Ici sans doute

Pierre Puttemans,

pour Jacques De Decker

… et puis la ville, comme un grand vent battant les murs ; hommes debout sur les maisons, attendant l’orage, collés aux façades, hallucinés ou morts, en érection, debout sur les toits et humant les fumées, dans le vacarme montant des rues, parmi les cheminées et les antennes, les capteurs, les épis de faîtages, dominant les cours et les jardins pelés où les petits garçons se montrent le zizi, puis courant et sautant d’une terrasse à l’autre, comme poursuivis, et tombant à travers les tabatières sur les couples endormis enlacés, pétant entre eux, enfin dévalant les étages et se retrouvant dans les voitures au milieu du tintamarre avant de se réfugier dans les caboulots paisibles où les pensées toutes faites s’enroulent dans l’odeur de bière et de tabac froid ; la ville, sans lendemain ni passé, grelottant sur ses bases, sur les débris informes à jamais enfouis, se déplaçant sournoisement de maison en maison, brouillant les pistes de boue, les murs et les pavages flottant dans ce magma, fracassant des fragments de ponts, des tours de garde, des boutiques entières de poterie ; soudain envahie de cendres et de cris, moule abject de la terreur – and I laid here, with my lover – alors que le vent soulève la poussière des siècles, sous l’œil des guides jaloux de ne perdre personne, voire d’agglutiner de nouvelles victimes, futurs rois, futures reines, dames d’atour et malfrats lâchés du haut des donjons ou des planches, des tremplins réservés aux mutins, muscadins et masques, lanceurs d’oranges sèches, ivrognes de circonstance déboulant entre les façades grillagées (comme les tambours pénètrent jusqu’aux tripes), lâchant les chiens, crevant les nuées, piétinant, piétinés, féroces : la ville au petit matin, silencieuse, embrumée, douillette – et puis les chiens encore, les chiens libres et rapides, flairant, laissant, léchant, filant : l’heure des chiens, la ville des chiens, le territoire quadrillé de vent, quelques minutes avant les savonnées, les vapeurs, les remugles. Alors les hommes remontent aux façades, hissés sur les toits, attendant la nuit, les projecteurs et la neige.

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