À la frontière

Admiral Mahic,

CERCLE – EXILE IN ALCOHOL

(Récit lyrique d’un voyage en Belgique)

 

1

Plus rien ne suis. J’ai nettoyé la face d’un cheval belge.

Alors, cheval, boirons-nous l’eau-de-vie de cerise ?

Avec l’ivre soie de la solitude

Ravauderons-nous la sérénité ?

 

Plus rien ne suis. Et mon amie n’est plus.

Ma mie, ô ma soif, où es-tu ?

Où t’es-tu envolée ?

Si tu m’embrassais tu ne serais pas morte !

 

2

Si je ne bois pas,

Comment trouverai-je le cœur de tous les atomes ?

Je suis le CERCLE – EXILE IN ALCOHOL

Tanguant sur mon vélo comme la mer belge qui refuse de geler !

Le pouls de la philosophie et de la littérature je l’ai fui

dans l’embrassement d’une eau-de-vie de cerises belges.

Ne te berce pas, ô cerise, dans mes larmes !

Cerise, ô cerise, les Enfers sont plantés en nous afin

que nous leur donnions forme de Paradis, ô belle cerise.

Cerise, ô cerise, je suis alcool tiré d’un canon,

mais n’ai tué personne !

Cerise, ô cerise, et les hommes qui se tenaient par la main autour

du gratte-ciel des Communautés Européennes à Bruxelles,

n’ont tué personne !

Cerise, ô cerise, pareille à une harpe, les nobles voyelles et

consonnes du roi Albert et de la reine Paola,

n’ont tué personne !

Cerise, ô cerise, l’écrivain voyant Kamiel Van Hole qui m’attendait

à la gare centrale de Bruxelles, n’a tué personne !

Cerise, ô cerise, sur le quai le vase de pierre qui ne juge pas

mon enfance, n’a tué personne.

Cerise, ô cerise, le sourire toujours plus jeune de Spomenka

Dzumhur par les champs de Belgique et d’Herzégovine et de Bosnie et du cosmos, n’a tué personne !

Eau-de-vie, eau-de-vie de cerise, Kris le naturaliste,

les jambes et doigts de Barbara et Rita le perce-neige,

n’ont tué personne !

Eau-de-vie, eau-de-vie de cerise, le chien noir Kabousch

n’a tué personne !

Eau-de-vie, eau-de-vie de cerise, Sead, propriétaire à Bruxelles du restaurant Bosna, en tendre accord avec sa famille-hymne,

volontiers m’a offert le gîte et le couvert ; ils n’ont tué personne !

Cerise, ô cerise, la betterave sucrière près de laquelle je passe à bicyclette,

n’a tué personne !

Cerise, ô cerise, la voix du poète Resad Hadrovic érigée au téléphone

n’a tué personne !

Cerise, ô cerise, la bière apprivoisée « Stella Artois »

n’a tué personne !

Cerise, ô cerise, le port en spirale d’Anvers

n’a tué personne !

Cerise, ô cerise, berceau, Marie, de Belgique les cloches qui

jamais n’ont cessé

de conter le voyage spirituel,

n’ont tué personne !

Cerise, ô cerise, la face nettoyée d’un cheval belge n’a pas tué la face nettoyée de ma mie !

Cerise, ô cerise, eau-de-vie de cerise, belle cerise, la murmurante rivière Escaut n’a pas tué la voix murmurante de ma mie !

Cerise, ô cerise, eau-de-vie de cerise, je suis tombé de vélo au plus profond de l’être des hautes herbes…

Cerise, ô cerise, où sont allés, par les courants du ciel,

les baisers d’une fille, plus doux que ta douceur ? Et pourquoi ne voient-ils et n’entendent-ils pas ?

Et la barque sur l’Escaut, ainsi qu’au long de la rivière glisse un reflet d’argent…

 

3

Plus rien ne suis. J’ai nettoyé la face d’un cheval belge.

Alors, cheval, boirons-nous l’eau-de-vie de cerise ?

Avec l’ivre soie de la solitude

Ravauderons-nous la sérénité ?

 

Plus rien ne suis. Et mon amie n’est plus.

Ma mie, ô ma soif, où es-tu ?

Où t’es-tu envolée ?

Si tu m’embrassais tu ne serais pas morte !

 

RIEN QU’UN MATIN, RIEN QU’UN SI

 

1.

 

Épuisé d’avoir chevauché une plume

jamais avant ce matin ne fus si près des nuages

Tant de belles filles en manque de moi

Tant de maisons vides au bord de mer en manque de moi

Travail privé comme travail d’État en manque de moi

Solitude érigée

Le matin.

 

2.

 

Si je cesse de boire du vin

comment célébrer ma naïveté ?

Si je vais au supermarché je dois me concentrer,

il est très dangereux de faire choir quelque article !

Si je vais au marché l’argent me manque pour

acheter un perroquet.

Si je pense différemment les gens me font comprendre

que je ne sais rien sur rien.

Si en jurant j’offense un démon le même jour dans ma boîte

aux lettres je trouve la facture du loyer et de l’électricité.

Si l’envie me prend d’aller à l’étranger pour une dent en or

le dentiste de chez nous me convoque

à un entretien informatif.[1]

 

À LA FRONTIÈRE

 

À la frontière

le fonctionnaire m’intime

sur le passeport de changer ma photo.

Bien sûr, avec ma tronche, il faut toujours

qu’entre deux gares

il m’arrive quelque chose.

 

Poèmes extraits du recueil inédit À la frontière

Traduction française de Tomislav Dretar et Dragan Reda

[1] «Entretien informatif»: euphémisme utilisé par la police politiq yougoslave pour un interrogatoire

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