J’abordais dans la ville de Marquet – ou Marquais. Ma barque accostait enfin au débarcadère situé à la pointe de la presqu’île de la Cité de Cire. J’avais longuement dormi pendant la traversée, la main plongée dans l’eau d’huile du lac alentour, l’eau morte et tiède, l’eau douce, chantante et sombre qui mène à Marquais. La barque blanche m’avait mené de berge en berge à grands traits lents. J’avais laissé les feux du jour derrière moi. Et devant moi depuis des heures, entre deux sommeils, loin encore de la barque silencieuse, m’attendait le ciel noir plus noir que toutes les voûtes et les lumières assourdies de la ville. Je ne me suis vraiment redressé que lorsque la coque frôla enfin la pierre de la jetée. Le pont était désert. Une lanterne allumée était posée sur le sol.
Il y a longtemps qu’il n’y a plus de passeur à Marquais. L’avant-dernier d’entre eux avait à peine connu mon grand-père, et le dernier du nom vit peut-être encore au Doux Palais. L’île Blanche, l’île de Cire, la Pointe à Nuit ne portait pas encore les nombreux noms sous lesquels elle est connue aujourd’hui mais son Palais d’albâtre était déjà célèbre pour ses fêtes éternelles. Le Prince de Marquais faisait venir des quatre horizons tout ce que le pays connaissait d’appâts ; les barques et les chariots à bœufs qui se rendaient sur l’île ployaient sous le poids des coquelets et des cailles, des jarres de vins d’épices, des faisans, des baies de Styre. Les gardes peinturlurés de Marquais ravageaient avinés la campagne, sortaient les paysannes à grands rires insouciants, les ferraient sous le son de la flûte et les emmenaient au Palais : le pays était riche, les paysans misérables, et les bateleurs venaient de partout proposer leurs chants et leurs services. Lire la suite