Jacques est assis sur une chaise à l’avant-scène, il regarde dans une énorme lunette vers le public. Le reste de la scène est assez sombre mais on devine un homme couché dans un fauteuil.

jacques : La terre a tremblé.

zek : Qu’est-ce que vous dites ?

jacques : La terre a tremblé.

zek : Attendez, je vais dessiner. Il le faut n’est-ce pas ? Donc, vous dites ?

jacques : La terre a tremblé.

zek : Encore. C’est étonnant ces tremblements de terre. Il y a des morts ?

jacques : Quelques-uns.

zek : Ah ! Combien ?

jacques : Une dizaine.

zek : Ah, oui, oui, oui ! C’est bien, c’est vraiment bien.

jacques : Je ne vous comprends pas toujours.

zek : Des dégâts ? Beaucoup de dégâts ?

jacques : Des vestiges historiques d’une importance capitale pour la culture mondiale. Des toiles surtout. De magnifiques tableaux illustrant la vie d’une époque.

zek : J’aime bien les dessins. Un jour, mon fils…

jacques : Je vous parle d’héritage culturel d’une importance extraordinaire et vous me parlez de votre fils.

zek : Vous êtes sans cœur.

jacques : Oui, parfois.

zek : Il y a d’autres catastrophes à recenser.

jacques : Quelques-unes.

zek : Allez-y. Dites-moi tout.

jacques : Un aviron s’est écrasé et un homme en avion s’est perdu.

zek : Vous êtes vraiment certain de ce que vous dites.

jacques : Oui. Non. C’est-à-dire… Un avion avec trois cents personnes à bord s’est écrasé et un homme qui tentait une traversée en aviron s’est perdu.

zek : ça nous fait 301 morts.

jacques : Non. Il faut compter trois cents morts et un disparu.

zek : Quelle importance puisqu’on sait qu’on ne le retrouvera plus jamais.

jacques : Non, non, non. Il faut rester correct. Celui-là n’est pas encore mort.

zek : Achevez-le.

jacques : Ce n’est pas facile puisqu’on ne sait pas où il se trouve.

zek : Quoi d’autres ?

jacques : Des broutilles. Incendie de forêt, destruction d’immeubles, quelques pétroliers échoués.

zek : Rien d’intéressant.

jacques : Vous savez, Zek, je crois qu’il y a des jours et des nuits là en bas.

zek : Comment le savez-vous ?

jacques : C’est l’ordre des choses. Et aussi le docteur.

zek : Quoi le docteur ?

jacques : Il vient tous les jours à la même heure. Il est ponctuel, régulier, fonctionnaire. Tous les jours, à la tombée de la nuit, il vient nous voir.

zek : Vous réglez votre temps grâce au docteur ?

jacques : Oui.

zek : C’est ridicule. Et si un jour, il ne vient pas. S’il saute une journée, un dimanche par exemple.

jacques : Non, alors je le sais. Le docteur n’a pas de famille. Il vient tous les jours à la même heure.

zek : C’est ridicule. Le temps n’existe pas ici et ça n’a pas d’importance. Ce qui est pénible, c’est de ne pas avoir de soleil.

jacques : Attendez, il se passe quelque chose !

zek : Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?

jacques : Ils viennent de tuer le prince.

zek : Et voilà, 301 ! J’avais raison.

jacques : Ils ne respectent plus rien. Je l’aimais bien. Je trouve qu’il était utile.

zek : Quelle importance, il sera remplacé.

jacques : C’est déjà fait.

zek : C’est un Eurasien ?

jacques : Non. Un Océanien.

zek : Zut, encore.

jacques : Les écoutilles se ferment, allumez la centrale.

zek : À vos ordres. Et nous voilà de nouveau dans la lumière électrique.

jacques : Je suis tracassé par cette exécution. Il va y avoir une reprogrammation. Nous serons de nouveau questionnés.

zek : Nous n’avons plus rien à dire. Nous avons déjà tout dit.

jacques : Ils s’en foutent. J’ai représenté le savoir donc forcément ils voudront me parler.

zek : Et moi ? Je n’ai rien à voir dans votre histoire.

jacques : Ils voudront forcément vous écouter aussi. Ils ne font pas de différence.

zek : Je sers à quelque chose, c’est fantastique. Peut-être qu’ils nous amèneront dehors. Ce serait le plus beau jour de ma vie. Sortir d’ici. Ne fût-ce que quelques instants.

jacques : C’est un rêve.

zek : Oui, certainement. Je vais vous dessiner.

jacques : Encore. C’est une manie.

zek : Non. Un passe-temps.

jacques : C’est étonnant qu’ils tuent le prince maintenant. Ce n’était pas prévu.

le docteur : Bonjour, Jacques.

jacques : Déjà là, Docteur. Silencieux. Vous avez été espion pendant la guerre ?

le docteur : Je n’ai pas connu la guerre.

jacques : Je suis certain que vous auriez fait un bon espion. On pense que vous n’êtes pas là, et puis… vous êtes là !

