Cette année-là, je fréquentais deux soirs par semaine un cours de croquis d’après modèle à l’Académie des Beaux-Arts de mon quartier. C’était un bâtiment délabré que les finances publiques maintenaient debout à grand-peine, mais où régnait une assez joyeuse ambiance d’apprentissage et de créativité : à tous les étages, de la cave au grenier, on modelait, on sculptait, on photographiait, on gravait, on peignait, on découpait, on collait, on taillait ou on incisait, on développait ou on mettait en couleur. La disposition compliquée de cet ancien édifice rendait le passage par différents ateliers quasiment obligatoires lorsqu’on voulait rejoindre sa propre classe, et l’on traversait ainsi les décors les plus divers, dessinateurs studieux devant un squelette déglingué au cours d’anatomie, peintres en herbe juchés sur des escabeaux et des échelles au cours de peinture monumentale, tandis que les apprentis en sérigraphie, un fer à repasser à la main, tournaient autour de longues tables couvertes d’un drap ; quant au cours de sculpture, il se distinguait par son espace de rebut où l’on pouvait croiser, abandonnés le long du couloir, oreilles géantes, bustes ratés, études de pieds, et parfois, un poing tendu dans le vide. Le public mêlait, dans une allègre mixité d’âges et de statuts, étudiants, marginaux, femmes au foyer, retraités, professeurs, artistes confirmés et amateurs, flâneurs et dilettantes ; et cet heureux brassage des genres n’était pas le moindre des charmes de ce lieu que j’adorais. Lire la suite