A : Il doit y aller.
B : Mais non ! Je ne vois pas pourquoi il devrait y aller.
A : Ça ne se refuse pas !
B : Mais bien entendu. Tout peut se refuser.
A : Il doit y aller pour…
B : Pour ?
A : Pour cette belle idée. Pour défendre cette belle idée.
B : Et notre petite idée à nous ?
A : Notre…
B : Nous ! On existe. Nous avons besoin de lui ici.
A : On le remplacera.
B : S’il n’y va pas, la question ne se pose pas.
A : Alors, ce sera un autre.
B : C’est une évidence.
A : Et on aura perdu une chance…
B : Une chance ?
A : Une chance de se mettre en évidence. Une chance qui ne se représentera peut-être plus. Une chance de mettre notre nation au-dessus des autres.
B : C’est très pompeux, ce que tu dis. Et puis, une nation ne peut se mettre au-dessus des autres que si elle existe en tant que nation. Si notre nation n’existe plus, à quoi bon…
A : Tu es un sacré pessimiste. Il y a des remplaçants. Ils sont là, tout chauds, ils attendent dans les starting-blocks. Ils n’attendent qu’un signal pour bondir et montrer leurs valeurs.
B : Mais… tu as peut-être raison…
Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…
A : Alors ?
B : Il est arrivé.
A : Il est fatigué ?
B : Pas trop. Je ne sais pas. Il a l’air bien.
A : C’est fabuleux ce qu’il vient de réussir.
B : Ce n’est pas la première fois qu’il réussit un exploit.
A : Peut-être. Mais tu seras d’accord pour reconnaître que celui-ci est unique. B : Pas plus que le précédent, et sans doute pas moins que le prochain.
A : Je te trouve bien sévère.
B : Je ne crois pas. Un peu évidemment.
A : Pourquoi évidemment ?
B : Avec les gens extraordinaires on est toujours plus sévère qu’avec les autres. À : C’est une façon de voir les choses.
B : Et puis, à bien y réfléchir, ce qu’il a fait devait bien être fait un jour.
A : Ce n’est plus de la sévérité, c’est de la bêtise.
B : Je te remercie !
A : Non, mais c’est vrai. Qu’importe que cela devait être réalisé un jour, en l’occurrence, c’est lui qui l’a réussi. Ni toi, ni moi.
B : Tu serais bien incapable de réussir quoi que ce soit.
A : La question n’est pas là.
B : C’est certain. Mais pourquoi aussi t’impliques-tu dans son exploit ?
A : Mais de quoi parles-tu je ne m’implique absolument pas dans cette histoire ?
B : Évidemment puisque tu dis que ni moi, ce que je ne demande absolument pas, ni toi ne pourrions faire ce qu’il a fait.
A : Ça me paraît clair et net.
B : Mais parle pour toi ! Et si j’avais eu envie, moi, de réaliser la même chose que lui.
A : Nous y voilà. Tu es jaloux en fait.
B : Mais pas du tout. Tu es ridicule !
A : Et en plus, je suis ridicule.
B : Parfaitement.
A : Et toi, tu es limité !
B : Ridicule !
Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…
B : Alors ?
A : Il est arrivé.
B : Il est fatigué ?
A : Je ne sais pas, il n’y a pas moyen de parler avec lui.
B : Ah bon ! Pourtant, c’est un garçon charmant, toujours accessible.
A : La question n’est pas là. Dans le cas présent, le charmant garçon est entouré d’une telle meute de journalistes qu’il n’y a aucune possibilité de l’approcher.
B : Ah bon ! Mais c’est plutôt bien ça. On va enfin reconnaître ses mérites.
A : Quels mérites ?
B : Ben, ses mérites quoi ? !
A : Je ne vois pas en quoi ce sont des mérites. Faut pas exagérer ! Il ne fait que son boulot après tout…
B : Ah bon ! C’est comme ça que tu vois les choses.
A : Bien sûr. Pourquoi ? Tu les vois comment toi ?
B : Pour moi, c’est un garçon courageux, fin tacticien, endurant, voire conquérant.
A : Tu ne serais pas amoureux ?
B : Ah bon ! Mais c’est ridicule ce que tu dis là !
A : Pourquoi ? C’est très possible, tu sais. Tu suis quelqu’un pendant longtemps, tu l’admires un peu et puis, sans t’en rendre compte, tu tombes amoureux.
B : Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.
A : Comme tu veux, libre à toi de le reconnaître ou pas.
B : Tu es gonflé quand tu t’y mets. Déjà de dire que ses mérites font partie de son travail !
A : Ce n’est pas ce que j’ai dit.
B : Ah bon ! Je crois bien que c’est exactement ce que tu as dit.
A : Mais pas du tout. Son travail mérite des éloges, ça, c’est certain, mais pas plus que pour un autre.
B : Peut-être, mais en l’occurrence, les autres on ne les connaît pas. Alors que lui, on le connaît donc on peut être fier de ses mérites.
A : De son travail.
B : Si tu veux. Tu m’agaces. Et on dit la même chose.
A : Presque.
B : Quoi ?
A : On dit presque la même chose !
B : Je ne veux pas le savoir. Tu sais, si tu m’énerves autant c’est parce que je suis amoureux de lui.
A : Ah bon !
Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…