Une amertume de trente ans est à peine adolescente.
William Faulkner, Moustiques
Rue Servandoni, nous y voilà, dit-il. Et il se frotte les mains. Le Luxembourg n’est pas loin, où le vent léger agite les feuilles des arbres, les fait frémir, bruisser paisiblement et se frotter les unes contre les autres comme des paumes sèches.
Bon, le numéro n’existe plus ; l’hôtel non plus, manifestement, où il séjourna. En 1925. Il – donc l’autre –, pas lui, pas ce long garçon pâle dont la tête d’adolescent sous-alimenté émerge d’un imperméable informe et mou qui le couvre entièrement, dégringole jusqu’à mi-chevilles, comme une bâche défraîchie. Accoutré de la sorte, il évoquerait plus facilement le reporter sans nom de Pylône que l’aristocrate américain et alcoolique du Comté de Lafayette, Mississippi, qui inventa Pylône et ressuscita le carnaval de New-Valois (Nouvelle-Orléans), y plaçant son ineffable et touchant reporter et interrompant, pour écrire cela, la tragédie d’Absalon ! Absalon ! en plein milieu, abandonnant temporairement ce diable de Sutpen, la malheureuse Rosa Colfield et l’inconsolable Quentin –, faisant entracte à cette lyrique épopée du « Deep South » ; à cours d’inspiration, le conteur, a-t-on dit (des mauvaises langues ont même été jusqu’à prétendre que l’abus de whisky prohibé lui avait troublé l’esprit, lui enlevant ses moyens), toutes choses fort médisantes mais très probablement vraies, car il buvait pas mal, le conteur : William Cuthbert Falkner (dit Faulkner), son dieu, le Maître incontesté de cet aure « il » : Thomas L., en pèlerinage sur les lieux de naissance d‘Elmer, enfant mort-né, perdu en route sur le chemin de retour aux États-Unis, quelques mois plus tard ; abandonné au profit de Soldier’s pay, qui fut son premier roman édité. Lire la suite →