Je suis d’Europe, cette espèce d’espace

Colette Nys-Mazure,

À la mémoire inventive de Georges Perec

Ici, c’est un village au nom musical, Froyennes, riche en voyelles et qui ne s’achève pas, « prolongeant indéfiniment par l’affaiblissement continu de l’e muet son épanouissement plein de réserve », observerait Jean-Paul Sartre.

Ici c’est la part rurale — champs, moulin, fermes et église —, où j’aime vivre à l’ombre voisine du parc d’un château à la Moulinsart. Plus loin la zone industrielle et la banlieue verte — les Français aiment vivre au bord de leur frontière en bénéficiant de notre paix.

Non loin d’ici, un sentier de halage s’essouffle à suivre le cours de l’Escaut qui sinue entre peupliers vers son embouchure flamande, portant les péniches aux prénoms polyglottes ; on est de la rive gauche comme d’une religion.

Ici c’était le Hainaut occidental et c’est aujourd’hui la Wallonie picarde, fleuron des terres francophones de Belgique, ce pays trilingue, exigu, coincé entre des terres plus ambitieuses.

Bruxelles, cœur de l’Europe, clame-t-on, mais est-ce si sûr ? Je ne sais jamais très bien où commencent et finissent ces Europe de l’Est ou de l’Ouest, du Sud ou « centrale ». Rimbaud dans son Bateau ivre regrettait « L’Europe aux anciens parapets ».

Ce qui est certain c’est que nous sommes l’une des vingt-sept nations rassemblées sous la bannière étoilée ; nous sommes d’Europe, la mortelle aimée de Zeus, métamorphosée en taureau blanc, enlevée, conduite en Crète et devenue mère de Minos.

Détruire, dit-elle. Non, Duras, je n’ai pas envie de brûler les ailes de ce dur désir d’accord alors qu’aux alentours enflent les rumeurs de panique, s’accroissent les menaces.

Modeste Europe, sans aucun doute, face aux géants d’Asie et d’Amérique, mais contrepoids aux démons du pouvoir absolu, aux délires réducteurs.

Racines continentales si profondes que les branches s’élancent haut vers l’espace. Par ma fenêtre d’ici maintenant, de Froyennes en Belgique, je suis des yeux et du cœur les migrateurs traçant dans le ciel leur route d’alliance.

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