Mon Amazonie

Corinne Hoex,

J’ai une belle Amazonie.

Passant, viendras-tu l’explorer ?

Mon crocodile est aux aguets,

Mais ma rivière est bonne fille.

J’ai une sauvage Amazonie,

Toute à celui qui la vaincra,

Celui qui s’y hasardera.

Les yeux des crocodiles brillent.

J’ai une vaste Amazonie

Que les atlas ne connaissent pas.

Mes crocodiles font peu de cas

Des noms de la topographie.

J’ai une furieuse Amazonie.

Passant, ce soir, rêveras-tu

Des singes bondissants et nus

Dont tu seras la fantaisie ?

J’ai une aimable Amazonie.

Mes singes sont hospitaliers.

Ils feront de toi leur invité.

Tu goûteras leurs pitreries.

J’ai une charmante Amazonie.

Mes petits singes parfumés

Te dédieront leurs privautés,

Leurs baisers, leurs tendres lubies.

J’ai une charmeuse Amazonie.

Sous les moiteurs des canopées

Mes singes parfaitement dressés

Travaillent dans la galanterie.

J’ai une lascive Amazonie.

Mes singes aux ongles assidus

Te gratteront le cuir chevelu,

Te convieront à leurs orgies.

J’ai une exquise Amazonie.

Mon ouistiti, mon tamarin,

Mon sapajou, mon capucin

Apprécient la camaraderie.

J’ai une rieuse Amazonie.

Mes saïmiris à longue queue,

Mes douroucoulis aux grands yeux

Te feront des taquineries.

J’ai une gracieuse Amazonie.

Mon singe hurleur, mon singe hibou,

Mon alouate au pelage roux

Sont friands de câlineries.

J’ai une hautaine Amazonie

Où mon perroquet silencieux

Te fixe dans le blanc des yeux

D’un froid regard qui te défie.

J’ai une divine Amazonie

Où s’affairent de grandes fourmis

Qui vont en file contre l’oubli

Et dont les pattes te titillent.

J’ai une troublante Amazonie.

Mon timide caméléon

Sous le coup de ses émotions

Te fera des polychromies.

J’ai une très vieille Amazonie

Aux grands iguanes épineux,

Patriarches mystérieux.

Leurs doigts griffus se recroquevillent.

J’ai une fauve Amazonie.

Mon doux jaguar capricieux

Est d’un naturel généreux.

Il viendra t’offrir ses chatteries.

J’ai une grisante Amazonie.

Mon tamanoir, mon fourmilier,

De sa longue langue effilée

Te fera des polissonneries.

J’ai une espiègle Amazonie.

Mon caïman facétieux

Voudra te mordiller par jeu.

Il est d’une gloutonnerie !

J’ai une patiente Amazonie

Où mes araignées ténébreuses

De leurs longs doigts lents de fileuses

Tissent leurs blanches tapisseries.

J’ai une puissante Amazonie.

Ma grande mygale chasseuse

A la morsure affectueuse.

Tu seras sa confiserie.

J’ai une méfiante Amazonie

Où ma mygale aux mains velues

Balance sa panse repue,

Digérant avec jalousie.

J’ai une inquiète Amazonie

Où un serpent se tient blotti,

Aiguisant son œil de rubis.

Menaçante joaillerie.

J’ai une frôleuse Amazonie.

Mon anaconda amoureux

Dans ses anneaux voluptueux

T’embrassera avec frénésie.

J’ai une vibrante Amazonie

Où tournoient dans l’air parfumé

Mes transparentes mouches dorées.

La soie de leurs ailes scintille.

J’ai une ardente Amazonie.

Mes lucioles au vol capricieux

Allument leurs élytres de feu,

Te frôlent de leurs incendies.

J’ai une fiévreuse Amazonie

Toute brûlante de frissons

De tremblements, d’excitations,

D’énervements et de folies.

J’ai une obscure Amazonie.

Ma grande forêt ensorcelante

Déplie ses fougères géantes

Aux sombres racines enfouies.

J’ai une rampante Amazonie

Aux longs marais visqueux et noirs.

Dans les reflets de leurs miroirs

Se glissent de vertes anguilles.

J’ai une vorace Amazonie

Où mes piranhas carnassiers

T’engageront à partager

Leurs insatiables boulimies.

J’ai une fluviale Amazonie.

Mes bateaux aux coques rouillées

Lourdement se laissent immerger,

Descendent au fond de l’eau croupie.

J’ai une tendre Amazonie

Où mes marins aux mains calleuses

Serrent, la nuit, de belles rêveuses,

Des seins blancs de femmes endormies.

J’ai une modeste Amazonie

Pour ta mappemonde et ton atlas,

Pour ton Larousse et ton Bordas.

Une ravissante géographie.

J’ai une immense Amazonie

Où jamais je ne parviendrai.

Mon grand crocodile immergé

Surveille son hydrographie.

J’ai une songeuse Amazonie.

Mon lamantin aux yeux languides,

Pénétré de pensées humides

T’invite dans ses rêveries.

J’ai une secrète Amazonie.

Passant, viendras-tu t’y chauffer

Ce soir quand dans l’hiver glacé

Tu manqueras de compagnie ?

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