Marginales 296 – Les calepins de Jean-Pol Baras

Jean-Pol Baras,

Jeudi 4 mai – Depuis tant de semaines que la campagne présidentielle bat son plein, tous les organes de presse publient des tribunes libres avec plus ou moins d’intérêt. Celle que fait paraître Sigmar Gabriel dans Le Monde est à conserver pour mémoire. Le ministre social-démocrate allemand chargé des Affaires étrangères donne un éclairage inhabituel qui pourrait bien conduire le couple franco-allemand à une nouvelle conception de partenariat.

« Macron est un patriote éclairé dont les idées sont à même de faire progresser le pays vers une force nouvelle. Il représente la reconstitution de la France en tant que phare capable de nous guider en ces temps tourmentés et parfois confus. […] Emmanuel Macron a raison : l’Allemagne doit en finir avec l’orthodoxie financière qui, en ces temps de taux d’intérêt négatifs, contribue plutôt à favoriser le retard des investissements qu’à moderniser notre pays. Une telle politique est néfaste non seulement pour l’Europe, mais aussi pour les Allemands qui devront payer cher lorsque les taux d’intérêt augmenteront à nouveau et que le retard des investissements se sera davantage creusé. »

Et le mea culpa se poursuit par une sorte de confession étrange :

« Nous autres, Allemands, devons enfin cesser de raconter des histoires mensongères sur l’Europe. En Allemagne, le monde politique, les médias et, en partie, le monde de l’entreprise ne cessent de clamer que notre pays est ‘la bête de somme’ de l’Union européenne. En vérité, l’Allemagne n’est pas un ‘contributeur net’, mais bien un ‘bénéficiaire net’. Car 60 % de nos exportations vont dans l’Union européenne. Ce n’est donc que si toute l’Europe se porte bien que les Allemands vont bien également. Si les autres Européens vont mal, l’Allemagne elle aussi souffrira, à terme, de chômage. »

Voilà un témoignage qu’Emmanuel Macron devra prendre en compte. Il sera un président élu, en grande partie, par défaut. À lui de devenir apprécié pour, plus tard, être aimé. Sigmar Gabriel vient de lui tendre un fameux marchepied.

Dimanche 7 mai – Lors du formidable congrès du PS très prometteur qui se tenait en juin 1977 à Nantes, Michel Rocard – qui connaissait bien l’histoire de sa famille politique – entama son discours par une citation que bien peu de congressistes auraient pu évoquer. Il s’agissait d’une réflexion du député socialiste Alexandre Bracke-Desrousseaux prononcée le 10 mai 1936, après la victoire du Front populaire, devant le Conseil national de son parti : « Enfin, les difficultés commencent pour nous ! » Depuis lors, cette phrase revient régulièrement dans les discours. Elle n’aura jamais été aussi pertinente que ce soir. Pour Emmanuel Macron, qui remporte l’élection présidentielle avec 65,8 % des voix, pour la droite, déjà en ordre de marche avec Baroin et Woerth, bien décidés à remporter les élections législatives des 11 et 18 juin et à forcer la cohabitation, et pour la gauche (le PS en particulier), dont un nombre certain de représentants se préparent à rallier En Marche, le mouvement du nouveau président.

(Lillois, fils de l’auteur de la chanson P’tit Quinquin, Desrousseaux laissa son nom à quelques établissements et artères du Nord, comme l’école primaire d’Hénin-Beaumont, fief de Marine Le Pen…)

Mercredi 10 mai – Chaque jour apporte son lot de surprises et de bouleversements inattendus dans la vie politique française. Il est probable que le premier Conseil des nouveaux ministres qui se tiendra dans une semaine déploiera lui aussi plusieurs audaces et autant de curiosités. Ensuite, de pareils épatements naîtront des élections législatives. L’heure est donc davantage à l’observation. Celles et ceux qui sont contraints – payés pour cela… – de commenter prennent beaucoup de risques s’ils s’égarent dans des prévisions trop construites. Des surprises, des éclats, c’est du reste ce que l’on attend d’Emmanuel Macron, élu d’abord pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière. On n’oserait plus se contenter d’une simple aspiration au mot « changement ». Et l’on se souvient du formidable roman Le Guépard rendu célèbre par l’adaptation à l’écran de Visconti, où l’auteur, Giuseppe Tomasi di Lampedusa, développait le principe « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Jean-François Kahn avait d’ailleurs appliqué ce raisonnement dans un maître livre au titre éponyme en 1994, réfléchissant à « une théorie de l’évolution sociale » (éd. Fayard). Cette fois, il importerait vraiment que tout changeât pour que tout change… Attendre et voir. Mais observer. Attentivement.

