L’incernable

Sandrine Willems,

Il était d’un pays minuscule

Dont il faisait percevoir

La grandeur

Les paradoxes les déchirements

Et le charme incompréhensible

De l’écriture il explorait

Tous les registres

Plutôt que journaliste

Homme de lettres

De part en part l’arpentant

Ce monde des lettres

Interrogeant ceux qui l’habitaient

Avec attention et générosité

Animant une académie

Pour leur décerner les lauriers

De son minuscule pays

Il parlait avec humour et profondeur

De la parole il avait l’art la virtuosité

Mais peut-être préférait-il encore

Écouter

Laisser parler les autres

De ce qui les animait

Les amener à parler

De ce qu’au plus profond

Ils croyaient

Il parlait le flamand

Non moins que le français

Mais sa langue préférée

C’était peut-être l’allemand

Plus que les langues encore

S’efforçant de traduire

Les pensées les êtres

Qui par elles tentent de se dire

Il n’aimait pas ce qui tranche

Sans comprendre

Il aimait la nuance

L’intelligence devenue sensible

Qui a mûri de ne pas seulement comprendre

Qui tente de se dire sur fond de silence

Il cherchait la voie juste

Mais pas celle des tièdes

Des demi-mesures des compromissions

Non plutôt la justesse

Qui a concilié les extrêmes

Qui a dépassé les contraires

Il avait le goût du monde et de l’intime

Il allait au théâtre et au temple

Il aimait ce qui brille et ce qui ne peut se voir

Il voulait allier l’humanisme et ce qui le dépasse

Ce que jadis on appelait

La raison et la foi

Il refusait de choisir

Entre catholiques et athées

Et avait rejoint les protestants

Ceux d’entre eux qui protestent encore

Et refusent d’affirmer

On ne le connaissait pas

Et tout à coup il vous livrait

Ce qui paraissait le fond de son âme

Et quand il s’en allait

On avait l’impression

De moins le connaître encore

« À quoi crois-tu Jacques ? »

« Aux épiphanies »

Avec lui est-ce donc

Un monde

Qui meurt

Et cette justesse

Cette tonalité qui refuse de choisir

Entre majeur et mineur ?

« Et après tout Jacques

Qui es-tu ? »

L’écho seul me répond

Qui es-tu

C’est lui encore qui me renvoie la question

Ainsi qu’à ceux les si nombreux

Qu’il a lus et interrogés

Ceux qu’il ne cessera plus

De mettre à la question

Afin que perdure

À travers eux

Ce pays minuscule

Ce monde des lettres

Cette académie

Et surtout cet alliage

À reprendre sans cesse

Entre l’intelligence et la générosité

La parole et l’écoute

Entre ce qu’on peut comprendre et ce qu’on ne saura jamais.

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