Pour les beaux yeux d’Aloysia

Claude Javeau,

(Dans le commissariat du Premier Arrondissement, un inspecteur prend la déposition d’un jeune délinquant pris sur le fait de vouloir décrocher un tableau au Louvre.)

L’inspecteur

Nom, prénom, lieu et date de naissance, profession ?

Le délinquant

Mozart, Wolfgang-Gottlieb, aussi appelé « le Divin », né à Salzbourg, Autriche, le 27 janvier 1756, compositeur de musique, Monsieur l’Inspecteur.

L’inspecteur

Pour quelqu’un d’aussi vieux, vous m’avez l’air très jeune. Quant à « divin », vous ne me semblez pas avoir la tête de l’emploi. Plutôt celle d’un cambrioleur à la petite semaine.

Et d’ailleurs, venons-en à nos moutons : on vous a surpris en train d’essayer de voler un tableau de Rambran[1], un Hollandais si je ne m’abuse, représentant une certaine Bethsabée. Reconnaissez-vous les faits ?

Le délinquant

Je les reconnais, Monsieur l’Inspecteur. Pour votre information, je précise que Bethsabée, épouse d’Urie, fut enlevée par le roi David qui fit assassiner son mari et qui eut d’elle quatre fils, dont Salomon.

L inspecteur

Ces histoires de famille ne m’intéressent pas. Pourquoi vouliez-vous voler ce tableau ?

Le délinquant

Pour l’offrir à Aloysia.

L’inspecteur

Aloysia, qui c’est, celle-là ?

Le délinquant

C’est ma belle-sœur, Monsieur l’Inspecteur, la sœur de mon épouse, Constance, née Weber.

L’inspecteur

Et pourquoi vouliez-vous lui offrir ce tableau, qui appartient à l’État français ?

Le délinquant

Parce que la femme qui y est représentée lui ressemble très fort. Je voulais lui faire croire que c’était son portrait, et que c’est moi qui l’avais peint.

L’inspecteur

Elle ressemble vraiment à cette femme, votre Aloysia ? Un peu grassouillette, non ?

Le délinquant

Peut-être. Mais de beaux petits seins, non ? La vérité est que je suis amoureux fou d’Aloysia, et que je ferais tout pour lui plaire.

L’inspecteur

Amoureux de votre belle-sœur ! Bon, après tout, cela vous regarde. Mais comment savez-vous que cette Bethsabée est le portrait craché de votre belle-sœur ? Vous l’avez vue nue, votre belle-sœur ?

Le délinquant

Oui, Monsieur l’inspecteur. Je l’ai regardée par le trou de la serrure alors qu’elle prenait son bain.

L’inspecteur

Drôles de mœurs, mais là n’est pas le problème. Vous reconnaissez avoir essayé de voler ce tableau de Rambran, je vais vous mettre en cellule en attendant la suite des opérations. C’est le juge d’instruction qui décidera. À première vue, vous n’avez pas causé beaucoup de dégâts, mais avec les juges, on ne sait jamais.

Le délinquant

Faites votre métier, Monsieur l’Inspecteur.

L’inspecteur

Allons, au trou ! Mais dites-moi, Monsieur Mozart, quel genre de musique composez-vous ?

Le délinquant

J’écris des petites musiques de nuit et des marches turques, des choses comme ça.

L’inspecteur

Chacun ses goûts. Moi, ce que je préfère, c’est les chansons genre Céline Dion.

(Il emmène Mozart vers la cellule du commissariat.)

[1] N. du T. : Rambran = Rembrandt, prononcé à l’hexagonale

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