Jeudi 11 mai – Deux évidences au milieu de tant d’incertitudes :

1. L’Union européenne pourra compter sur une France décidée à la faire progresser, à la renforcer.

2. Le défi de remporter les législatives est, pour Macron, beaucoup plus lourd à relever que celui qui consistait à gagner la présidentielle, surtout dès l’instant où son adversaire du second tour était Le Pen.

Dimanche 14 mai – La belle République laïque et sociale démontre sa capacité à organiser les fastes sans couac. Il n’y a que la météo qu’elle ne peut pas maîtriser. Emmanuel Macron prononce son discours d’investiture (« Il faut être à la hauteur du moment… ») après une remarquable introduction de Laurent Fabius en tant que président du Conseil constitutionnel. François Hollande sort de la cour de l’Élysée sous les clameurs de la rue du Faubourg Saint-Honoré (oui, les clameurs !) Comme François Mitterrand, il repasse par la rue de Solferino, au siège du PS, là encore dans la ferveur. En l’absence de quelques militants dont Aubry, Montebourg, Valls et quelques frondeurs professionnels qui se sont portés pâles, il déclare : « J’ai rendu la France dans un bien meilleur état que je l’ai trouvée. » Eh bien oui. Mais il fallait le dire, cher François, sans retenue, sans fausse pudeur, dès juin 2012, dire dans quel état tu avais trouvé la France… Ton parcours de cinq ans aurait suivi une tout autre trajectoire… Nom de Dieu !

Vendredi 19 mai – La République en marche, le nouveau parti macronien, ne présentera pas de candidats dans 51 des 577 circonscriptions. Cela rendra d’autant plus difficile la recherche d’une majorité absolue. Reste à souhaiter que cette demi-centaine de sièges se répartisse entre les deux grandes familles traditionnelles, LR et PS, indispensables à l’équilibre démocratique. Car l’enjeu, gage de réussite de ce quinquennat, ce sera aussi de réduire les extrêmes. Jean-Luc Mélenchon est, hélas !, au bord du délire. Son retour au réel risque d’être douloureux. Côté FN, c’est plus simple : il faut espérer que leurs bisbilles se transforment en chamailleries et que leurs querelles accouchent de scissions. Ils en sont capables. Un jour, parce qu’il est impossible de gouverner en satisfaisant tout le monde, parce que la cohésion entre les meilleurs d’un côté avec les meilleurs de l’autre pourrait se craqueler ; un jour un grand débat de repositionnement sera peut-être nécessaire. Si c’était le cas, il vaudrait mieux que cette explication s’organise autour des grandes forces démocratiques alimentées par l’Histoire. Pour se tenir stable et bien avancer, un corps a besoin d’une jambe droite et d’une jambe gauche. Un pays aussi.