le docteur : Il faut que vous m’aidiez, Jacques. Vous savez que le prince a été tué ?

jacques : Oui, bien sûr.

le docteur : Suite à cet acte stupide, un conflit a éclaté.

zek : Entre qui et qui ?

jacques : Peu importe.

le docteur : Exactement. Je serais d’ailleurs incapable de dire qui sont les protagonistes de cette nouvelle opposition. Tout ce que je sais…

jacques : C’est ce que vous ont dit vos supérieurs pour venir me voir.

le docteur : C’est exact.

jacques : Que puis-je faire pour leur service ?

le docteur : Il y a une reprogrammation en cours.

zek : Vous l’aviez dit !

jacques : C’est logique, c’est la procédure.

le docteur : Ils veulent que vous reprogrammiez le président.

jacques : L’histoire est comique. Je suis arrêté, torturé, incarcéré depuis tant d’années avec cet imbécile de Zek…

zek : Merci.

jacques : Et dès que vous avez un petit problème, on vient me chercher pour remédier à la situation. Je trouve ça… pathétique.

le docteur : Vous acceptez ?

jacques : Je vais réfléchir. Mettre des conditions. Demander un certain de nombre de récompenses pour ma bonne action.

le docteur : Il faut aller vite.

jacques : Vous n’avez rien pour nous, Docteur.

le docteur : Oui. Je vous ai apporté des carnets et des crayons. Si vous acceptez, je vous apporterai bien d’autres choses.

jacques : Évidemment. N’est-ce pas, Zek ? Quelques fusains ?

zek : Ouais.

le docteur : Réfléchissez !

zek : Donc, si j’en crois votre raisonnement, maintenant que le docteur est parti, il va faire nuit.

jacques : Oui.

zek : Et s’il venait plutôt tous les matins. Et que maintenant ce n’était pas la nuit, mais le jour.

jacques : Qu’importe.

zek : Comment ça ?

jacques : L’important, c’est d’avoir un repère. Bien, comment tirer profit de cette situation ?

zek : Je me demande si vous n’êtes pas derrière tout cela.

jacques : Voici un fusain. Laissez-moi réfléchir un instant.

zek : Je voudrais savoir une chose.

jacques : Oui.

zek : En quoi ça consiste au juste une reprogrammation ?

jacques : Personne ne connaît les règles exactes, personne ne sait où ça commence et où ça s’arrête.

zek : Dites donc, ça va être facile.

jacques : On sait juste que ça doit se faire. Et vite. C’est comme ça, un mystère.

zek : J’adore les mystères !

jacques : Comment pourrait-on l’appeler ?

zek : Qui ?

jacques : Le prince. Il faut lui trouver un nom.

zek : Pourquoi pas Solcamal !

jacques : Solcamal ! D’où sortez-vous un nom pareil ?

zek : Je n’en sais rien.

jacques : C’est pas mal, pourquoi pas. Celui-là ou un autre. On va dire au docteur qu’on accepte le sale boulot.

zek : En échange, il nous fera sortir d’ici.

jacques : Vous savez bien que c’est impossible. Nous ne pouvons plus mettre un pied dehors. Combien de fois dois-je le répéter ? Vous m’épuisez.

le docteur : Alors, on se chamaille ?

jacques : Parfois, oui. De cette manière, le temps passe plus vite.

zek : Si on veut !

le docteur : Vous acceptez ?

jacques : Vous êtes revenu bien vite, les choses se passent si mal là en bas.

le docteur : C’est pire que tout ce qu’on peut imaginer. On dirait que les hommes ne se sont jamais retrouvés aussi désemparés. Vous acceptez ?

jacques : Bien sûr. Nous n’avons pas vraiment d’autres choix.

zek : Mais on met des conditions.

le docteur : Évidemment, que voulez-vous ?

zek : Des fusains.

le docteur : Accordé. Les voici.

jacques : Nous l’appellerons Solcamal.

le docteur : Quelle idée saugrenue !

jacques : Elle n’est pas de moi.

le docteur : Ah, oui. Je comprends. Enfin, pourquoi pas. Commençons.

jacques : Pardon.

le docteur : Allons-y. Au travail.

jacques : Vous restez avec nous.

le docteur : Oui, j’y suis obligé.

jacques : Très bien. J’ai besoin des journaux du jour et de tous ceux des dernières années et aussi de tous les livres qui de près ou de loin parlaient du prince. Il faut tout d’abord lui construire un agenda crédible. Il faut trouver une femme qu’il aurait pu aimer et la faire venir ici. Nous devons visionner tous les films dans lesquels il intervient. Et aussi tous les reportages radio le concernant. Je veux un relevé exact de tout son entourage. La marque de ses cigarettes, vous en profiterez pour m’en apporter quelques paquets, et aussi le nom de son chien, enfin tout, quoi.

le docteur : Les cigarettes, je comprends, mais pourquoi la femme ?

jacques : Premièrement, pour le plaisir de revoir une femme, et aussi parce qu’elle doit disparaître. C’est dans la logique des choses.

Noir.

Partager