Lettre à Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré

Éric Brogniet,

Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré [1],

L’appel aux compétences que vous lancez dans le respect de la loyauté fédérale va très certainement réunir un certain nombre de compétants et même un nombre certain de cons pétants qui se sont fait une spécialité de la plongée en apnée dans les grands abysses de notre flaque d’eau régionale puisque la météo nationale n’annonce aucune amélioration locale, sauf durant la nuit, où l’on nous prédit pour les prochains jours quelques éclaircies. Je ne puis qu’applaudir à l’initiative d’une action menée dans le dialogue et une communauté d’intérêts, surtout boursiers, qui vise à sortir notre belle et bonne région du marasme dans lequel elle s’est, n’étant pas un submersible ni un insubmersible, enfoncée peu à peu, surtout depuis l’indépendance du Congo, avec pour conséquence une destruction progressive de ses tissus économiques, industriels, agricoles et horticoles, vitaux. Reconstruisons donc, ici et maintenant, la Wallonie du vingt et unième siècle, plus agréable, plus belle et meilleure. Le Petit contrat illustré n’est pas le Petit Vingtième ni le Journal de Spirou : un effort titanesque de la pensée, sous-tendu de manière rationnelle et romantique, conjugué avec un effort latéral de réhabilitation de notre beau dialecte qui sert de moteur à une grande politique culturelle, notamment sur les chaînes de radio et de télévision locales, s’y manifeste. L’homme qui pense se dépense à fond, disait Artaud. Il ne manquait pas d’ajouter, dans sa folie sagace, que romantisme à part, il n’y a pas d’autre issue à la pensée pure que la mort. Je suis donc inquiet, Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré, lorsque vous m’écrivez que « nous aspirons tous à voir une Wallonie dynamique, prospère, attractive et solidaire au sein des régions d’Europe » ; que « nous voulons vivre dans une Wallonie active, solidaire et sur la voie du développement durable ». Avons-nous vraiment les moyens d’une telle pensée, sachant que l’homme qui pense se dépense à fond ? Ne vaudrait-il pas mieux penser en fonction de nos moyens ? Car le dilemme est le suivant : il faut avoir les moyens de sa pensée, ou alors il faut avoir une pensée moyenne. Vous me rassurez, je le confesse, lorsque vous envisagez le développement économique durable à travers la promotion des TPE (très petites entreprises) : elles ne risquent en effet pas de déranger les grands groupes financiers franco-hollandais qui se sont emparés des rouages de notre société afin de constituer une ligne de front Maginot crédible (qui nous fait vivre à crédit) face aux appétits renouvelés d’une Wehrmacht bancaire et industrielle qui n’a rien perdu de son légendaire sens de l’organisation et de la discipline. Tous se donnent d’ailleurs aujourd’hui la main par-dessus l’Atlantique, le Hoyoux et le Rio Grande réunis pour promouvoir l’avenir enthousiasmant de la mondialisation. Vous m’apaisez lorsque vous m’informez que l’accélération du développement des arrondissements (ici vous ne précisez toutefois pas, comme pour le précédent, qu’il sera durable) se fera grâce aux aumônes de l’Europe. Après les efforts consentis par tous les gouvernements qui se sont succédé sans désemparer pour gérer la Crise, action admirable à la suite de laquelle notre pays est devenu un pays en voie de sous-développement, je ne doute pas que la politique cinétique et cinématographique de l’emploi trouvera dans la fonction de chaisière publique quêtant dans les couloirs du Berlaymont un coup de fouet significatif qui fasse se redresser les reins de notre économie anémiée. Vous me comblez enfin lorsque vous parlez de l’avenir des jeunes, car jusqu’au plus brillant des intellectuels wallons prenant la parole au cimetière de Belgrade (Namur) sait que, chez nous comme ailleurs, le temps étant toujours pluvieux, l’avenir des jeunes, c’est la pension. Je suis tout à fait rasséréné lorsque j’apprends que la société de la connaissance que vous désirez promouvoir s’articulera sur un fonctionnement en réseau, c’est-à-dire sur base d’échanges, dites-vous, d’informations entre les citoyens, les entreprises, les administrations et que vous envisagez la création de cyber-écoles, soutenue par des réseaux d’universités et l’équipement des zonings industriels tout en favorisant l’accès pour tous aux centres de compétence, lieux de diffusion technologique. Ce volontarisme héroïque ne manquera certainement pas d’infirmer le commentaire ironique du penseur de Tourinnes-la-Grosse qui affirmait, non sans une impertinente pertinence, que : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». Je vous suggère, si vous me le permettez. Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré, de dynamiser en outre l’action de notre Administration tentaculaire et colombophile en y développant de saines dynamiques compétitives entre l’agent zélé et l’agent assermenté, notamment par des jeux de société extrêmement formateurs, qui favorisent une concentration intellectuelle maximale, voire des états de méditation transcendentale, des jeux, dis-je, tels que celui-ci, déjà bien connu : « le premier qui bouge a perdu ». De même, j’attends que vous favorisiez le développement durable des compétences folkloriques et culturelles de notre paroisse wallonne, en réhabilitant les kiosques à musique et en encourageant la tenue des brocantes, des conférences domestiques sur la vie et l’œuvre de notre grand poète national au sein des alliances agricoles, et, suprême audace, que vous établissiez des synergies entre les domaines de la culture, du sport, du tourisme et de la gastronomie. Il ne faut pas non plus mésestimer l’impact d’une mesure encourageant les tchatches (voilà un vocable de cybernaute qui manque à votre brochure) où brilleront de manière œcuménique les égéries de notre nouvelle littérature apostolique. J’attends de vous que vous encouragiez enfin l’éclosion de nouveaux poètes-mineurs qui, la lampe de l’inspiration au front, creuseront les terrils de notre patrimoine linguistique pour en chier des taupinières. Je ne doute pas qu’avec le bon sens agricole qui nous caractérise, ces mesures ne favorisent, au pied du fumier au sommet duquel notre fier volatile wallon, toisant de sa crête mâle le lion de Waterloo et de plus loin encore, et dardant son œil rond vers un avenir radieux, ne favorisent, dis-je, l’éclosion des dix principes d’action que vous vous êtes fixés : le souci constant de la qualité de la vie, l’égalité des chances, la simplification administrative, une recherche permanente de la qualité totale, une mise en évidence systématique des succès wallons, un désir d’ouverture et une recherche constante de la participation et de la mobilisation des acteurs du développement, avec un fonctionnement des acteurs en réseaux, une culture de l’évaluation, la concentration des actions et des moyens disponibles sur les priorités dans le cadre d’une programmation pluriannuelle et spatiale (Ariane, sœur Ariane, ne vois-tu rien venir ?), une mobilité efficace pour tous et respectueuse de l’environnement, un renforcement de la coopération Wallonie-Bruxelles.