Dimanche 21 mai – La première semaine du président Macron s’achève et déjà, des sondages apparaissent qui signalent que plus de 60 % des Français sont satisfaits de lui. Encore heureux ! On se demande ce qu’il aurait pu faire pour qu’il n’en fût pas ainsi… N’est pas Trump qui veut… Après les quotidiens des heures d’après, les magazines hebdomadaires ont, à leur tour, commenté l’événement, chacun à sa manière, cherchant l’originalité en dehors des éditoriaux. Ainsi Marianne, qui propose, une analyse assez simple et objective de Renaud Dély (Ni béni oui-oui, ni lapidation) et un beau raisonnement exploratoire de Jacques Julliard (Du bon usage de Macron) en rappelant au passage cette si juste citation de Sylvain Tesson : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer. » Dans les pages suivantes, quelques personnalités acceptent de disserter sur une demande, un souhait, une mise en garde qu’ils adresseraient au président. Yann Moix évoque les tumultes véhéments de la rue, sorte de caractéristique française à prendre en compte ; Fabrice Luchini confie qu’un jour, en déjeunant avec Macron, il lui avait lu la préface au Gai savoir, de Nietzsche ; tandis que Sonia Mabrouk, journaliste franco-tunisienne, attire l’attention sur l’importance de la Méditerranée, berceau de la civilisation, aujourd’hui le théâtre des réfugiés en quête de terre d’asile. Civilisation justement, c’est le titre du dernier livre de Régis Debray chapeautant une explication : Comment nous sommes devenus américains. Debray dialogue avec Dély dans ce cadre de réflexion là, et trouve comme à son habitude une formule identitaire appropriée en guise de portrait : Macron, ce Gallo-Ricain, en mettant le doigt sur cette nouveauté inédite qui pose l’une des deux interrogations à conserver pour mémoire : jamais un gouvernement n’a été composé de la sorte avec autant de membres de la société civile.

Est-ce que le meilleur médecin sera le meilleur ministre de la Santé ? Est-ce que l’agriculteur le plus performant sera le meilleur ministre de l’Agriculture ? Est-ce que la qualité ne doit pas supplanter la différence ? Ainsi, n’est-il pas opportun d’associer des compétences de droite et des compétences de gauche, l’essentiel étant de ne laisser aucune compétence de côté ? Le bon sens ne peut qu’approuver. « Enfin ! » dira le citoyen au nom de la logique. Soit.

Debray ne pose pas toutes ces questions sous-jacentes, il préfère souligner que l’on s’oriente peut-être vers une fin de la professionnalisation politique. Le parti En marche est une entreprise. Les candidats députés envoient leur curriculum vitæ par Internet et subissent un entretien d’embauche. On souligne qu’un pourcentage considérable de candidats ne l’auront jamais été auparavant. L’expérience du terrain devient carrément un handicap.

Cette mutation sera-t-elle fructueuse, positive ? La réponse dans quelques années. Ou dans quelques mois…

Mais la deuxième interrogation, celle à laquelle tous les commentaires devraient s’attacher, réside dans l’arithmétique. Le rapport 66 % – 34 % masque la réalité des chiffres à prendre en compte. Emmanuel Macron a obtenu 20,743 millions de voix mais 10,644 millions de Français ont voté pour l’extrême droite et 12,101 millions se sont abstenus. Ce sont ces 22,745 millions-là auxquels il faudra penser en gouvernant la France.

Jeudi 25 mai – Macron a tout pour lui sauf le droit à l’erreur.

Lundi 29 mai – Sous le prétexte de l’inauguration d’une exposition consacrée à Pierre le Grand, Vladimir Poutine vient passer la journée à Versailles. L’occasion, pour Emmanuel Macron, de poursuivre ses contacts avec les grands de ce monde. La conférence de presse qu’ils donnent de conserve en fin d’après-midi reflète bien le climat : tous les sujets ont été abordés, y compris les plus délicats (homosexualité en Tchétchénie, Crimée, Ukraine, Syrie, etc.) sous le sceau de la franchise mutuelle et de l’authenticité. Le résultat est clair : on n’est d’accord sur rien mais on est bien décidés à continuer le dialogue. Vive l’amitié franco-ruse ! [Holà ! Un seul s manque et tout est chamboulé…

