Dans la rue silencieuse

Françoise Pirart,

Dans la rue silencieuse, l’enfant joue, à califourchon sur un muret blanchi par la poussière.

Le soleil, très haut dans le ciel, brûle le sable, les visages, les maisons et les rues.

D’une main, l’enfant claque la croupe de sa monture imaginaire. La face fouettée par l’air chaud, il s’agrippe à la longue crinière. L’encolure et le poitrail du cheval blanc luisent de sueur, les naseaux frémissent, les sabots s’enfoncent dans le sable pour le rejeter au loin.

La rue est tranquille, il est midi, c’est un jour semblable aux autres, avec parfois le passage d’un véhicule, d’un homme ou d’un chien.

Une voix au ton autoritaire appelle le garçon.

Celui-ci, toujours à califourchon sur le muret, demeure sans broncher, entraîné par ses rêves de liberté. Et la mer est si proche qu’il sent bientôt, dans sa grandiose galopade, des gerbes lui éclabousser les mollets. Ses poumons s’emplissent de l’odeur âpre du grand large et ses jambes frêles étreignent le corps puissant de la bête dont les foulées se font de plus en plus amples. Excité par les cris de joie de son petit cavalier, le cheval frappe les vagues de ses sabots rageurs et mêle le sel de sa sueur à celui de la mer.

La voix autoritaire appelle de nouveau le garçon, mais il n’écoute pas. Il ne veut pas obéir. Il est grand maintenant !

Au loin, on entend le bruit sourd d’une détonation qui se répercute d’écho en écho à travers la vallée.

Puis le silence retombe sur le village, jusqu’au passage d’une jeep. Debout dans la remorque, des hommes armés, sales et déguenillés, rient. Sauf l’un, au regard triste, qui observe longuement l’enfant. Mais celui-ci l’ignore. Il a les paupières closes sous le dur soleil et le souffle coupé par l’infernale galopade. Quand il flatte l’encolure du cheval, sa paume rencontre le muret rugueux et chaud qu’il talonne avec vigueur.

De nouveau, la voix… Appels insistants de la femme. C’est la mère de l’enfant. Devant la porte d’une maison blanche, de l’autre côté de la rue, elle attend son fils. Elle s’impatiente.

Mais il ne daigne même pas tourner la tête vers elle. Pourquoi devrait-il obéir alors qu’il a déjà huit ans ?

Elle crie encore puis renonce. Elle disparaît dans la maison lézardée dont un pan de mur est à demi écroulé. Par endroits, la façade est parsemée de petits trous irréguliers, juste assez larges pour y passer le doigt, ce que le garçon fait parfois pour s’amuser. Ces trous ne lui font pas peur, ils appartiennent à son quotidien. D’ailleurs, il n’a peur de rien ni de personne !

Le cheval galope inlassablement. Accroché à sa crinière, l’enfant, invulnérable, puise en l’animal son endurance, sa force et son courage.

*

Pourtant, un peu plus tard, après une déflagration puissante qui semble déchirer l’air, les habitations et les rues, il ne reste plus, à la place du muret et de l’enfant, qu’un grand trou dans le sol.

Et au bord de ce trou, sur le sable maculé d’un sang qui n’en finit pas de se répandre, un morceau de jambe déchiquetée et un pied nu encore dans sa sandale.

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