Rose-Marie François
Une Europe cinq étoiles
Message trouvé dans une bouteille au Bordelamer,
dimanche dernier en sortant de la messe
à la chapelle Notre-Dame-des-Sept-Douleurs.
J’étais Allemande, on m’a dit que j’étais Juive.
J’ai fui en France, j’ai valsé au Vél’ d’Hiv.
J’ai voyagé, j’ai pris le train pour Auschwitz.
Je n’ai rien pris, c’est le train qui m’a prise.
J’ai survécu. Des miracles, ça arrive.
J’ai tout perdu. J’ai cherché mes racines.
On m’a crié : « Les Juifs en Palestine ! »
J’ai voyagé, j’ai trouvé l’autre rive
de ce pays que l’on dit Terre Promise.
J’ai fait pousser l’orange en plein désert,
porté l’eau du Jourdain parmi les sols arides,
planté de mes deux mains les arbres de Judée.
Des hommes sont venus, ils se prétendaient Juifs
mais ils ont empiété sur les champs du voisin.
J’étais trop vieille pour servir dans l’armée.
De guerre en guerre, où est ma destinée ?
J’entends crier : « Tous les Juifs à la mer ! »
Jérusalem, où les murs se lamentent,
me recouvre d’un voile de pieuse servante.
Je veux la liberté ! Je veux quitter l’enfer
du délicieux Éden torturé sous les bombes.
Je vogue à fond de cale pour regagner l’Europe
si chère à mes aïeux, au cœur de mon enfance.
Je n’atteindrai jamais ni l’Allemagne ni la France :
« Assez de réfugiés ! Retournez ! Retournez ! »
criait la chère Europe, où les murs se défendent.
Me voici arrivée. Levez les yeux au ciel :
un clou d’or dans le bleu, ma cause est sans appel.
Sarah Tack