Mercredi 31 mai – Et si Macron ne tenait pas la distance ? S’il voulait faire de l’Histoire sans passer par le stade faire de la politique ? C’est un homme spécial, sûrement. Voilà ce que disait Balzac – fin observateur s’il en est – en 1840 : « L’homme spécial ne peut jamais faire un homme d’État, il ne peut être qu’un rouage de la machine et non le moteur. » La dictature de l’immédiateté si bien nourrie par les médias érode chaque jour la mémoire. L’an dernier à pareille époque, nombreux étaient les observateurs qui imaginaient un tandem Hollande-Macron en campagne présidentielle, le premier restant à l’Élysée, le second gouvernant depuis Matignon. Peut-être que Hollande lui-même avait aussi pensé à cette hypothèse. C’eût été l’annonce d’un second mandat prodigieux, d’autant que les chiffres de l’économie devenaient enfin favorables. L’appétit du surdoué démembra le pronostic. Soit. À lui, donc, de se débrouiller avec les cartes qu’il s’est octroyées après les avoir conquises. Pour durer, il devra se frotter au peuple, fréquenter les vallons et les bastides, respirer les genêts de Bretagne et les bruyères d’Ardèche et en parler comme on décrit son jardin, il devra aimer le coup de l’étrier sur le zinc du tiercé, les hêtraies, les vieux ponts, les châteaux qui racontent le « cher vieux pays », les plaines, les forêts, les collines, les pierres anciennes, pas les antiques, celles qui servent à l’apéritif et au pique-nique, celles sur lesquelles on étale une nappe à carreaux rouges et blancs. Bref, s’il veut – et c’est le cas – s’inscrire dans la lignée des de Gaulle et Mitterrand plutôt que dans celle des Giscard et… Hollande, malgré un amour à Brigitte déclaré, répété à satiété, sur tous les tons et toutes les couvertures brillantes des magazines people, il devra se donner à une maîtresse plus importante et surtout plus exigeante : la France.

Dimanche 4 juin – Confidence de Sarkozy à propos de Macron révélée par Le Journal du Dimanche : « Ça ne peut pas marcher. Mais si ça marche, c’est un génie et il faudra s’incliner. » Quand le petit Nicolas ne joue pas au mécanicien surexcité, il ne dit pas que des sottises.

Jeudi 8 juin – Éloge de la lucidité. Ne serait-ce pas un bon titre pour un recueil de paroles choisies de Régis Debray ? Exemple :

« Question souvent entendue chez les hommes et les femmes de bonne volonté, sur un ton exaspéré : ‘Mais c’est quand la gauche à la fin ?’ Je réponds : ‘Avant d’arriver aux affaires.’ ‘Et la droite ?’ – ‘C’est juste après.’

Il y a mille ans d’ici, j’imagine le même échange – même facétie, autre vocabulaire – entre un vieux croyant et un récent converti excédé par l’attente d’un millénium, annoncé pour demain et qui n’arrive jamais. ‘C’est quand la venue du Royaume ?’ – ‘C’était avant.’ – ‘Avant quoi ?’ – ‘Avant les papes et les diocèses.’ Le second retour du Christ, c’est quand on rêve du Ciel le nez en l’air. L’Église, avec sa hiérarchie et ses privilèges, c’est quand on atterrit. » (Une si longue attente, in Médium, n° 51, avril-juin 2017)

Samedi 10 juin – En 1982, après un attentat antisémite à la rue des Rosiers, François Mitterrand créa une cellule antiterroriste dont il confia la direction à Christian Prouteau, membre réputé du GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale). Dépendant directement de l’Élysée, cette institution ne laissa pas que de bons souvenirs. C’est d’elle notamment que surgirent les écoutes téléphoniques. Emmanuel Macron vient de suivre l’exemple de Mitterrand mais en plus net encore. Une unité chargée de la coordination de tout le renseignement français sera désormais sous son autorité au palais, et qui plus est, d’autres personnalités en dirigeront les services, le président profitant de cet aménagement pour renouveler les responsabilités. Cette décision n’est peut-être qu’un symptôme. Macron va sûrement bénéficier d’une large majorité à l’Assemblée mais la plupart des membres de son groupe parlementaire pléthorique seront tout à fait novices, ne sachant même pas comment s’élabore une loi. Il est donc prévisible que dans un premier temps, tout soit concentré à l’Élysée, l’Assemblée devenant quasiment une chambre d’entérinement. Ce sera le temps du « règne personnel » comme on dit de l’époque de Louis XIV. Cela fonctionnera très bien au début, mais l’épreuve de la durée reste une inconnue.

