Dieu a aussi créé les beaux garçons.
C’est ce que m’a dit le frère Stanislas quand je me suis mis à pleurer, le cœur serré, avec cette facilité que j’avais à m’émouvoir et à fondre en larmes sincères lorsque je me trouvais dans l’embarras. Selon ma fiche de novice, j’étais un primaire, un livre ouvert, un jeune dans toute sa fraîcheur, avec des sentiments et une sensibilité à fleur de peau, exposés aux calculs et à l’hypocrisie. J’étais transparent et, malgré l’air superficiel que je m’efforçais parfois d’afficher – c’était mon point faible, selon le maître des novices et tout le collège des professeurs –, je ne pouvais empêcher que l’on me découvre toujours un caractère exceptionnel et des qualités qui, mal comprises, pouvaient me mener à la perdition, mais qui, bien dirigées, feraient de moi quelqu’un de très utile pour Notre Sainte Mère l’Église, pour la Congrégation et pour les enfants pauvres, y compris – et c’était à ce moment-là le grand rêve de ma vie – les enfants en terre de mission. Je savais, bien sûr, quel était mon meilleur atout, cette aisance à me débonder de part en part pour faire affleurer mes émotions, et je me suis donc mis à pleurer comme si toute ma famille était morte dans un accident d’avion – alors que j’avais quitté ma famille terrestre avec une détermination à faire peur –, comme si le Christ Notre Seigneur avait une nouvelle fois été crucifié, comme si Kennedy venait à nouveau d’être assassiné, comme si avait éclaté subitement un autre glorieux Soulèvement National, qui fut très bon pour l’Espagne, comme le disait le frère Stanislas, mais qui avait également servi à mettre les rouges dans une telle rage qu’ils firent plein de martyrs pour la foi. Je pleurais de telle manière, en y mettant tant de conviction, et dans des gémissements si spectaculaires – j’étais sûr qu’ils s’entendraient de la galerie où les novices, plongés dans la lecture spirituelle, déambulaient à cette heure de l’après-midi –, je pleurais de façon si déchirante que le frère Stanislas, notre maître des novices, se leva, contourna son bureau, se plaça derrière la chaise sur laquelle j’étais assis, s’inclina pour m’étreindre avec une tendresse tout ce qu’il y a de paternelle et me dit : Lire la suite