Le sentirai-je ? m’emplirai-je ainsi du bleu du ciel ? du ciel et du bleu ? est-ce que je m’emplirai d’un ciel vide ou chargé de nuages ? est-ce que je m’emplirai de nuages ? de nuages blancs, de nuages gris ou bleus dont j’aurai tant besoin plus tard ? M’emplirai-je de vide, du vide du ciel bleu à rester ainsi ? m’emplirai-je de l’absence du ciel ou d’un ciel que je ne vois pas ? Deviendrai-je moi-même une part du ciel ?
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La jeune fille disait avec sa voix de vieil enfant, métallique par temps de pluie, cristalline à l’aube, ondulant dans des chants brefs et plaintifs, la bouche molle et humide quand elle pleurait, disait, assise sur le plancher de la chambre, la rue, le pavé, ce qu’elle voyait, l’enfant marmonnait de lugubres récits d’anges, de diables, de grands cerfs blessés dans un long brame au fond de la forêt, elle parlait aussi pour les souris qui couraient dans la maison, pour les papillons de nuit sur le fil des fenêtres, les ailes qui battaient le carreau douloureusement, l’enfant parlait pour tout cela.
Cela dura et le silence se fit.
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Enfant je suis et fais ce que je veux, ce que je peux, que ne veux et que ne peux, punie parfois mais contente, contente de faire quand je fais, fabrique, construis, détruis et refais, je suis ce que je fais, suis le pilote et l’avion dans le même étonnement, le vent aussi, les nuages et la terre qui me regarde faire ce que je suis quand je le fais…
Le temps est long déjà, ne sais ce que je suis, seule souvent, ce que je fais et qui se défait dans le temps infini de la durée. Couper à vif, dire le vrai du vrai, la chose et son contraire dans le silence des soliloques, disparaître dans la nuit dans des bans de brouillard et aller sans armure au profond des combats, battre le fer et aiguiser sa lame au feu des dieux si proches qu’on ressort de ses joutes plus léger qu’un flocon qui descend des nuages sur notre front levé.
Aller et dire, ou si peu, parfois, rien, et frapper son tambour avant que de grandir dans des corps trop sucrés, mous et convaincus de rien si ce n’est de son poids sur la pesée des besoins du troupeau.
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Tout se bouscule dans l’atelier des hormones, petit, petite, grandie et fait la grande, enfant encore et qui le cache dans des allures de femme à venir, de jeunotte, de petiote vite grandie encore pâlotte, gamine d’allusions cruelles, ne fais rien qui ne vaille que je fasse, ne suis que ce que je ne fais pas, ne dis, ni ne fais, suis sans voilures et ma coque est fêlée, planches disjointes et malencontreuse allure, je ne fais que peu de choses et me résume à ce très peu qui m’envahit et me secoue le vide où je résonne en babelant des bêtises aussi, fredonnant des airs du levant au couchant, ignorante des airs que je me donne en galurin, casquette, béret et mitre du jeune âge qui se fabrique en douce dans le secret des bazars à tous vents.
Je dis, remugle, aboie, radote et rage, suis animal, mal, mal, foutue animal, fichue animal, animal aimée, baisée, animal battue, au turbin, à la chaîne, animal de guerre et de ravitaillement, de secours et de montagne, animal effondré, à la traîne, de bât, de fond, animal secret et public, animal dépiautée, délardée, arrachée et tranchée, pas animal finie, travaillée, transformée, oui.
Suis une abondante, une rivière, un gouffre, je dilapide, j’offre, je sollicite, je donne, je damne, je produis. J’éparpille des phrases.
Ces dépenses ne sont rien, à côté du vide, de l’arrachement que vit celui qui sait, condamné à dépenser, pas grand-chose, tout est prêté, il n’a qu’à en faire usage, à consommer, à échanger contre quelque chose ou quelqu’un de plus rare, c’est tout.
Attendre et regarder le ciel, le bleu, le ciel et les nuages, la beauté des liquides dans l’azur éloigné.
Et tout, du fond de leurs cellules, s’assombrit encore plus pour les Antigones, Cassandres et pythies surlikées, délivrées des arthroses de l’âme, pures comme ce qui condamne au bûcher, pilori, fers et autres saignées du temps.
Pures disait-on, et certains tremblaient en entendant ce mot, meurtrier et sans pardon, pures, pures, pures, hélas.