Dimanche 11 juin – La vague macroniste était bien un tsunami. Le résultat du premier tour des élections législatives le démontre. Le quinquennat démarrera donc sous le régime du parti présidentiel unique. Tout entière au service (à la botte ?) du président, la nouvelle assemblée sitôt installée va s’empresser de lui déléguer le pouvoir qu’elle aura obtenu des urnes en l’autorisant à gouverner par ordonnances. Le pouvoir législatif, conçu pour contrôler l’exécutif, va donc s’effacer à son profit. Rien de surprenant ni de perturbant dans tout cela : cette perspective était inscrite en toutes lettres dans le programme du candidat Macron. Quant à l’électorat, il a réagi de la manière la plus logique qui soit, en permettant à celui qu’il désigna pour diriger la France d’en disposer des moyens. Mais comme plus de 50 % des électeurs ne se sont pas rendus à leur bureau de vote, le blanc-seing est immaculé. Dans les multiples analyses qui vont commenter la révolution douce en cours, l’une des plus pertinentes consistera sagement à se demander si le fait de coupler les élections législatives avec la présidentielle ne les décrédibilise pas au point d’oblitérer le bon fonctionnement démocratique. Pour l’heure, Lamartine est occupé à passer le relais à Louis-Napoléon Bonaparte. Mais cette fois, il s’agit du même homme.

*

« L’idolâtrie, ce n’est qu’un quiproquo consistant à prendre le cuit pour le cru. »

(Régis Debray. L’Emprise, 2000)

Lundi 12 juin – La faute à qui ? C’est la question qui domine tous les commentaires quant à cette étrange élection législative où la victoire pléthorique du parti de Macron est de plus en plus perçue comme une anomalie légale. Voltaire… Par terre… Rousseau… Ruisseau… Victor Hugo avait trouvé de bonnes rimes pour faire chanter Gavroche. Ce sera moins simple d’en inventer les correspondances de ton comme de son avec Hollande. Quoique… S’il s’agit de se pencher sur l’effondrement du PS, on épingle logiquement le nom du président sortant dès l’abord. La durée offrira un recul à l’analyse. Celle-ci révélera une réponse beaucoup plus complexe. Mais s’il est plutôt question du fonctionnement des institutions, on soulignera que c’est à Lionel Jospin que l’on doit ce calendrier loufoque réduisant les élections législatives à une caisse d’amplification de la présidentielle. C’est en 2001 en effet que Premier ministre, il intervertit les dates, par pure tactique politique, prévoyant de se doter d’une majorité à l’Assemblée après avoir gagné l’Élysée. Le problème, c’est qu’il ne fut pas qualifié pour le second tour (Le Pen, déjà Le Pen…) et que ce calendrier entacha les quinquennats qui suivirent. Car Montesquieu revient dans les commentaires. Oui, il importe que l’organe législatif contrôle l’exécutif, c’est un principe fondamental garantissant le bon fonctionnement démocratique. Pourquoi craint-on une dérive avec Macron alors que les législatives profitèrent, grâce à la réforme de Jospin, à Chirac, à Sarkozy et ensuite à Hollande qui bénéficièrent d’une prime bienvenue ? Parce qu’ici, comme le précise Edwy Plenel, tous les députés (dont la plupart, soulignons-le encore, seront des novices…) auront signé, pour obtenir l’investiture du chef, une déclaration d’allégeance. Il est donc à craindre que l’Assemblée ne fasse demain qu’entériner des décisions prises au palais et relayées par Matignon. La faute à Jospin ? Cela paraît déjà plus facile de dénicher la rime.

Jeudi 22 juin – Le nouveau gouvernement d’Édouard Philippe constitué par Macron, s’il est composé de nombreux inconnus, paraît être bâti selon d’anciennes méthodes. Énarques devenus conseillers ou directeurs de cabinet se voient portés sous les phares. Inconnus donc, mais pas inexpérimentés. Les grands équilibres philosophiques et idéologiques ont aussi guidé les choix. Eh bien bon vent ! De toute façon, intelligent, infatigable, dynamique et jupitérien, Macron devrait s’occuper de tout. Ses ministres pourraient donc bien n’être que des notaires…

Jeudi 29 juin – Si la Constitution gaullienne reflète une présidentialisation du régime, elle laisse un espace au législatif en n’autorisant pas le président à s’adresser à l’Assemblée nationale ; et un espace à l’exécutif en laissant au Premier ministre le soin de présenter sa déclaration de politique générale aux parlementaires. Édouard Philippe accomplira cette tâche mardi prochain. Cependant, la veille, le président aura réuni le Congrès à Versailles afin de transmettre un message de pareille portée. Si Emmanuel Macron parvient à couper l’herbe sous le pied de son Premier ministre, c’est que celui-ci n’a pas les pieds sur terre…

