Les sept péchés capitaux

Huguette de Broqueville,

La bécasse est de mauvaise humeur. Ça lui arrive quand, justement, rien n’arrive dans sa vie. Ni de l’extérieur ni en son particulier. Apparemment, rien n’intéresse non plus son rédacteur en chef qui a proposé à ses journalistes un concours de nouvelles sur le chiffre 7. Tourner 7 fois la langue dans la bouche… les 7 merveilles du monde… les 7 péchés capitaux…

Ceux-ci méritent qu’on s’y attarde : paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère, envie. La bécasse s’y attarde donc. La gourmandise, l’orgueil et son avatar l’arrogance donneraient le ton de la Flandre. La paresse serait celui de la Wallonie, du moins aux yeux des Flamands. Voilà que la foutue Belgique me hante encore, pense la bécasse alors que tournicoter autour du défendu apporte des pensées plus voluptueuses. Elle rêve un instant à ces péchés si tentants dont le plus joli est la luxure avec son démon Asmodée, et le plus bête la jalousie, le seul qui ne fait pas plaisir.

Quelle mouche a donc piqué son rédacteur en chef, d’ordinaire à l’affût des événements de son pays ? N’y aurait-il rien dans la Belgique de cet été 2007 qui vaille la peine d’être noté, analysé, décortiqué ? Tourné en fiction ? Il y a bien la Bataille des Éperons d’or, victoire des Flamands sur les Français qui se fêtait en juillet, le 7e mois de l’année… Rien vraiment ? La Belgique en léthargie espère depuis plus deux mois un gouvernement. Elle ressemble à une baleine échouée, aux viscères presque atones, qui attend l’accouchement d’un bébé tout frais, une nouvelle Belgique. (Sous le forceps de Monsieur Yves Leterme, formateur.) Non pas la Belgique de « papa », mais un nouvel État qui apporterait aux Flamands un maximum de pouvoir. Sur cette baleine assoupie, le lion de Flandre s’étale, respire, magnifiquement royal. Le coq wallon, glisse, guette, s’ausculte. Champion du refus aux exigences flamandes, il pousse de courageux « cocorico non, non ». « Cocorico, non, non, nous ne demandons rien. » Et le lion se met à gronder.

De ses étendues de sable noir, de bruyère, de ciel bas où souffle le vent du large, la Flandre (composée de 7 lettres) montre ses gourmandises. Un peu de sol par-ci par-là, un brin de sable, Vilvoorde, les Communes à facilités, le lion royal s’étale souverain, ses griffes noires et rouges, fleur de sang, sur la Belgique exsangue. La bécasse ne trouve plus le sommeil, elle ne se connaissait pas si « patriote », si belge, si echt belg, car si imprégnée de cette culture flamande chantée par la prose virile d’Henri Conscience dans son enfance. Elle vibrait à chacun des mots francophones qui exaltaient la Flandre, s’enthousiasmait de l’élan du peuple flamand, de sa ruse pour anéantir l’ennemi. Riait au « goedendag » imprononçable à la glotte pincée des chevaliers français, dont les crânes recevaient illico la redoutable massue. Et plus tard, au « Schild en Vriend », ce raclement de gorge qui a donné la victoire à la Flandre avec, en prime, les éperons d’or de ses ennemis.

Maintenant, ce peuple si fier, si valeureux, ne montre plus que des sentiments mesquins, revanchards. Un monstrueux égoïsme. Avaricieux de son passé. D’un coup de patte, le lion écarte le coq qui ose s’aventurer entre ses griffes. « Buiten, on n’a pas besoin de toi. » Na Leuven, Brussel, avaient crié, il y a plus de trente ans, les hordes flamandes qui reprenaient à leur compte l’université de Leuven. Maintenant, ils sont aux portes de Brussel (7 lettres). La bécasse en transpire d’horreur. Cette Wallonne se sent flamande, mais les Flamands ne veulent plus d’elle. Elle parle, écrit, pense en français. Le Franskilloen abhorré sera systématiquement rayé de Flandre. Encore un peu, les Flamands lui reprocheraient son amour de la Flandre, comme s’il n’y avait qu’eux pour savoir ce qu’est un Flamand (7 lettres) ! Comme si le regard francophone ne pouvait que polluer la conscience flamande. Retire-toi, Satan. Et si on pousse plus loin le jeu cruel du plat pays, il se pourrait même que Monsieur Yves Leterme mijote son entrée fracassante comme Président fondateur d’une nation toute neuve, la Flandre indépendante. « Amour sacré de laaa patrie »… lapsus révélateur du Flamand chantant la Marseillaise sur le parvis de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule.

Belzébuth et Lucifer se frottent les mains : la gourmandise et l’orgueil de Monsieur Leterme semblent sans limite. Son nom n’est-il pas composé de 7 lettres, le chiffre sacré de l’ambition ? La perfection de la Plénitude, selon saint Augustin ? Le destin d’Yves Leterme et celui de la Belgique inscrits dès lors en son patronyme ? En sigle de feu, la bécasse lit : Yves met le terme à la Belgique.

Il n’y a pas de hasard, pense-t-elle, l’homme à abattre, c’est lui, si l’on veut sauver le pays. Elle forme le numéro du GSM de son rédacteur en chef.

— Allô ?

— Oui ?

— La bécasse.

— Ah, la bécasse, qu’y a-t-il ?

— Vous aviez raison le chiffre 7 est porteur.

— Comment ?

— Leterme est composé de 7 lettres.

— Oui, et alors ?

— C’est grave. Très grave. La numérologie nous apporte des précisions quant à l’impact du chiffre sept sur le destin d’un homme. Et quand cet homme tient le destin d’un pays entre ses mains, bonjour les dégâts ! Allô, allô, je ne vous entends plus.

— Allô, allô ?

— Allô, êtes-vous toujours là ?

— Allô, allô, je suis en Turquie… en vacances… les montagnes…

— Allô, allô ?

— Allô…

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