C’est la sublime Coupe du Mondial

qui focalise l’attention.

Un joueur mort pour le ballon.

À chaque siècle de trouver son Graal.

 

Dixit en mil neuf cent nonante-quatre,

l’année de la victoire du Brésil.

Les footballeurs aux USA partaient combattre.

Nous étions à deux mille jours de l’an deux mil.

 

Quatre ans déjà que j’écrivis ces vers.

 

Mais quelque chose a dérangé la fête :

une comète s’approchait de Jupiter.

Sur tous les Palomars de la planète

les astronomes en pesaient l’impact.

Dormez en paix, l’univers reste intact.

 

À chaque siècle de trouver son Graal.

Vous partirez sans peur à la conquête

de la sublime Coupe du Mondial.

 

Excalibur au-dessus de nos têtes.

 

Les astrologues, eux, n’avaient rien vu.

Sauf peut-être le grand Nostradamus

avec Gaspard, Melchior et Balthazar,

et quelques fous ennemis du hasard,

et ces enfants familiers de l’étrange

et ce poète à l’écoute de l’Ange.

 

Pourtant les quatre cavaliers ont enfourché

leurs chevaux écumants,

les sept Pythies, la bave aux lèvres,

ont entonné leur chant funèbre.

Les cloches des cités détruites

ont sonné, au fond de la mer,

et les ossements pétrifiés du secondaire

ont tressailli dans l’aveugle charbon.

 

Eux se souviennent des Hiroshimas célestes

tel celui qui, jadis,

marqua la fin des dinosaures

ou tel le feu vindicatif

qui réduisit en poudre Gomorrhe et Sodome.

 

Eux savent ce que tous ignorent,

quel lac boueux couvrit les villes mortes,

quel tas de sel fut la femme de Loth.

 

Moins de deux mille jours avant le grand chambardement

Tout allait mal sur la planète :

Ruandais, Zaïrois, Bosniaques et Tchétchènes,

sans compter les Palestiniens.

 

Mais l’univers ne pensait qu’à la Coupe.

 

Ô Perceval !

Lancelot ! Beaux chevaliers !

 

Des supporteurs voyez l’hilare troupe.

Les hommes sont-ils devenus fous à lier ?

*

Aujourd’hui, paraît-il, tout a changé.

On a beau dire, à peine hors du stade,

un étranger demeure un étranger,

un tir au but n’arrête pas les fusillades.

Les Soudanais meurent de faim, les Algériens

nettoient le sang chaque matin. Il n’y a rien

de nouveau sous le ciel. Écrivez, chroniqueurs :

aussi loin qu’on peut voir, c’est encore la peur,

c’est à jamais le mal et toujours la souffrance.

 

Oui, mais la Coupe est aux mains de la France !

 

(La seule date depuis mil sept cent quatre-vingt-neuf

confie à « Paris-Match » un vainqueur satisfait.

Il doit être sorti à peine de son œuf.

pour, sans rougir de honte, ignorer tant de faits.)

 

Et sur les Champs Élyséens on voit les hordes

victorieuses défiler ainsi

que descendaient jadis vers la Concorde

ceux qui venaient de chasser le nazi.

 

Au fond des yeux, l’éclat d’autres victoires.

Dans les oreilles, d’autres cris l’écho

N’oubliez pas comment les champs de foire

en un instant deviennent des champs clos.

 

Ô Roi Arthur ! Ô chevaliers de Camelot !

 

J’ai suivi tous les matchs, j’ai vu sur les pelouses les héros de ce temps.

De Marseille à Strasbourg, de Paris à Toulouse

le destin les attend.

 

Et, grâce au ralenti, nous avions ce miracle :

des joueurs qui semblaient

évoluer dans l’air, nous donnant le spectacle

de somptueux ballets.

 

Ne boudons pas notre plaisir tant médiatique.

Oyez donc, paladins,

chanter la fine fleur du pouvoir politique

debout sur les gradins.

 

Grands-messes d’aujourd’hui, flonflons, hymnes, bannières.

Dent pour dent, œil pour œil.

Chaque fois que son camp a mordu la poussière

un pays prend le deuil.

 

Les Belges au tombeau sont retournés, la France

voit ses enfants bénis.

La peur avant la joie, la gloire après les transes :

Montjoie à Saint-Denis !

 

À Saint-Denis où fut la flamme,

où se rendaient jadis les rois,

avec Lost, chercher l’oriflamme,

tout armés, sur leurs palefrois.

À Saint-Denis où les reliques

du passé sont mortes deux fois,

l’une quand fut la basilique

éventrée, l’autre quand la foi

du Veau Sport éleva ce stade

pour de commerciaux gonfalons.

Gaulois, saluez les peuplades

adoratrices du ballon !

 

Et la belle Guenièvre, au sommet de sa tour,

des douze preux en vain espérait le retour.

 

Aurions-nous besoin de ces mots en -isme ?

Serions-nous donc tant privés de drapeaux,

de tambours battants, d’ardeur, d’héroïsme,

de ces longs frissons courant sous la peau ?

 

Souhaiterions-nous sortir de la glaise

des duvets légers, des profonds divans,

de ce cocooning d’où l’on peut à l’aise

ignorer tous ceux qu’emporte le vent ?

 

Hauts paladins, beaux chevaliers, à Dieu ne plaise !

 

Les quatre cavaliers galopant sur la nue

jettent sur terre un bref coup d’œil et, tout surpris :

cette marée humaine de partout venue,

quel dieu vient-elle célébrer à cors et cris ?

 

Et la Pythie delphique, et celle aussi de Cumes,

et les cinq autres, le visage peint en blanc,

et blanche aussi leur bouche où mousse encor l’écume :

pour qui donc ces autels, à qui vont ces élans ?

 

Le flot des supporteurs au loin poudroie.

Perceval, Lancelot. Ont-ils conquis le Graal ?

Mais Guenièvre ne voit que l’herbe qui verdoie,

et le ciel qui flamboie et les ors qui chatoient

de la sublime Coupe du Mondial.

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