Lundi 3 juillet – Emmanuel Macron savait, en s’adressant au Congrès à Versailles, qu’il ne devrait pas donner l’impression de minimiser le statut de son Premier ministre. Il en est donc resté au rôle d’architecte, laissant à Édouard Philippe celui de maçon. Le président a évoqué des réformes institutionnelles majeures sans les détailler concrètement. On l’accuse de flou, mais pourquoi déjà tout planifier, se doter d’un carcan que le moindre imprévu pourrait contrarier ? En outre, le président a prévenu qu’il viendrait chaque année devant le Congrès pour exposer la situation. Ainsi, il américanisera un peu plus la France en instaurant une sorte de « discours sur l’état de l’Union ». Bah… Ce n’est même plus surprenant…

Mardi 4 juillet – Macron célèbre la France en un lyrisme de bon aloi. La France, « le pays de l’universel »… Sait-il que l’expression est de Karl Marx ?

Mercredi 12 juillet – Macron, comme pour justifier l’invitation lancée à Trump de participer au 14 juillet à ses côtés : « Nous avons besoin des États-Unis ! » Si habile, si intelligent, si malin soit-il, un vassal n’est jamais qu’un vassal.

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Une page à conserver, celle du Figaro donnant la parole à Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS-Cevipof qui laisse quelques bribes d’analyse dont il importera d’en évaluer la pertinence dans quelques mois (« Le macronisme est une extension de l’idéologie managériale à la politique. Cette conception allie affirmation de l’autorité de l’État et vision libérale exprimée par la nouvelle représentation nationale » – « Emmanuel Macron serait et de gauche et de droite, cherchant à obtenir des résultats alors que François Hollande cherchait surtout des compromis »…)

Ces temps-ci, on fait assez souvent référence à la fameuse réflexion de Raymond Aron à propos de Giscard d’Estaing : « Cet homme ne sait pas que l’Histoire est tragique. » Luc Rouban s’en approche : « Il manque au macronisme ce qui caractérise le gaullisme, à savoir le sens du tragique de l’histoire, l’inscription de l’avenir dans les leçons d’un passé violent où l’on peut voir des sociétés se disloquer. »

Jeudi 13 juillet – Donald Trump et sa femme sont arrivés à Paris pour assister aux cérémonies de la Fête nationale. Ils dîneront avec Brigitte et Emmanuel Macron au Jules Verne, le célèbre restaurant du 2e étage de la tour Eiffel. Lorsque l’on verra ce grand butor – qui, bien entendu, se moque de la prise de la Bastille comme de son premier employé congédié – trônant à la place d’honneur dans la tribune officielle dressée au bout des Champs-Élysées, on pourra vraiment se dire que le pouvoir a changé de mains en France.

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« Le lien établi par Emmanuel Macron entre le réchauffement climatique et le terrorisme est un sophisme. » « Il y a une autonomie du terrorisme. Le réchauffement climatique est un fait, le transformer en un principe d’explication générale, en clé universelle des phénomènes humains n’a aucun sens. L’argument écologique devient un couteau suisse : il dépanne en toutes circonstances l’orateur en manque d’idées. Qui était Adolf Hitler ? Une sécheresse prolongée. Joseph Staline ? Des orages de grêle en Sibérie… » (Pascal Bruckner in Le Figaro, 12 juillet 2017)

