tombe en biais sur l’arbre aux papillons bruissant de visiteurs à cette heure du jour.

« Le plus jeune, c’est moi et c’est à moi de commencer ! »

Il s’installe sur la selle de la balançoire regarde vers l’horizon des jardins cette lumière qui ressemble tellement aux chromos des livres d’histoire, il pense que c’est peut-être la palette de peintre de son père qui est responsable de ce miracle…

Le grand frère veut le pousser, engager le mouvement mais il refuse, il est assez grand pour se lancer tout seul ! Le balancier commence et à coups de reins et de cordes tendues, le garçon atteint la hauteur des murs séparant les jardins, il monte encore plus haut, tellement que soudain dans une lumière si blanche qu’on dirait de la neige fondue, il disparaît au-delà de tout et les nuages se referment.

Le jardin s’immobilise, les papillons se figent, l’herbe ne tremble plus sous le friselis du vent, le silence est partout.

Le grand frère a retenu sa respiration, regarde le jardin se réchauffer lentement, les bruits de la rue sautent par-dessus les toits jusqu’aux pieds.

Il est au centre de quelque chose qu’il ne comprend pas encore. Il appelle son jeune frère, lance son nom aux quatre coins du jardin et d’un coup il sait ce qu’il doit faire. Il s’installe sur la balançoire et attend que son cœur cesse de battre si fort dans sa poitrine, il respire lentement et peu à peu, il sent une main légère le pousser dans le dos, de plus en plus fermement, la balance prend son élan, elle grimpe vers les faîtes.

Le tournis gagne le jeune garçon, il ferme les yeux et s’abandonne au mouvement.

Quand il les ouvre, il aperçoit le jardin déjà loin derrière lui alors que les nuages approchent.

Partager