Exercices de survie

Horia Badescu,

Passé, présent… est-il un avenir ?

À qui demander, qui pour répondre ?

Tout alentour en ruines s’effondre,

un gel profond nous fige dans l’hiver.

On rampe dans l’espace reptile

la gueule dans le goudron de l’immonde.

Seconde après seconde on se délabre ;

un gel profond nous fige dans l’hiver.

Rien pour ta soif dans l’écuelle des paumes

et rien non plus aux lèvres de l’attente,

notre âme a mis bas l’enfant du dégoût ;

un gel profond nous fige dans l’hiver.

La désolation là nous dévore.

Passé, présent… est-il un avenir ?

*

Hiver barbare sur le Danube !

Ciel bas sur l’horizon hostile et noir.

Honteux, le monde cache un corps impur ;

il neige, il neige, ô, comme ça y va !

Ni vols, ni traces de bêtes, ni pas,

on ne distingue plus rien alentour,

l’aquilon trait des pis de mercure ;

il neige, il neige, ô, comme ça y va !

Personne pour mesurer les jours, pas

même pour consigner la fin des ans,

ni dire les millénaires forclos ;

il neige, il neige, ô, comme ça y va !

Quelle heure est-il ? En quel pays cela ?

Hiver barbare sur le Danube !

*

On lance les dés, on joue à tour de bras ;

semaines, années… le jeu se poursuit…

tous les coups sont permis, tout est remis.

Jusqu’à nous, qui voudra prendre la route ?

Deux est égal à un et un à deux,

le monde est ancien – vieille est la vie,

le siècle avance en béquille sans ombre.

Jusqu’à nous, qui voudra prendre la route ?

Le temps s’écroule en soi avec sa voûte,

eux-mêmes les ans s’enchaînent aux barreaux,

seul le néant mène la noce aux cieux ;

jusqu’à nous, qui voudra prendre la route ?

La mise finale qui la raflera ?

On lance les dés, on joue à tour de bras.

*

Sale bourgade au milieu des ordures !

Aux fleurs des églantiers flambe la rouille.

Malade est la lumière qui nous revêt.

Vent blême d’octobre, brouillard transi.

Le monde alentour plus que défait,

Dieu s’offre le temps d’aller dîner

dans l’œil du jour la rétine a changé ;

vent blême d’octobre, brouillard transi.

Bêtise, attente et boue font bon ménage,

en soi-même l’horizon se resserre

les semaines sont enceintes de détresse ;

vent blême d’octobre, brouillard transi.

Aux fenêtres l’ennui frappe du doigt ;

Sale bourgade au milieu des ordures !

*

Samedis gris, dimanches de salpêtre,

désert de la journée et nuits sans fin.

De toi à toi aucune passerelle ;

de saint Pierre à Dieu comment passer ?

La terre sur elle-même se racornit,

l’aquilon fait son nid sur nos visages,

l’ombre manchote nous enferme dans sa cage ;

de saint Pierre à Dieu comment passer ?

Ne vois-tu pas ramper sur nous les brumes ?

Ne vois-tu pas nos corps près de s’ensabler ?

Nos cœurs être léchés par le dégoût ;

de saint Pierre à Dieu comment passer ?

Mais où la route fut-elle condamnée ?

Samedis gris, dimanches de salpêtre.

(extraits de Ronsetes [Clusium, 1995], traduits du roumain par Paola Bentz-Fauci et Werner Lambersy)

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