Mercredi 19 juillet – Parmi les faits inédits sous la Ve République, on notera donc la démission du chef d’état-major des Armées Pierre de Villiers. Faute. Le mot revient dans tous les commentaires à propos d’Emmanuel Macron qui avait déclaré devant les responsables de la Défense nationale, lors de la traditionnelle réception du 13 juillet au ministère, rue de Brienne : « Je suis votre chef… » « Faute juvénile » diront même d’autres haut gradés qui n’hésitent pas à s’exprimer sur antennes tandis qu’un député socialiste estime qu’il serait bon de rappeler au président « qu’il n’est pas Louis XV ». 850 millions d’euros seront amputés au prochain budget des armées. Le chef d’état-major n’était pas d’accord avec ce coup de hache. Ce sentiment aurait dû accoucher d’une discussion entre son ministre de tutelle (éventuellement le Premier ministre) et lui-même. Le président n’avait pas à s’en mêler d’emblée, même s’il est constitutionnellement le chef des Armées, comme il aime à le rappeler publiquement. Sa réaction sanguine surprend ou dérange. On rapporte que dans les rangs du groupe des députés En marche !, il y aurait aussi de la grogne. Ce n’est qu’une péripétie gonflée par une atmosphère orageuse. Macron veut montrer qu’il se démarque de la méthode Hollande, lequel recherchait le compromis à tout prix. Soit. Les Français ont sans doute besoin d’un président autoritaire, sûrement pas d’un président qui pratique l’autoritarisme.

Jeudi 20 juillet – La semaine dernière, Trump était à peine chez lui, retour de Paris, que Macron s’était empressé de confier au Journal du Dimanche l’essentiel de leurs conversations. Ce que j’ai dit à Donald Trump, c’est un titre qui dope les ventes et qui muscle son homme. Mais voilà : Donald Trump vient d’accomplir un exercice équivalent avec le New York Times et apparemment, son témoignage est souvent très différent. On aura tendance à considérer que Macron parlait vrai et que Trump débloque un peu. « Macron adore me tenir la main » devient la phrase emblématique de ces confidences. Oui, Trump déraille, sans aucun doute. Mais précisément, le président des États-Unis a plus d’une fois déjà démontré le caractère improbable voire farfelu de ses attitudes et déclarations. Il n’y a pas de raison pour qu’il soit plus crédible avec Macron qu’avec d’autres. Angela Merkel l’a, quant à elle, perçu depuis longtemps ses élucubrations…

Dimanche 23 juillet – Lorsque l’on évoque le dosage entre personnalités progressistes et conservatrices dans la composition du premier gouvernement du quinquennat Macron, l’exemple de Bercy vient automatiquement. L’Économie et les Finances sont effectivement gérées par la droite, bien campée sur ces portefeuilles-là. Plus capitale toutefois est la désignation de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale. On n’est pas ici dans les chiffres mais dans les valeurs, et jusqu’à présent, l’homme n’a pas encore dégagé une fibre républicaine très affirmée. Dans ce département-là, il faut bouger, constamment réformer, être en mouvement. Blanquer consacrera une grande partie de son été à la rentrée scolaire. C’est alors que l’on sera en mesure d’apprécier ses choix et ses pistes d’action. Il vient de dévoiler quelques traits de sa pensée au Journal du Dimanche et des affirmations laissent un peu en attente de concrétisation. Que veut dire le ministre de l’Éducation lorsqu’il affirme : « Le vrai ennemi, c’est l’égalitarisme » ? Que prépare-t-il quand il souligne : « Je ne vois pas pourquoi n ne pourrait pas s’inspirer du privé » ? Certes, qu’il veuille diriger son ministère très exactement à l’inverse de Najat Vallaud-Belkacem qui l’avait précédé – en laissant du reste un bilan tout à fait acceptable par les syndicats d’enseignants comme par les étudiants – on le sait déjà depuis deux mois. Mais encore ? S’il souhaite laisser trace, comme tout son itinéraire en témoigne, ce juriste proche de Baroin se distinguera dans quelques semaines. Pour l’heure, un sentiment au moins peut déjà être bien décrypté, c’est son affirmation : « Je perçois Brigitte Macron comme la prof « idéale »

Lundi 24 juillet – C’était il y a cinquante ans. Du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, le général de Gaulle s’écriait : « Vive le Québec libre ! » devant une foule en délire. Un demi-centenaire que la France semble ignorer, aussi bien du côté de ses palais dorés que de ses chaînes de télévision. Quelques rares historiens soucieux de défendre la langue française évoquent la sortie du Général, comme le sociologue et enseignant québécois Mathieu Bock-Côté qui signe une tribune dans Le Figaro, ou Christophe Tardieu qui publie La dette de Louis XV (éd. du Cerf), titre rappelant l’abandon du Canada français aux Anglais par les rois de France.

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