Greta au pays des menaces

Chantal Swinnens,

Repérée pour la première fois devant un monument, « elle » pourrait faire partie d’un film marqué du sceau d’un grand réalisateur suédois. Une nouvelle adaptation d’une célèbre partie d’échecs se passant cette fois au XXIe  siècle.

Thriller au scénario pas encore tout à fait ficelé, conte métaphysique d’une réalité effrayante où « elle » incarnerait une créature singulière, un peu perdue sans l’être vraiment, un peu seule aussi dans ce chaos. Le visage lavé de toute illusion, les yeux dans lesquels ne brille plus aucun éclat d’un quelconque « Il était une fois une planète préservée, à la végétation luxuriante, aux forêts majestueuses et profondes, aux glaciers gigantesques, aux êtres insouciants et heureux ». Parce qu’une terrible méprise a changé le cours des choses. Inexorablement. Pas de lapin blanc dans ce conte-ci. Pas de chapelier fou.
Mais la menace obscure, définitive, castratrice du merveilleux d’un conte.
« Elle » a été repérée et plus rien n’a été pareil. Ni pour elle, ni pour les autres acteurs. Pas davantage pour ceux qui ont voulu réduire ce petit bout de femme à un visage sans émotion, sans sourire, à la limite de l’antipathie.
Un visage de Joconde, fermé dans son mystère. Un visage encadré de deux tresses.
C’est vrai qu’il est plus facile d’ignorer les larmes au bord des yeux qui voient loin, trop loin sans doute. Qui gardent leur épouvante en eux et laissent seulement transparaître une terrible gravité.
Ignorer le tremblement de la voix qui voudrait parfois se laisser aller à chavirer complètement, se laisser aller au chagrin d’avoir à défendre encore et encore, une cause presque désespérée. Mais la voix se retient, par pudeur, par dignité. Elle ravale les sanglots, comme les yeux, leurs larmes.
Alors la voix explose, quelquefois. De colère. D’indignation. Ça, elle se permet. Par excès de sincérité.
Si certains acteurs préfèrent railler un visage qu’ils disent trop lisse, il faut pourtant se rendre à l’évidence, il y a un cœur derrière ce visage, derrière cette voix.
« Elle » a été repérée et, au fil des jours, des mois de tournage, l’étonnement des acteurs a fait place à l’emportement. C’est qu’« elle » commence à voler la vedette ! « Elle » s’approprie un scénario qu’« elle » ne maîtrise pas !
« Elle » n’est pas climatologue. « Elle » n’a aucune expérience et surtout… « elle » est malade !
« Elle », c’est Greta Thunberg et elle a commencé son combat sans rien demander à personne, dans la solitude de ses angoisses, mais dans la force et la prescience que seule, elle ne resterait pas. Peut-être savait-elle déjà qu’une action juste, un geste juste, pouvaient mobiliser des foules.
Sa communication se veut percutante parce que sincère ; dérangeante, sans nuances ni concessions et donc, extrêmement lucide. Elle a lu les rapports des scientifiques, en a retenu les messages principaux, les enjeux et leur gravité. La gravité qu’elle porte sur elle comme les menaces.
Menaces écologiques, menaces humaines.
Lourd fardeau dont elle aimerait pourtant se décharger. Ce n’est pas le rôle d’une ado de seize ans d’endosser de telles responsabilités mais elle ne peut pas ne pas porter cette charge. Pour « pouvoir encore se regarder dans le miroir ».
Greta a une peur bleue de la menace écologique mais ne craint pas d’être une menace pour ceux qui préfèrent ignorer cette dernière.
Elle avance. Fragile et forte. Déterminée. Jusqu’au-boutiste.
C’est dans la solitude qu’elle a commencé à prendre en mains une destinée. Celle du climat. Étroitement liée à celle de l’humanité. Cette humanité qui, soit l’admire, soit se décourage, se moque et s’indigne. Parce qu’avec Greta, il n’est possible de ne voir qu’en blanc ou noir. Le gris des indécis n’est pas de mise.
Ce n’est pas dans un conte merveilleux, ni même fantastique qu’elle a pris place.
C’est dans une partie d’échecs et plus que tout, elle redoute la fin où il faudra peut-être s’incliner devant un terrible constat : ÉCHEC ET MAT.

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