La lettre trouvée

Pascal Vrebos,

Communiqué officiel et estampillé par le quatuor des généraux ad hoc de la Police Une, Unique et Unitaire :

Dans un souci de transparencratisme, nous portons à la connaissance de la population une copie de la lettre que Marc Dutroux a enfouie dans une clairière près de S… Ce document a été déterré par Monsieur l’ex-Garde-Champêtre Michaux (nommé hier à la tête de la Police des Sous-Bois et Clairières Non Protégées) et transmis au Premier Ministre qui désormais mène toutes les enquêtes depuis la dernière évasion de Dutroux. Le Ministre de l’Estompement de la Norme a reçu une autre copie authentifiée en âme et conscience. Le nouveau Secrétaire d’État des Responsabilités Fonctionnelles et de l’Éthique avec Effet Rétroactif n’a fait aucun commentaire moral sur cette missive dont certains passages ont été effacés par la boue et l’humus dans lesquels ladite lettre a macéré.

Il n’y a aucune démission, mais un mea culpa global du gouvernement mis en images par Maurice Béjart et Frédéric Flamand qui se déroulera en direct à vingt heures sur toutes les chaînes télévisées de ce pays.

« À mes enfants, à mes futurs petits-enfants, à tous les Dutroux à venir…

Cette fois, c’est la bonne, mes chéris. […]

Ils ne me retrouveront plus. Moi-même, je ne me reconnais plus. Physiquement, hein ! car pour le reste, je me prends pour “Dutroux”, le rôle de l’ennemi public numéro un ! Et ça me plaît assez, car je ne dois pas forcer ma nature pour être à la hauteur et faire irruption dans l’histoire de ce pays. On oubliera Dehaene, on retiendra Dutroux.

Mais quand je me regarde dans un miroir… MÉCONNAISSABLE ! La preuve : je suis passé hier à Neufchâteau et j’ai volontairement croisé le juge et le procureur qui allaient boire un verre. […] J’ai croisé leur regard : pas une réaction ! Dans quelques mois, j’aurai pris vingt kilos, alors… quelques-uns passeront des nuits blanches !

Depuis que je suis né, je sais que tout m’est permis, tout ! pas avec les forts, là je m’aplatis, c’est tactique, mais avec les faibles, ah, ah, là je ne me sens plus ! tout permis, tout, même de faire souffrir des gamines ou des filles prisonnières dans des caches que je creuse la nuit. Des trous, troulou, des trous, troulou, je fais ça la nuit, je ne m’appelle pas Dutroux pour rien. […] Creuser des tombes, perforer, pénétrer, trouer des vies, […] c’est bon et ça rapporte. J’ai failli réussir dans ma vie anonyme : des maisons, des voitures, femme et famille soumises et une bonne aide sociale pour mettre du beurre de ferme dans les épinards. Il aura fallu que ce Connerotte de malheur et ce Bourrelet…

Ce pays était fait pour moi. Un État en douce et lente putréfaction, des hommes avec qui on peut toujours s’arranger, une patrie où tout se vend, même pères et mères ! Et où tout s’achète… L’Ogre dans un royaume qui se liquéfie. […]

La Belgique, désormais, c’est Tintin et Dutroux. La notoriété ! Je fais trembler la planète… Que pouvais-je espérer de plus, moi qui croupissais dans des taudis. […] Merci tout le monde. Le Monde a les yeux fixés sur moi. Un jour, je jouerai dans un film. Mon histoire. J’inventerai mon innocence comme les bourreaux des camps : ça marche, ça s’appelle le révisionnisme si j’ai bien compris. Oh, j’ai des fans. Des femmes surtout. Qui m’envoient des cadeaux. Des lettres. De l’argent. Et surtout du chocolat. Ça bourre mes trous, le chocolat. Quand je m’évade, j’ai toujours ma tablette de choco et des vitamines. Je cavale sain. Mais maintenant, ça suffit. Ça ne m’amuse plus de consulter mes dossiers, de voir la bobine de mon avocat, d’être réveillé toutes les sept minutes…

Et puis l’autre jour, j’ai entendu que j’étais libéré (youpi ! youpi ! normal : me suis jamais senti coupable de rien !), mais que je restais en prison jusqu’en 2002. Les mots n’ont plus de sens. Y a plus de justice. Les psychologues disent que je suis pervers. Et la justice ? Après deux essais, le troisième sera le bon.

Heureusement les gens n’ont pas beaucoup de mémoire. […] Quand je referai surface, on m’aura oublié, y a pas que moi qui fais des trous, dans ce pays, on fait plein de trous, on y enfouit tout, et basta ! On m’oubliera. Je compte pourtant rester en Belgique. Ce pays moribond est fait pour moi. La fiction se poursuit, et vous n’avez encore rien vu. Je garderai le contact, mes chéris. Fin de l’épisode. Le feuilleton continue. »

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