« Power to the People, right on »
Lennon, J. (1971)
Procureur – Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Le Peuple – Puisque je vous dis que je ne comprends même pas ce que je fiche ici !
P – (soupir) Les chefs d’accusation vous ont été exposés en début de séance. Pour résumer : rupture unilatérale de contrat et association de malfaiteurs.
LP – De quoi me parlez-vous ? Quel contrat ?
P – Le contrat que vous avez conclu avec nous.
LP – « Nous » qui ?
P – « Nous », la Cité.
LP – Mais je suis la Cité !
P – Non, vous êtes le Peuple.
LP – C’est bien ce que je dis.
P – Non, vous dites que vous êtes la Cité. Nous sommes la Cité.
LP – Ne jouez pas sur les mots. Le Peuple constitue la Cité. Le Peuple est la Cité.
P – (sourire) Je représente la Cité dans ce tribunal. Vous représentez le Peuple. Ne jouez pas, vous, avec les mots.
LP – Vous représentez une instance que je suis ? Et vous vous étonnez que je ne comprenne pas ce que je fais ici !
P – Revenons aux chefs d’accusation, voulez-vous ?
LP – Très bien, revenons-y. De quel contrat parlez-vous ?
P – Je viens de vous le dire.
LP – Un contrat conclu entre moi, le Peuple et vous, la Cité ?
P – C’est bien cela.
LP – Je n’ai rien signé. De quoi parle ce contrat que j’aurais rompu unilatéralement ?
P – De vos droits et devoirs à l’égard de la Cité, en tant que Peuple, ainsi que des nôtres, en tant que Cité, à l’égard du Peuple.
LP – Et plus en détail ?
P – Ce n’est pas le lieu. Vous pourrez consulter les ouvrages de référence en sortant. Vous n’avez pas préparé votre dossier. Encore une illustration de la légèreté avec laquelle vous considérez vos obligations contractuelles. « Nul n’est censé ignorer la loi », cela vous dit-il quelque chose ?
LP – Déjà entendu ça quelque part.
P – Bien. Vous connaissez donc le contrat. Or nous avons enregistré de nombreuses plaintes qui laissent supposer que vous agissez en dépit des obligations qui vous incombent.
LP – Arrêtez de parler chinois.
P – Je parle français, vous le savez très bien. Prenons des exemples, si c’est plus à votre portée. Plusieurs plaintes en lien avec les comportements électoraux et post-élections. Revirements avec intention de nuire.
LP – (silence) Vous êtes sérieux ? On peut porter plainte pour changement d’avis ? Ou pour réalisation qu’on n’a pas été très malin et qu’on s’est trompé ?
P – Le vote est un acte citoyen conscient, volontaire, qui vous engage. Vous élisez par ce biais des représentants qui mettent en place des politiques en concordance avec votre choix.
LP – C’est la plus belle foutaise que j’aie entendue sur la représentation !
P – (pause) Agir à l’encontre de cet acte porte préjudice à la Cité et constitue un délit.
LP – Vous croyez vraiment ce que vous dites ?
P – Il n’y a rien à croire. C’est la loi.
LP – Vous venez de me dire que si j’élis un représentant et qu’après cela, je ne le soutiens pas à cent pour cent, je suis un criminel ?
P – Non. Ce n’est pas un crime ; juste un délit.
LP – Oh, arrêtez de jouer avec les mots ! Vous êtes en train de m’expliquer que les élections instituent une dictature ?
P – Non. Je vous parle de vos devoirs en tant que Peuple.
LP – Mes devoirs en tant que Peuple… Si je vous suis, moi, Peuple, je dois choisir quelqu’un qui décidera à ma place et ne surtout pas l’ouvrir si je ne suis pas d’accord avec cette personne ?
P – Vous…
LP – Et cette histoire d’association de malfaiteurs ?
P – (feuilletage) Les plaintes sont assez similaires, mais émanent de pourvoyeurs d’emploi. Ici… Des opérateurs économiques dénoncent certaines pratiques de groupements de consommateurs qui découragent la fidélité à une marque, par exemple, au profit d’une irrégularité dans les comportements d’achat, propice au déclin de l’activité.
LP – Je crois que je commence à comprendre la logique.
P – Parfait. Vous pouvez avancer les arguments pour votre défense, alors ?
LP – Non. Parce que dans cette logique, le Peuple est en tort. Le tort de ne pas agir au bénéfice exclusif de quelques acteurs qui définissent eux-mêmes cette logique.
P – Vous reconnaissez être coupable des différents chefs d’accusation ?
LP – Oui, parce que je ne peux faire autrement. Par contre, si cette logique est d’application, j’aimerais profiter de l’assemblée ici réunie pour porter plainte également.
P – (toux) Ceci n’est pas l’objet de ce tribunal. Vous pourrez vous constituer partie civile en sortant.
LP – Je ferai cela. Avant ma sortie, permettez-moi d’énoncer mes griefs. J’accuse la Cité de n’être plus au service du Peuple, qui l’a créée et alimentée. J’accuse la Cité de représenter des intérêts personnels et non publics, avec intention de nuire au Peuple. Rupture unilatérale de contrat et association de malfaiteurs. Condamnez-moi si cela vous fait plaisir. Je vous laisse ; j’ai une révolution à organiser.
P – (ébahissement)
LP – (claquement)