Silence angoissé suivi d’un angoissant silence

Fabrice Gardin,

A : Il doit y aller.

B : Mais non ! Je ne vois pas pourquoi il devrait y aller.

A : Ça ne se refuse pas !

B : Mais bien entendu. Tout peut se refuser.

A : Il doit y aller pour…

B : Pour ?

A : Pour cette belle idée. Pour défendre cette belle idée.

B : Et notre petite idée à nous ?

A : Notre…

B : Nous ! On existe. Nous avons besoin de lui ici.

A : On le remplacera.

B : S’il n’y va pas, la question ne se pose pas.

A : Alors, ce sera un autre.

B : C’est une évidence.

A : Et on aura perdu une chance…

B : Une chance ?

A : Une chance de se mettre en évidence. Une chance qui ne se représentera peut-être plus. Une chance de mettre notre nation au-dessus des autres.

B : C’est très pompeux, ce que tu dis. Et puis, une nation ne peut se mettre au-dessus des autres que si elle existe en tant que nation. Si notre nation n’existe plus, à quoi bon…

A : Tu es un sacré pessimiste. Il y a des remplaçants. Ils sont là, tout chauds, ils attendent dans les starting-blocks. Ils n’attendent qu’un signal pour bondir et montrer leurs valeurs.

B : Mais… tu as peut-être raison…

Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…

A : Alors ?

B : Il est arrivé.

A : Il est fatigué ?

B : Pas trop. Je ne sais pas. Il a l’air bien.

A : C’est fabuleux ce qu’il vient de réussir.

B : Ce n’est pas la première fois qu’il réussit un exploit.

A : Peut-être. Mais tu seras d’accord pour reconnaître que celui-ci est unique. B : Pas plus que le précédent, et sans doute pas moins que le prochain.

A : Je te trouve bien sévère.

B : Je ne crois pas. Un peu évidemment.

A : Pourquoi évidemment ?

B : Avec les gens extraordinaires on est toujours plus sévère qu’avec les autres. À : C’est une façon de voir les choses.

B : Et puis, à bien y réfléchir, ce qu’il a fait devait bien être fait un jour.

A : Ce n’est plus de la sévérité, c’est de la bêtise.

B : Je te remercie !

A : Non, mais c’est vrai. Qu’importe que cela devait être réalisé un jour, en l’occurrence, c’est lui qui l’a réussi. Ni toi, ni moi.

B : Tu serais bien incapable de réussir quoi que ce soit.

A : La question n’est pas là.

B : C’est certain. Mais pourquoi aussi t’impliques-tu dans son exploit ?

A : Mais de quoi parles-tu je ne m’implique absolument pas dans cette histoire ?

B : Évidemment puisque tu dis que ni moi, ce que je ne demande absolument pas, ni toi ne pourrions faire ce qu’il a fait.

A : Ça me paraît clair et net.

B : Mais parle pour toi ! Et si j’avais eu envie, moi, de réaliser la même chose que lui.

A : Nous y voilà. Tu es jaloux en fait.

B : Mais pas du tout. Tu es ridicule !

A : Et en plus, je suis ridicule.

B : Parfaitement.

A : Et toi, tu es limité !

B : Ridicule !

Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…

B : Alors ?

A : Il est arrivé.

B : Il est fatigué ?

A : Je ne sais pas, il n’y a pas moyen de parler avec lui.

B : Ah bon ! Pourtant, c’est un garçon charmant, toujours accessible.

A : La question n’est pas là. Dans le cas présent, le charmant garçon est entouré d’une telle meute de journalistes qu’il n’y a aucune possibilité de l’approcher.

B : Ah bon ! Mais c’est plutôt bien ça. On va enfin reconnaître ses mérites.

A : Quels mérites ?

B : Ben, ses mérites quoi ? !

A : Je ne vois pas en quoi ce sont des mérites. Faut pas exagérer ! Il ne fait que son boulot après tout…

B : Ah bon ! C’est comme ça que tu vois les choses.

A : Bien sûr. Pourquoi ? Tu les vois comment toi ?

B : Pour moi, c’est un garçon courageux, fin tacticien, endurant, voire conquérant.

A : Tu ne serais pas amoureux ?

B : Ah bon ! Mais c’est ridicule ce que tu dis là !

A : Pourquoi ? C’est très possible, tu sais. Tu suis quelqu’un pendant longtemps, tu l’admires un peu et puis, sans t’en rendre compte, tu tombes amoureux.

B : Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.

A : Comme tu veux, libre à toi de le reconnaître ou pas.

B : Tu es gonflé quand tu t’y mets. Déjà de dire que ses mérites font partie de son travail !

A : Ce n’est pas ce que j’ai dit.

B : Ah bon ! Je crois bien que c’est exactement ce que tu as dit.

A : Mais pas du tout. Son travail mérite des éloges, ça, c’est certain, mais pas plus que pour un autre.

B : Peut-être, mais en l’occurrence, les autres on ne les connaît pas. Alors que lui, on le connaît donc on peut être fier de ses mérites.

A : De son travail.

B : Si tu veux. Tu m’agaces. Et on dit la même chose.

A : Presque.

B : Quoi ?

A : On dit presque la même chose !

B : Je ne veux pas le savoir. Tu sais, si tu m’énerves autant c’est parce que je suis amoureux de lui.

A : Ah bon !

Silence angoissé suivi d’un angoissant silence…

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