Sept fois, c’est les bonnes

Jacques De Decker,

Un numéro sur un numéro, sur un nombre plus exactement. Curieux, de la part d’une revue qui a la réputation de faire réagir la littérature à l’actualité. Serait-elle à ce point calme ces temps-ci ? Certainement pas en Belgique, et pas davantage ailleurs. Notre grand voisin se découvre un nouveau régime, l’autoritarisme médiatisé, la monarchie de proximité, qui fonctionne sur le coup d’éclat permenant, pour reprendre une pertinente expression, qui est une habile variation sur le coup d’état permanent que François Mitterrand reprochait à Charles de Gaulle.

Au pays, la crise d’identité est d’une gravité sans précédent. Il y a un seuil au-delà duquel la parcellisation entrave les tentatives de réunion, fût-ce de quelques semaines, autour d’une table de négociation. On peut espérer que ces atermoiements ne sont que le prix à payer d’un éloignement aussi long et aussi entêté. Le temps perdu à refaire connaissance aurait été épargné si on ne s’était pas autant écarté les uns des autres. Et au moment où s’écrivent ces lignes, on ne peut que souhaiter que les interpellations purement phatiques aient fait leur temps, et que les propos commencent à s’échanger vraiment. Si ce n’était pas le cas, le thème de la livraison prochaine de Marginales serait évidemment trouvé…

Mille autres sujets de préoccupation auraient pu nous requérir. Mais le choix s’est néanmoins porté sur ce chiffre sept. Chiffre, certes, au sens de signal crypté. Il est, il faut le reconnaître, l’un des plus richement connotés. Les groupes de sept nous requièrent plus que les autres parce qu’ils nous font davantage rêver et frémir. les merveilles comme les terreurs, dans notre imaginaire, sont souvent déclinées selon cette quantité. On pourrait multiplier les hypothèses qui expliqueraient ce phénomène. L’une d’entre elles consisterait à y voir le duplication de trois suivie d’une unité qui interromprait aussitôt la série, comme une irrémédiable cassure. La longévité humaine, malgré ses progrès, reste massivement réduite à sept décennies. Comme la semaine, qui ne compte pas plus de sept jours, le septième étant celui du repos du Créateur et de ses pensantes créatures.

Semaine, principale mesure de la durée, vouée aux sept planètes qui, fort longtemps, furent seules à occuper le firmament familier. Semaine, quart de la période lunaire, dont le nombre de jours (vingt-huit) correspond, comme l’observait déjà Philon, à la somme des sept premiers nombres.

L’universalité du rôle éminent du sept dans les diverses cultures laisse rêveur : Salomon met sept années à construire son temple, le culte d’Apollon se célébrait le septième jour, les circumambulations de la Mecque comprennent sept tous, le Bouddha dispose de sept emblèmes et mesure à sa naissance l’univers en faisant sept pas dans chacune des quatre directions, le Yoga connaît sept centres subtils, les « yeux de toutes choses » des Incas sont au nombre de sept, en Afrique le sept est le chiffre des jumeaux mythiques… Sous toutes les latitudes, le sept règne sur notre découpage du monde.

Il impose aussi ses lois en art, puisque les couleurs de l’arc-en-ciel et les notes de la gamme diatonique, instruments fondamentaux de tout acte créateur, qu’il soit pictural ou musical, se disposent en fonction de lui. L’artiste est voué au sept, et même l’écrivain n’y échappe pas. C’est ce que la confection de cette livraison de Marginales a amplement démontré. Les textes abondants qui le composent, leur déferlement dès l’invitation lancée l’ont clairement illustré. Le sept comme thème, le sept comme principe structurant détermine chacun des textes qui composent l’ensemble. Et l’on s’aperçoit qu’il est fertile, le sept, lorsqu’il s’agit de stimuler l’imaginaire, et de lui conférer quelque organisation. Ferait-il partie des intentions divines ? D’aucuns n’ont pas hésité à le postuler. « Dieu a imprimé partout dans l’univers le caractère sacré du nombre sept », lit-on dans Obermann, ce roman bien oublié de Senancour. Probablement pour nous faire souvenir que tout, en ce monde, décline et se meurt, avant de renaître. Le climat singulier du mois de septembre qui porte son nom en témoigne. Qui, mieux que Valery Larbaud, en a dépeint les mélancoliques couleurs ? « Le ciel est moins haut qu’en août, et les rayons du soleil, les soirs, restent longtemps étendus sur les prairies avant de s’évanouir », nous dit l’exquise prose de ses Enfantines…

Nos contrées, parce qu’elles sont nordiques, sont particulièrement marquées par la constellation qui contient l’étoile polaire, la Grande et la Petite Ourse constituant le septentrion, dont Hugo a évoqué la menaçante présence dans ses Contemplations : « Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent, / Au-dessus de nos fronts tremblants sous leur rayon,/ Les sept astres géants du noir septentrion. » Est-ce pour cela que le chiffre sept a tant mobilisé, tant stimulé nos auteurs ? Leur a-t-il permis de se sentir en espace de connaissance ? La lecture de ce Marginales pas comme les autres autorise à le penser. Il en laisse augurer d’autres, qui s’échapperont ainsi des remous de l’Histoire pour explorer les formes et les prodiges de la pensée émancipée du temps.

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