Monsieur l’Auteur du Petit contrat illustré, il faut en finir avec l’Esprit comme avec la littérature, pour paraphraser une fois encore l’interné de Rodez. Ce n’est pas quelqu’un qui vient d’éprouver l’ironie de l’abîme entre les actes réels et les incantations de votre missel, ressemblât-il à la version technocratique du Petit Livre Rouge, qui le démentira. Je soumets à votre appréciation et à celle de vos complices le dicton du jour : « Sources ne sont pas sans ressources ». On annonce d’ailleurs la reprise des Zèbres par Spa Monopole. Alors, rentrez dans votre hospice et vos greniers, technocratiques punaises, et toi aussi, Monsieur le Législateur Moutonnier, ce n’est pas par amour des hommes que tu délires, c’est par tradition d’imbécillité. Ton ignorance de ce que c’est qu’un homme n’a d’égale que ta sottise à le limiter. Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi, et ton contrat.

[1] Note de l’éditeur: le Petit contrat illustré (Contrat d’Avenir pour la WallonieOutil pour une Wallonie active et solidaire sur la voie du développement durable), publié par le Gouvernement wallon, a été distribué à tous les foyers de Wallonie.

Note : Les citations en italique dans le texte sont extraites de L’ombilic des limbes d’Antonin Artaud (Gallimard, 1975, coll. Poésie).

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