Mon cher Jacques,

 

Quand je t’ai rencontré, la toute première fois (il y a de cela, quoi ? treize ou quatorze ans ?) tu avais alerté une bonne partie de Montréal pour m’atteindre. Tu m’as ensuite expliqué qu’un bon journaliste trouve toujours ce ou qui il cherche. Et tu es un bon journaliste. Tu as toujours réussi à me trouver et aussi à me surprendre.

Ce qui m’a charmée lors de cette première rencontre c’est sans doute ta curiosité. Cette manière si enthousiaste que tu avais de vouloir découvrir une œuvre, cette assurance et cette capacité d’émerveillement m’ont bouleversée. Si souvent vois-tu, il est de bon ton d’avoir l’air légèrement blasé, de donner l’impression d’avoir tout vu ou presque. Je ne pouvais pas croire que tu étais un critique !

Tu m’as donné beaucoup, Jacques, au long de ces années d’amitié. Beaucoup de joie, cette rare émotion qui dépasse le plaisir et frôle le bonheur – joie de nos longues conversations à Paris, Bruxelles et à Montréal, joie de te savoir dans la salle alors que le rideau se levait, joie de te lire, joie de travailler à détricoter les mots québécois pour les retricoter ensuite « à la française », joie de te voir apprécier le ciel si haut et si pur de Montréal quand nous y marchions dans la neige ou la splendeur de l’été.

J’ai toujours en réserve au fond de moi ces autres joies que je désire t’offrir ; ces paysages de bord de mer en Nouvelle-Angleterre où je vais écrire et où je rêve de t’accueillir, les White Mountains que je ne traverse jamais sans penser au plaisir que tu aurais à les voir, Charlevoix au Québec et tel paysage et tel restaurant… il y a tant de projets, tant de demains dans notre amitié tant de joies encore en perspective.

Cinquante ans, finalement, c’est juste l’âge où on prend enfin conscience du temps – je ne parle pas que de sa fuite mais aussi de son emploi, du choix véritable que nous avons tous de l’utiliser pour ce qui nous semble essentiel et de renoncer à lui consacrer la moindre futilité.

Notre amitié est pour moi un poème au temps qui soude les choses importantes sans se soucier des océans qui les séparent. Quelquefois, il m’arrive de penser à toi et de me demander comment tu réglerais tel ou tel problème et le seul fait de te parler intérieurement te rend presque palpable, j’ai alors l’impression de toucher ton épaule en tendant le bras au-dessus de l’Atlantique, comme si ce lien qui nous unit et que nous entretenons depuis toutes ces années, comme si ce lien devenait magique et allongeait ma main jusqu’à toi.

Peut-être est-ce magique après tout… peu importe, ce que je sais c’est que c’est infiniment précieux et doux, comme certaines heures de la vie. Comme celle-ci par exemple où le temps qui tourne amène à toi tous les petits miracles d’amour, de tendresse, d’affection et de collaboration que ton cœur généreux a semé pendant cinquante ans.

Bon anniversaire Jacques, bonne et belle vie. De tout cœur et pour encore longtemps.

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