Quelque chose viendrait dans la transparence, dans cet air insouciant qui enrobe le vert des végétations. Dans ces lueurs solaires qui parfois trouent la canopée pour chauffer l’humus et faire briller les couleurs des grenouilles venimeuses.

Une respiration inusitée, un souffle traversé.

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Accorder au serpent ses raisons d’être lent.

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Comment donc s’appelait cet Indien, lu il y a trente-cinq ans, qui disait traverser le fleuve à la nage, au milieu des piranhas, après avoir vérifié qu’il n’avait pas la moindre blessure sur le corps, sur la peau ?

Une forme de vie qui ne s’encombrait pas d’hésitations pour se maintenir.

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Lent. Lent sans doute à qui le contemple.

Mais jusqu’où va le fleuve et que charrie-t-il ?

Que reste-t-il, dans l’estuaire, de la mémoire des sources ?

Il pleut assez dans nos mémoires pour laver les souvenirs.

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Elle, lente d’autres raisons, se tiendra en bord d’océan sur talons hauts. Arpenteuse qui donnera sens aux marées, promeneuse parallèle. La vague ne modifiera rien de sa trajectoire, ni la suivante, mais, par-dessus un journal, au-delà d’un cigare, un regard s’arrêtera sur ses jambes.

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Nous serons ainsi, au dépourvu, entre la terre première et nourricière, la chaleur et une soif. Entre le secret fermé des forêts, l’eau vive des fleuves, un désir de mousse et d’abandon. Avec des destinations illusoires et quelques pontons pourris où fermente l’ivresse des bateaux.

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Dieu n’a pas de colère manifestée. Le curare ne signifierait qu’une pharmacopée inverse. Une justice redistribuée.

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Quelle amazone s’amputerait d’un sein lorsqu’il s’agit d’abord d’user de la sarbacane ?

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Accorder au serpent ses raisons d’être discret, ou dissimulé. De glisser lentement là où les couleurs le confondent, dans l’humidité qui le protège. À couvert.

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Le vivace aujourd’hui doit s’accorder au monde.

— Portez-vous le bikini quand je traverse mon hiver ? Avez-vous des plages longues à faire rêver les enfants ? Des ongles marqués par le corail et des yeux qui ont envisagé les requins ? Pensez-vous mordre votre proie dans le moment où l’épouse s’occupe des enfants ?

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Au coquillage, faire semblant de donner l’ordre de l’endroit où il sera broyé. Sable, sable, instable miracle. Oublier dans un rire le bruit de la dernière vague.

Si, à certains endroits, le pied s’enfonce, s’écarter de ce chemin.

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Ce qu’elle fait aux terrasses ne concerne qu’elle, mais elle ne le fait jamais longtemps seule.

Elle a des langueurs de méandres, une humidité relative qu’elle ne tire pas de sa dernière douche mais comme d’un étrange parfum vaporisé.

Toutes les rivières n’ont pas l’apanage de présenter des torrents.

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Au cœur de la forêt, des chants d’oiseaux inconnus, et puis des grues qui déracinent les arbres qu’emportent des camions géants.

Quelque chose, dans leurs yeux, parle de planches. Certains hélicoptères de reconnaissance se posent parfois sur leurs hanches.

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Accorder au serpent de glisser subreptice, de choisir le camouflage. De lui laisser la forêt, ses glissades sereines, son silence.

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Soyez légère, soyez légende, vous n’aurez raison que de vous-même, vous creusez le sillon de votre illusion.

L’équilibre est un système fragile pour qui ne rampe pas durant ses affûts.

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Le fleuve coule et passe sans affirmer, il ne revendique aucune autorité. Il ponctue et rien n’a jamais retroussé son cours.

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Si le serpent est vif à saisir ses proies, il est lent à les digérer. Depuis des millénaires qu’il passe la langue, il donne une leçon qu’il vaut mieux ne pas inverser. D’autant plus que, contrairement à l’idée reçue, il ne commence pas par séduire.

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Malgré les eaux brunes, celui qui navigue doit savoir les transparences et connaître les repaires où le poisson fraie.

Il n’y a pas de pirogue courbe.

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À regarder la carte d’un fleuve, on ne voit jamais ce qu’il charrie en ondulant, mais toujours ce qu’il irrigue sans compter.

Il y a de la prudence dans la topographie.

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Plus loin, à l’estuaire, la question reste ouverte de savoir la limite du fleuve et celle de la mer, à quel moment la navigation devient hauturière et à quel endroit l’eau se montre salée.

À l’inverse, toutes les embouchures ne sont pas bonnes à remonter pour le commerce des meilleures épices.

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Ce qui demeure inexploré s’épuise le plus souvent sous les limites de l’imaginaire.

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