Cet été-là était torride. Yolande et moi, nous avions pris l’habitude de sécher les cours et d’aller nous faire bronzer les fesses dans les genêts. Nous passions nos après-midi le nez enfoui au milieu des tiges rugueuses. Les massifs de fleurs sauvages qui poussaient à l’époque sur ce terrain laissé à l’abandon dégageaient des parfums un peu âpres qui nous montaient à la tête. Durant des heures, rougies par le soleil, nous bavardions, jusqu’à ce que les ombres s’allongent. Il était temps alors de filer, de rentrer chez nous en traînant un cartable qui n’avait pas été ouvert et d’allumer la radio pour suivre les dernières nouvelles. La télévision existait-elle à l’époque ? Certainement, mais nos parents n’en voulaient pas. Dans la famille de Yolande comme dans la mienne, on répétait qu’il ne fallait pas distraire les jeunes, ni leur bourrer le crâne. Notre crâne à nous, de toute façon, était drôlement bouffé et nous passions tout notre temps libre à le vider, à décortiquer systématiquement les inepties qu’on entendait « dans le poste » ou que nous lisions dans le journal catholique, le seul admis dans la maison de nos parents et qui n’était de toute manière pas pire que les autres. Lire la suite