Un séjour aux « Flots bleus »

Alain Bertrand,

Pourquoi le Français laisse-t-il pendre le bras le long de la portière de son automobile ? D’abord pour montrer qu’il n’est pas manchot, du moins à gauche (ceci sans faire de politique). Subséquemment, pour signaler qu’on est en France, pays de privilèges malgré la Révolution (ceci, non sans faire de politique).

A-t-on déjà vu un étranger, l’avant-bras pendu hors de l’habitacle de sa limousine ? Que nenni ! Car le touriste jouit de la climatisation et parcourt des milliers de kilomètres en vase clos. Tandis que le Français s’émancipe dans les courants d’air, trop satisfait de surcharger sa Citroën des mille et un plaisirs du camping-caravaning.

Sur l’autoroute, sa voiture imite le hors-bord ou l’avion trop lourd pour décoller.

Dans les embouteillages, la radio braille, les gosses chambardent, le pilote ouvre les vitres qui suintent. On sent monter l’odeur des vacances, les gaz lourds de semi-remorques, sans compter le bitume chauffé à blanc. De Metz à Bormes-les-Mimosas, l’étranger en vacances produit des jets de sueur à l’abri de ses lunettes fumées. Le Français, lui, prouve qu’il est capable de conduire d’une seule main. C’est un dur à cuire ! Sa carrosserie pourrait chauffer des œufs sur le plat s’il n’y avait toutes ces mouchettes dans la jungle de ses poils… Ce désagrément, le coureur de Tour de France l’évite par l’usage total du rasoir.

En vacances, le Français pratique une religion pleine d’indulgences. Pourquoi ? Montrer que sa pilosité dépasse celle des gens du Nord qui viennent occuper son territoire de chasse. Le bras français n’a d’équivalent que le bras portugais, pays de haute pubescente. Et cette toison exposée au blondinet danois ou hollandais à l’heure de remettre les pendules à l’heure. Le bras le long de la portière est un indice de virilité, force 8 sur l’échelle du Club Med. Du poil et de la gueule, surtout après un dépassement par la gauche, lequel entraîne un bras d’honneur qu’apothéose un cri de dogue ou de roquet selon que le mâle arbore ou non une moustache.

Le bras d’honneur s’accompagne généralement d’un mot en trois lettres qui s’origine dans les profondeurs du sexe féminin. La plupart le font précéder d’un adjectif dont la portée varie selon l’érudition. Un « gros con » n’équivaut pas à un « sale con » ni à un « petit con » ou à un « sale petit con ». Encore moins à un connard, voire à une connasse. Toute cette lexicologie tient du génie français, lequel relève de l’infiniment passé. Ou dépassé. Ou trépassé, car voilà que les trois lettres deviennent trois syllabes finement reliées au creux de la culotte. Du moins, chez l’homme, car la femme ne descend point si bas. Sauf pour y prendre du plaisir et davantage si l’on en croit les magazines, ce qui est bien la moindre des choses quand on s’allonge au bord de la mer.

La fiesta des vacances commence dès que le maillot de bain remplace le slip en coton.

À l’arrivée au camping, le conducteur français a le bras gauche plus bronzé que le droit. Ce décalage tonal donne tout son sel aux parties de plage. Les congés payés servent à effacer les marques blanches sous les bretelles du soutien-gorge. Cette quête de l’harmonie dans les bronzes montre la sensibilité de l’estivant face aux splendeurs de l’océan, de la piscine ou de la baignoire. Ce n’est pas le Suédois qui pourrait en dire autant, lui que l’on voit rosir puis rougir, puis faire assaut de sa compagne dans les criques de la Méditerranée, alors qu’il possède la climatisation dans sa Volvo et un sauna dans sa résidence secondaire.

Cela étant, le Français laisse pendre son bras même en cours du séjour en son lieu de villégiature. C’est qu’il aime prendre toute la place, et élargir son domaine, quitte à le marquer par l’extension de son bras ou la position du pigeon — la main baguée, le poignet Rolex, la gourmette en plaqué or.

Des mains, il en est de potelées, de larges, d’épaisses plus ou moins velues, et posées sur le métal comme sur une fesse plate ou moins plate selon le galbe du véhicule. Au feu rouge, le flanc se tapote du bout des doigts ou de la paume d’après le degré de contrariété du chauffeur. Il se peut que la souplesse du poignet confère à l’avant-bras des mollesses de boa en train de digérer sa côte à l’os, frites, salade, mayonnaise. Ce serait une faute de croire le membre inoffensif, car, vol de priorité ou passage de mobylette, la voilà qui traduit un spasme en pétarades de gros mots.

Ainsi, le génie français démontre son esprit de synthèse, et le prouve par un coup de gueule, avant de suspendre le bras bruni à la galerie du toit, comme dans les films, à l’époque des 404 et autres déesses de la Nationale 7.

C’est une façon de hisser le drapeau et de chanter Trenet sous le bleu du ciel et les souplesses blanches de la Méditerranée.

L’été avait des tonalités délicieusement pastis, les années 1960 ont fondu sous les glaçons, le bras a molli sous le rétroviseur, comme après l’amour.

Cet amollissement signe la fin des vacances.

Sur la route du retour, le serpent à sornettes rentre le bras dans l’habitacle.

Il jouera à l’escargot dans les bouchons, avant de rentrer dans sa coquille, jusqu’à l’année suivante, au septième étage de son nichoir, aussi appelé « tour » ou « HLM ».

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